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Sécurité ou sûreté alimentaire : faut-il rebaptiser sémantiquement d’urgence l’AGASA ?

Sécurité ou sûreté alimentaire : faut-il rebaptiser sémantiquement d’urgence l’AGASA ?
Sécurité ou sûreté alimentaire : faut-il rebaptiser sémantiquement d’urgence l’AGASA ? © 2025 D.R./Info241

Dans cette tribune pour les lecteurs d’Info241, l’ancien professeur des universités Brice Obiang Obounou s’interroge sur la pertinence de l’appellation actuelle de l’Agence gabonaise de sécurité alimentaire. Alors que l’institution célèbre plus d’une décennie d’existence, il plaide pour une clarification fondamentale entre sécurité alimentaire et sûreté alimentaire, au moment où le pays repense en profondeur ses outils de régulation sanitaire. Lecture.

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Créée en 2011, par décret n°0292/PR/MAEPDR du 18 février 2011 modifié par le décret 0667/PR/MAEPDR du 10 juillet 2013, l’Agence Gabonaise de Sécurité Alimentaire (AGASA) a pour mission de prévenir, d’évaluer et de gérer les risques d’origine alimentaire. Cependant, une distinction claire doit être faite entre les concepts de sécurité alimentaire et de sûreté alimentaire pour le bien-être des consommateurs gabonais. Bien que complémentaires, ces deux notions abordent des dimensions distinctes du rapport entre l’être humain et son alimentation.

Sécurité alimentaire : l’accès à une alimentation suffisante et nutritive

La définition largement acceptée de la sécurité alimentaire provient du rapport annuel de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) sur la sécurité alimentaire « L’état de l’insécurité alimentaire dans le monde 2001 » : La sécurité alimentaire est une situation qui existe lorsque toutes les personnes, à tout moment, ont un accès physique, social et économique à une nourriture suffisante, sûre et nutritive répondant à leurs besoins alimentaires et à leurs préférences alimentaires pour une vie active et saine [1,2]. Elle repose sur quatre piliers : la disponibilité, l’accès, la stabilité et l’utilisation des ressources alimentaires. À l’opposé, l’insécurité alimentaire, conduit à la malnutrition, à la dégradation de la santé physique et mentale et accroît les inégalités sociales, particulièrement dans les populations vulnérables.

La sécurité alimentaire a une dimension socio-économique et nutritionnelle avec comme préoccupation l’accès équitable à la nourriture. Le statut socio-économique est couramment conceptualisé comme le statut social ou la classe d’un individu ou d’un groupe, et est souvent mesuré comme une combinaison de l’éducation, du revenu et de la profession[3]. Dans une étude réalisée en Corée du Sud, nous avons observé que les enfants dont les parents avaient un niveau d’éducation et des revenus plus élevés présentaient moins de caries dentaires que ceux dont les parents avaient un niveau d’éducation et un revenu plus faibles [3]. Ces observations sont conformes aux rapports précédents, associant la santé bucco-dentaire des enfants et des variables socio-économiques telles que le niveau d’éducation [4,5].

Sûreté alimentaire : la protection contre les risques sanitaires liés aux aliments

La sûreté alimentaire fait référence à la discipline basée sur la science, à l’ensemble des pratiques et aux mesures réglementaires par lesquelles les aliments sont manipulés, préparés, stockés et contrôlés afin de prévenir tout danger pour le consommateur lié à des risques biologiques, chimiques ou physiques dans les aliments[6]. Selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), la sûreté alimentaire signifie s’assurer que « les aliments ne causeront pas de préjudice au consommateur lorsqu’ils sont préparés et/ou consommés conformément à leur usage prévu »[7]. Ainsi, elle renvoie donc à la qualité sanitaire des aliments, c’est-à-dire à leur innocuité et concerne l’ensemble des pratiques, des contrôles et des réglementations visant à prévenir la contamination chimique, biologique ou physique des denrées alimentaires. Selon l’OMS, près de 600 millions de personnes tombent malades et 420 000 personnes meurent en raison d’aliments non sûrs, entraînant la perte de 125 000 enfants de moins de 5 ans par année [8,9]. Par conséquent, l’AGASA joue donc un rôle de premier plan pour la sûreté alimentaire et la prévention des maladies et des morts prématurées en République Gabonaise. Les revues systématiques documentent des épidémies microbiennes alimentaires répétées dans les pays africains et une détection généralisée de pathogènes dans les aliments (viande, produits frais, aliments de rue), mettant en évidence les vulnérabilités dans l’hygiène de la chaîne alimentaire, l’approvisionnement en eau et la capacité des laboratoires de surveillance [10,11].Une telle étude renforcerait la mission d’évaluation des risques alimentaires de l’AGASA.

