Philippe Ndong Ndoutoume dit Tsira, la plume derrière la vulgarisation du « Mvett »
Très peu ou voire mal connu du grand public sur le plan national et international avant les années 1980, le « Mvett » parfois orthographié « Mvet », désigne un instrument de musique à cordes. Intrinsèquement, le « Mvett » est un vocable qui traduit un ensemble de récits héroïques de grands guerriers du peuple « Fang » qui se joue accompagné dudit instrument.
Passionné par la tradition orale et la culture « Fang », peuple du Haut-Nil (Egypte) qui migra jusqu’en Afrique centrale, Philippe Ndong Ndoutoume (1928-2005) qui était lui-même originaire de cette communauté, s’empressa de traduire non sans difficultés, les épopées des conquérants « Fang » qui marqua l’histoire de cet immense groupe ethnique au fil des années.
Dans un premier temps, il participa au début des années 1960 à la traduction et à la publication d’un récit « Mvett » en version bilingue puis il publia plusieurs volumes du « Mvett » et ce dès 1970. Ce sont ses travaux d’écriture en sciences humaines qui firent de lui un personnage important de la scène artistique gabonaise, réussir en politique ne fut pour lui qu’un rêve bien terne.
Naissance
C’est au Nord du Gabon au sein du Woleu-Ntem précisément dans le village d’Engongome situé dans le canton Kyè à 14 km de la ville d’Oyem, capitale de ladite province, que Philippe Ndong Ndoutoume dit Tsira ouvre les yeux pour la première fois un 14 septembre 1928. Très tôt, il s’intéresse à sa culture et sa recherche effrénée de savoirs sacrés et mythologiques qui gravitent autour de son groupe ethnique le différencie des autres enfants. Chose non étonnante car son père était un célèbre et redoutable animiste dans la contrée, maîtrisant les arcanes des rites ancestraux et ésotériques du peuple Fang. C’est d’ailleurs lui qui initia son fils très jeune et lui insuffla cet esprit d’investigation des sciences surnaturelles.
Cursus
Petit, Philippe Ndong Ndoutoume était déjà promis à un bel avenir car sa curiosité et son importante capacité de rétention le plaçait un cran au-dessus des enfants de son âge. On dit de lui qu’il était brillant à l’école et obtint sans atermoiement aucun, son Certificat d’études primaires indigènes (CEPI), ancêtre de l’actuel Certificat d’études primaires (CEP).
Aussi, il décrocha son Brevet d’études secondaires (actuel Brevet d’études du premier cycle), ce qui lui ouvrit les portes de la vie active ; il faut dire que durant cette période de l’histoire du Gabon, le fait qu’un autochtone puisse posséder un CEPI faisait de lui un instruit qualifié, le brevet d’études était alors un genre de saint-graal cognitif, un parchemin que seuls les intellectuels indigènes pouvaient se targuer d’avoir.
Entre deux passions…
Philippe Ndong Ndoutoume est engagé par l’administration coloniale en tant qu’instituteur, lui qui a toujours été passionné par la pédagogie académique et culturelle. Il est alors affecté dans la ville d’Oyem, à proximité de son village. Sur place, il tient des classes de primaires. Bien qu’il voue un amour sincère à son métier de maître d’école, il reste toujours obnubilé par l’art du « Mvett » pour lequel sa curiosité ne s’est jamais éteinte.
Il décide alors d’apprendre à en jouer et à cerner davantage les contours auprès d’anciens grands connaisseurs de cette tradition séculaire « Fang » qu’est le « Mvett ». Plusieurs dépositaires du « Mvett » l’initie au maniement de l’instrument lui-même puis, il reçoit l’éducation psycho-spirituelle pour comprendre et interpréter les différents récits chevaleresques de mythes « Fang ». Les célèbres joueurs de « Mvett » que sont Eko Bikoro, Zue Nguema ou encore Edou Ada furent ses éducateurs.
Elans politiques
Comme plusieurs intellectuels gabonais de l’époque, Philippe Ndong Ndoutoume dit Tsira était tout aussi critique que ses compatriotes envers le régime autocratique de Léon Mba, la démocratie et le multipartisme n’étaient que des ornements tels des guirlandes sur un sapin de noël pour s’attirer les faveurs de la communauté internationale. Il faut dire qu’en ces temps, le Gabon était considéré comme l’un des pays les plus stables d’Afrique sur les plans économique et politique.
Après un fiasco organisé de toute pièce par le président gabonais de l’époque, Léon Mba Minko, bon nombre d’acteurs politiques gabonais fustigent ardemment le comportement du président qui s’est octroyé tous les pouvoirs, en ne laissant aux parlementaires qu’une très maigre marge de manœuvre et en empêchant ses principaux challengers de briguer la députation avec l’instauration de modalités anti-démocratiques. La colère monte et l’impatience gronde : le régime de Léon Mba subit un revers via le putsch qui le renverse de manière inopinée. Ce coup d’état se déroula dans la nuit du 17 au 18 février 1964 moins d’un mois après la nouvelle dissolution de l’Assemblée nationale par Léon Mba le 21 janvier 1964.
