Tribune libre : Quand l’opposition gabonaise arrêtera-t-elle de compter sur la France ?
Yvan-Cédric Nzé, citoyen gabonais, livre dans cette tribune pour les lecteurs d’Info241, sa lecture des dessous de la Concertation politique convoquée du 13 au 23 février par Ali Bongo. Elle serait en réalité, selon, lui l’émanation en sourdine de l’Elysée. Avant de se reposer la question qui fâche : quand l’opposition gabonaise arrêtera-t-elle de compter sur la France ? Lecture.
Le mariage de la carpe et du lapin
La concertation politique sur laquelle certains avaient mis de grandes attentes s’est soldée par un recul démocratique. Je voudrais à ce moment de mon propos m’excuser d’avance pour ceux qui seront blessés par mon propos, que ces derniers considèrent qu’il ne s’agit pas de manquer de respect à qui que ce soit ni de donner de leçon à personne mais d’exprimer ma position en tant que citoyen Gabonais. Je veux qu’on s’approprie la citation de Laurent Gbagbo « la démocratie ça veut dire qu’on est tous dans la même maison même si on n’est pas d’accord »
Pour revenir à la fameuse concertation, depuis 2009 Ali Bongo a comme préalable à toute discussion avec l’opposition, la reconnaissance de sa légitimité. On se souviendra que le chef de l’exécutif avait répondu à la demande de la conférence nationale du défunt André Mba Obame « je ne parle pas avec ceux qui ne reconnaissent pas mon autorité ». 2016 a empiré cette non-reconnaissance avec la contestation de Jean Ping et des résistants avec tous les happenings (ntchams) réalisés.
En se présentant tous au bord de mer le 13 février 2023, l’opposition politique a permis à Ali Bongo d’affirmer sa légitimité et de répondre à la question restée en suspens depuis 2019 « qui dirige le Gabon ? ». Toute la classe politique assise (sauf Jean Ping) et Ali Bongo face à eux lisant un discours, clôture toutes les supputations sur sa légitimité et son incapacité à diriger le pays.
Connaissant cette situation, pourquoi diantre l’opposition s’est rendue à cette rencontre qui était tout bénéfice pour le régime de Libreville dès la première journée ? De mon point de vue, l’opposition Gabonaise de façon consciente ou inconsciente considère l’ancienne puissance coloniale comme l’arbitre du jeu politique nationale. Ceux qui parlent avec les hommes et les femmes politiques de notre pays vous diront qu’ils sont allés à cette rencontre car selon eux, elle était à l’initiative de l’Elysée. Curieusement, sur le Gabon, l’Elysée ne s’exprime que très peu publiquement. Toutefois, l’Elysée se débrouille toujours pour faire parvenir ses messages ou certains inventent des messages sans jamais qu’il ne les démente. Résultat des courses c’est toujours le système Bongo-PDG qui gagne.
Rappel Historique
Avant de conclure mon propos j’aimerais faire un petit rappel historique :
Ø En 1958 lorsque Jean-Hilaire Aubame et ses troupes ont décidé de sortir de l’assemblée nationale suite à l’achat de conscience d’une partie de leurs députés par Roland Bru pour le compte de Léon Mba et Paul Gondjout, Jean-Hilaire Aubame espérait déjà une intervention de la métropole. Il n’en a malheureusement été rien. Léon Mba deviendra président de la république malgré sa défaite aux élections territoriales.
Ø On peut globalement résumer l’échec des militaires et de l’élite politique gabonaise du coup d’état de 1964 par une soumission totale à la puissance coloniale, à qui ils ont tenté de justifier l’utilité du putsch plutôt que de l’imposer. D’ailleurs durant tous leur séjour carcéral les leaders arrêtés n’ont cessé d’espérer une intervention de la métropole. Mais pourtant, il n’en sera rien, ni De Gaulle ni Pompidou ne feront arrêter leur supplice. Je voudrais en finissant ce paragraphe rappeler que le 19 février 1964, 2 bataillons français ont massacré des jeunes militaires gabonais qui défendaient leur pays avec des armes. C’est peut-être ce fait qui convaincu l’opposition que c’était toujours Paris qui décidait.