Une complémentarité essentielle pour la santé publique, y compris à l’international

Sécurité et sûreté alimentaires ne peuvent donc être dissociées. L’une sans l’autre conduit à des déséquilibres : une population peut être en sécurité alimentaire — c’est-à-dire ne pas souffrir de la faim — tout en étant exposée à des aliments dangereux pour la santé. À l’inverse, garantir des aliments sûrs sans assurer leur accessibilité économique revient à maintenir une partie de la population dans la précarité nutritionnelle. Les politiques publiques doivent donc adopter une approche intégrée, combinant lutte contre la faim, prévention des risques sanitaires, éducation alimentaire et renforcement des systèmes de surveillance.

Par exemple sur le plan international, plusieurs agences sont chargées d’assurer la sécurité et la sûreté alimentaires. En France, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail ( ANSES ) a pour objectif d’assurer la sécurité sanitaire humaine dans les domaines de l’environnement, du travail et de l’alimentation. Elle contribue également à assurer, la protection de la santé et du bien-être des animaux, la protection de la santé des végétaux, l’évaluation des propriétés nutritionnelles et fonctionnelles des aliments. Au Canada, l’Agence Canadienne d’Inspection des Aliments (ACIA) est responsable de la sécurité des aliments, de la santé des animaux et de la protection des végétaux. De plus, elle assure la salubrité des aliments, la santé animale et la protection des végétaux, protégeant ainsi la santé des Canadiens, l’environnement et l’économie. En Belgique, l’Agence Fédérale pour la Sécurité de la Chaîne alimentaire (AFSCA) a pour mission de contrôler la chaîne alimentaire allant du producteur au consommateur. Ainsi, elle contrôle l’ensemble de la chaîne alimentaire (matières premières, exploitations agricoles, industrie alimentaire, magasins et restaurants) par le biais d’inspections, d’échantillonnages et d’analyses rigoureuses et continues. Ainsi, comme leurs noms l’indiquent, toutes ces agences intègrent clairement les notions de sécurité sanitaire, sécurité et sûreté alimentaire, combinées à la santé des animaux et à la protection des végétaux dans un objectif global de contrôle total de la chaîne alimentaire. 

Vers une approche globale de la santé alimentaire

La santé des populations repose sur la capacité collective à garantir une alimentation à la fois suffisante, équilibrée et sécuritaire. Les stratégies nationales pourraient aussi donner à l’AGASA la double intégration qui comprendrait la sécurité et la sûreté alimentaires dans les programmes de santé publique et de développement durable. Promouvoir une alimentation accessible et sûre constitue non seulement un impératif éthique, mais aussi un investissement essentiel et durable dans le bien-être des populations en République Gabonaise.

En conclusion, dans un contexte marqué par un renouvellement et une restauration des institutions, l’AGASA devrait modifier son nom afin de mieux refléter son rôle actuel de sécurité sanitaire ou de sûreté alimentaire, plutôt que de sécurité alimentaire. Par ailleurs, elle gagnerait à développer à long terme, une véritable approche intégrée combinant sécurité alimentaire (accès et disponibilité des ressources alimentaires), prévention des risques sanitaires (sureté alimentaire, sécurité sanitaire), éducation alimentaire, et renforcement des systèmes agroalimentaires combiné à un contrôle continu de la protection des plantes et de la santé des animaux. L’objectif à long terme viserait à mieux répondre aux défis actuels de souveraineté alimentaire en République Gabonaise, tout en assurant une meilleure protection du consommateur gabonais.