Mais c’était sans compter l’intervention de la France qui vola au secours du soldat Léon Mba, partenaire privilégié et « employé » de la France. Tous les nationalistes et/ou socialistes épris de justice furent arrêtés à l’instar des Jean-Hilaire Aubame, Phillipe Maury, Marcel-Eloi Chambrier ou encore Philippe Ndong Ndoutoume. En effet, Tsira se préoccupait tant des conditions socio-économiques des gabonais que de leur inculturation traditionnelle. C’est à juste titre qu’il prit position en se rangeant du côté des putschistes, ce qui lui valut d’être mis aux arrêts et condamné. Pour les insurgés, les peines allèrent de l’indignité nationale aux travaux forcés en passant par l’assignation en résidence.
Itinéraire d’un écrivain en quête d’appartenance culturelle
La première documentation de la culture dite du « Mvett » date de 1913 et est le fruit du travail d’un botaniste anglais du nom de Günter Tessmann. Ce dernier l’a répertorié dans un ouvrage du nom de « Die Pangwe » traduit en espagnol par « Los Pamues (Los Fang) : monografia etnologica de una rama de las tribus negras de Africas occidental ». Mais, cette œuvre littéraire ne s’appuie pas suffisamment sur l’aspect spirito-métaphysique, l’auteur allemand ne se contente que de définir l’instrument et ses contours physiques.
Le premier recueil complet d’un « Mvett » est l’œuvre du célèbre auteur-compositeur et ethnomusicologue français, Herbert Pepper, qui travailla de connivence avec Elie Nkogha et un certain Philippe Ndong Ndoutoume dans la parution et la traduction d’un « Mvett » obtenu dans le village d’Anguia en zone septentrionale. Cet ouvrage sorti en version bilingue en 1961, une fierté pour les adeptes de ce riche héritage culturel.
Philippe Ndong Ndoutoume se lance dans l’écriture et pond plusieurs nouvelles telles que « L’Homme panthère », « Edzoh » ou encore « Souvenirs ». Déjà en 1944, Tsira publie l’une des premières nouvelles de la littérature gabonaise intitulée « Que les pieds voyagent afin que les yeux voient ». Moins de 10 ans après avoir collaboré avec le célèbre ethnomusicologue français Herbert Pepper, principal compositeur des hymnes nationales du Sénégal et de la République Centrafricaine, Philippe Ndong Ndoutoume sort son 1er volet du « Mvett » notamment en 1970 aux éditions Présence Africaine.
Il devient le deuxième gabonais à publier une œuvre dans cette prestigieuse maison d’édition après André Raponda Walker. C’est ce rendu littéraire qui fera de Tsira, une référence gabonaise et africaine en matière d’anthropologie. Ses travaux de traduction se sont heurtés à deux cultures, française et Fang, deux langues tout aussi distinctes qui ont subjugué l’intellect de notre protagoniste et qui ont galvanisé sa soif toujours plus étanche, de révéler au monde les fabuleux récits « Fang » présents dans le « Mvett » qui ne sont pas utopiques mais plutôt psycho-existentiels dans la conscience collective « Fang ».
Cinq ans passent puis, Philippe Ndong Ndoutoume sort le deuxième opus de son « Mvett » en 1975. Les tome 3 et 4 de cette saga à la fois orale et écrite viendront bien plus tard soit dix-huit ans après la publication du tome 2 notamment en 1993, date de la première élection présidentielle depuis l’avènement de la démocratie et du multipartisme au Gabon dès 1990.
Disparition
Philippe Ndong Ndoutoume dit Tsira est enlevé à l’affection des siens le 28 août 2005. Suite à sa disparition, l’Afrique en général et le Gabon en particulier perd l’un des plus éminents chercheurs en sciences humaines.
Il laisse derrière lui une famille nombreuse notamment l’un de ses fils du nom de Ekomy Ndong Mba Meyong alias Lord Ekomy Ndong, rappeur engagé et dénonciateur des dérives du régime politique gabonais dont le pouvoir est aux mains de la Famille Bongo Ondimba depuis 1967.
L’auteur gabonais et enseignant-chercheur à l’Université Omar Bongo de Libreville, Hémery-Hervais Sima Eyi, a écrit en 2005 un ouvrage sur Philippe Ndong Ndoutoume titré « Philippe Ndong Ndoutoume : le départ d’un œuvre ». Il a lieu de noter que Philippe Ndong Ndoutoume dit Tsira figure parmi les personnalités gabonaises les plus marquantes des années post-indépendance.
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