Ø En 1981, Simon Oyono Aba’a, Moubamba Nziengui avaient déclenché les fameux évènements de la gare routière, parce qu’en réalité, ils croyaient que rien ne leur arriverait avec Mitterrand au pouvoir. Pourtant si, ils vont croupir en prison pendant de nombreuses années et ils en ressortiront pour la plupart brisés.
Ø En 1994, le père Paul Mba Abessole a accepté de négocier car il espérait que la puissance coloniale pèserait dans les débats ce qui permettrait d’arriver à minima à une solution de partage de pouvoir. On connait la suite, Mba Abessole est parti d’humiliation en humiliation.
Ø Plus près de nous en 2006, lorsque Pierre Mamboundou accepte de rencontrer, Omar Bongo après l’attaque de son QG, il espère également un appui de l’ancienne puissance coloniale. Cependant, il n’en sera rien, Pierre Mamboundou sortira du bureau d’Omar Bongo avec la rumeur des 11 milliards qui avait été savamment mise œuvre par le régime.
Ø En 2009, le même Pierre Mamboundou poussé par un soi-disant entourage africain de Nicolas Sarkozy, va accepter de négocier avec Ali Bongo. Espérant que l’initiative venant de la puissance coloniale le deal serait respecté. Pour montrer sa bonne volonté, il accompagne Ali Bongo à New York, il en perdra sa crédibilité mais il se disait que si c’est le prix à payer pour mettre en œuvre ses idées, il peut bien accepter cette humiliation. Si Paris valait bien une messe, le bien-être des Gabonais valait bien l’humiliation de Pierre Mamboundou. Hélas du retour de New York, Ali Bongo change de discours et Pierre Mamboundou qui attendait l’intervention de ceux qui les avaient mis en relation attendra jusqu’à la fin de ses jours.
Ø Plus près de nous, en 2016, Jean Ping que la puissance coloniale avait incité à se rendre à la cour constitutionnelle attend toujours la contrepartie de cette action.
L’Elysée un arbitre partial : il n’y a pas de négociations sans moyen de pression
En résumé dans son histoire politique, l’opposition Gabonaise a toujours aveuglement fait confiance à la puissance coloniale qui l’a malheureusement toujours livré au régime en place. Le Dr Akouré Davin vient d’en faire la douloureuse expérience avec cette rencontre politique.
Un jour, il faudra que l’opposition Gabonaise accepte que son seul allié est le peuple Gabonais et qu’il ne faut donner de blanc-seing à personne sans avoir de garantie.
Autre fait important, il faudra que l’opposition Gabonaise arrête de supputer sur les injonctions de Paris au régime car bien souvent elle se fait des films en couleur sans que l’Elysée n’ait envoyé un quelconque signe. A quel moment Macron a-t-il donné une injonction à Ali Bongo pour organiser un dialogue ? Et par quel canal ? L’opposition ne s’est-t-elle pas fait roulée dans la farine par ceux qui prétendent être des intermédiaires ?
On va à la concertation parce qu’elle est voulue par l’Elysée ça s’entend ! Mais qu’avez-vous demandé comme contrepartie ? Par quels moyens allez-vous faire respecter ce deal si jamais vos préalables sont rejetés ?
“Ce sont les démocrates qui font les démocraties, c’est le citoyen qui fait la république. ”Georges Bernanos
Je voudrais terminer mon propos en rappelant que Pierre Mamboundou qui refusait de participer au dialogue avec le pouvoir jusqu’en 2006 le justifiait en disant « C’est le PDG qui fraude et organise les élections, il ne tient qu’à eux d’arrêter de frauder pour que le processus électoral soit crédible ». Disons les choses clairement le processus électoral actuel n’est pas certes excellent mais il est suffisant pour que l’expression du peuple soit entendue. Nous devons à la vérité de dire que pour des dirigeants n’acceptant pas l’idée du suffrage universel aucun système ne sera jamais suffisamment robuste. Ce qui manque aux processus électoral gabonais ce sont des républicains car comme le disait Victor Hugo “La République affirme le droit et impose le devoir.”
Yvan Cédric NZE, ingénieur en sûreté nucléaire, membre du think tank Ogowé
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