Inquiétudes

Militaires et magistrats désormais éligibles aux élections au Gabon : Faut-il s’en inquiéter ?

Militaires et magistrats désormais éligibles aux élections au Gabon : Faut-il s’en inquiéter ?
Militaires et magistrats désormais éligibles aux élections au Gabon : Faut-il s’en inquiéter ? © 2025 D.R./Info241

Les parlementaires gabonais ont adopté ce 20 janvier un nouveau Code électoral, qui marque une rupture avec les pratiques démocratiques antérieures. Désormais, les militaires et magistrats pourront se présenter à des élections, y compris la présidentielle. Une mesure inédite dans le pays qui suscite à la fois des interrogations et des inquiétudes sur ses implications pour la démocratie gabonaise. Alors que les militaires détiennent le pouvoir depuis le coup d’État du 30 août 2023, cette réforme soulève la question d’une éventuelle pérennisation de leur domination politique.

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La décision intervient dans un contexte où le général Brice Clotaire Oligui Nguema, président de la Transition, est à la tête d’un régime censé rétablir l’ordre constitutionnel après le renversement d’Ali Bongo. Si les autorités de transition affirment vouloir ouvrir le champ politique à toutes les composantes de la société, certains observateurs redoutent une instrumentalisation des élections pour asseoir le pouvoir des militaires sur le long terme. Mais ces craintes sont-elles justifiées ?

  Le précédent africain des régimes militaires durables

Dans l’histoire récente de l’Afrique, de nombreux exemples illustrent les dangers de la participation politique des militaires. Au Tchad, le général Mahamat Idriss Déby Itno a pris le pouvoir en 2021 après la mort de son père, Idriss Déby, en promettant une transition rapide. Pourtant, il s’est maintenu à la tête du pays bien au-delà des délais annoncés, étouffant les voix dissidentes et consolidant le contrôle militaire.

L’exemple frais du Tchad

De manière similaire, au Mali, le colonel Assimi Goïta, après deux coups d’État en 2020 et 2021, s’est progressivement imposé comme figure dominante du pouvoir, tout en retardant les élections promises. Ces exemples démontrent que l’entrée des militaires sur la scène politique peut difficilement être dissociée de leurs ambitions à long terme, souvent incompatibles avec une alternance démocratique.

  La neutralité des magistrats en question

L’inclusion des magistrats parmi les nouveaux candidats possibles soulève également des questions d’ordre institutionnel. La magistrature, pilier de la justice et garante de l’état de droit, risque de voir son indépendance compromise si ses membres s’engagent dans des campagnes électorales. Cette confusion des rôles pourrait entraîner une politisation accrue de la justice, rendant difficile l’impartialité nécessaire au règlement des contentieux électoraux.

Les magistrats trop longtemps politisés vont l’être plus ouvertement

De plus, l’histoire africaine regorge de situations où la collusion entre les pouvoirs judiciaire et exécutif a contribué à affaiblir les institutions démocratiques. Dans certains pays, les juges ont été accusés de rendre des décisions favorables aux régimes en place, ce qui pourrait se reproduire au Gabon si cette disposition venait à être utilisée comme un levier de pouvoir.

  Une mesure qui divise l’opinion publique

Cette réforme électorale ne fait pas l’unanimité. Pour ses partisans, elle traduit une volonté d’inclusivité, permettant à des acteurs traditionnellement exclus du champ politique de jouer un rôle actif dans la construction du pays. Ils y voient une opportunité de diversification des profils politiques et de renforcement de la participation citoyenne.

L’exception gabonaise ?

Cependant, pour ses détracteurs, il s’agit d’un danger latent. « Les militaires doivent rester dans les casernes, et les magistrats dans les tribunaux. Leur rôle n’est pas de diriger, mais de protéger la République », a déclaré un opposant politique. Ces voix craignent que l’ouverture à ces deux corps institutionnels n’entraîne une concentration excessive des pouvoirs, mettant en péril l’équilibre démocratique.

  Vers une militarisation des institutions ?

L’un des principaux dangers de cette réforme est le risque d’une militarisation des institutions. Au Zimbabwe, sous Robert Mugabe, l’armée a joué un rôle central dans le maintien au pouvoir du président, s’ingérant régulièrement dans les processus électoraux. Cette mainmise a mené à des décennies d’autoritarisme, privant la population de choix démocratiques réels.

Au Gabon, où les militaires sont déjà à la tête de l’État, cette mesure pourrait renforcer leur emprise sur le pouvoir. En leur permettant de se présenter aux élections, on leur offre une voie légale pour prolonger leur domination, tout en donnant une illusion de légitimité démocratique.

  Un défi pour la démocratie gabonaise

La réforme électorale intervient dans un contexte où le Gabon cherche à rétablir sa crédibilité démocratique. Après des années de règne de la famille Bongo, marquées par des accusations de fraude et de mauvaise gouvernance, la transition militaire avait suscité des espoirs de changement. Mais l’adoption de ce Code électoral semble aller à contre-courant de ces aspirations.

Pour certains analystes, l’inclusion des militaires et magistrats pourrait servir de test pour évaluer la volonté réelle du régime de transition de respecter les principes démocratiques. Cependant, il est difficile d’imaginer un processus électoral véritablement libre et équitable lorsque ceux qui contrôlent les institutions sont également candidats.

  Un avenir incertain

L’ouverture des élections aux militaires et magistrats au Gabon marque une étape importante, mais controversée, dans l’histoire politique du pays. Si cette réforme vise officiellement à renforcer l’inclusivité, elle pourrait également poser des risques majeurs pour l’équilibre démocratique et institutionnel.

Pour l’instant, le Gabon s’avance vers des élections prévues en août prochain, mais les contours de ces scrutins restent flous. La vigilance, tant des citoyens que des institutions, sera déterminante pour éviter que cette réforme ne devienne un levier de domination pour les militaires et magistrats, au détriment de la démocratie gabonaise.

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