 

Dr. Brice Obiang Obounou, Ph.D

Ancien Professeur des Universités, Corée du Sud

Président, Biangg consulting

E-mail : [email protected]

Tel : +1-438-779-0598

Références :

1. The State of Food Insecurity in the World 2001 | Agrifood Economics | Food and Agriculture Organization of the United Nations . (n.d.). Retrieved November 10, 2025, from https://www.fao.org/agrifood-economics/publications/detail/en/c/122100/

2. Peng, W., & Berry, E. M. (2019). The Concept of Food Security. In Encyclopedia of Food Security and Sustainability (pp. 1–7). Elsevier. https://doi.org/10.1016/B978-0-08-100596-5.22314-7

3. Bae, J.-H., & Obounou, B. W. O. (2018). Presence of Dental Caries Is Associated with Food Insecurity and Frequency of Breakfast Consumption in Korean Children and Adolescents. Preventive Nutrition and Food Science , 23 (2), 94–101. https://doi.org/10.3746/pnf.2018.23.2.94

4. Fracasso, M. de L. C., Rios, D., Provenzano, M. G. A., & Goya, S. (2005). Efficacy of an oral health promotion program for infants in the public sector. Journal of Applied Oral Science : Revista FOB , 13 (4), 372–376. https://doi.org/10.1590/s1678-77572005000400011

5. Moimaz, S. A. S., Fadel, C. B., Lolli, L. F., Garbin, C. A. S., Garbin, A. J. Í., & Saliba, N. A. (2014). Social aspects of dental caries in the context of mother-child pairs. Journal of Applied Oral Science : Revista FOB , 22 (1), 73–78. https://doi.org/10.1590/1678-775720130122

6. Q&A on food safety | Food safety and quality | Food and Agriculture Organization of the United Nations . (n.d.). Retrieved November 10, 2025, from https://www.fao.org/food-safety/background/qa-on-food-safety/en

7. Spink, J., Bedard, B., Keogh, J., Moyer, D. C., Scimeca, J., & Vasan, A. (2019). International Survey of Food Fraud and Related Terminology : Preliminary Results and Discussion. Journal of Food Science , 84 (10), 2705–2718. https://doi.org/10.1111/1750-3841.14705

8. Food safety . (n.d.). Retrieved November 10, 2025, from https://www.who.int/data/gho/data/themes/food-safety ?

9. Havelaar, A. H., Kirk, M. D., Torgerson, P. R., Gibb, H. J., Hald, T., Lake, R. J., Praet, N., Bellinger, D. C., de Silva, N. R., Gargouri, N., Speybroeck, N., Cawthorne, A., Mathers, C., Stein, C., Angulo, F. J., Devleesschauwer, B., & World Health Organization Foodborne Disease Burden Epidemiology Reference Group. (2015). World Health Organization Global Estimates and Regional Comparisons of the Burden of Foodborne Disease in 2010. PLoS Medicine , 12 (12), e1001923. https://doi.org/10.1371/journal.pmed.1001923

10. Paudyal, N., Anihouvi, V., Hounhouigan, J., Matsheka, M. I., Sekwati-Monang, B., Amoa-Awua, W., Atter, A., Ackah, N. B., Mbugua, S., Asagbra, A., Abdelgadir, W., Nakavuma, J., Jakobsen, M., & Fang, W. (2017). Prevalence of foodborne pathogens in food from selected African countries—A meta-analysis. International Journal of Food Microbiology , 249 , 35–43. https://doi.org/10.1016/j.ijfoodmicro.2017.03.002

11. Sosah, F. K., & Donkor, E. S. (2025). Microbial foodborne outbreaks in Africa : A systematic review. International Health , 17 (6), 893–902. https://doi.org/10.1093/inthealth/ihaf058

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