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Gabon : Des démolitions « sans sommation », le cynisme face à la détresse humaine

Gabon : Des démolitions « sans sommation », le cynisme face à la détresse humaine
Gabon : Des démolitions « sans sommation », le cynisme face à la détresse humaine © 2025 D.R./Info241

Alors que les opérations de démolition se multiplient dans plusieurs quartiers de Libreville, laissant des familles entières sans abri ni recours, Stevellia Moussavou-Bajolle, enseignante-chercheuse et professeure de lettres, membre du Centre Interdisciplinaire d’Étude des Littératures d’Aix-Marseille (CIELAM) et du Bureau des jeunes chercheur·se·s du GIS Études africaines en France, livre une tribune sans concession pour les lecteurs d’Info241. Dans ce texte incisif, elle interpelle les autorités gabonaises sur l’urgence d’un développement plus humain, solidaire et respectueux de la dignité de chaque citoyen. À travers une analyse critique, elle appelle à rompre avec le cynisme politique et la brutalité administrative au profit d’une véritable justice sociale. Lecture.

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Au Gabon, les scènes de démolitions d’habitations sont alarmantes et doivent susciter une indignation légitime. Les images de cette opération, qui transforment des quartiers entiers en champs de ruines, évoquent un paysage de guerre, laissant des milliers de familles dans le désarroi le plus total. Le caractère subit et violent de ces expulsions massives prive les habitants de toute dignité, les laissant sans abri, sans recours, et souvent sans leurs biens. 

Il est frappant de constater que le ministre gabonais des Travaux publics et de la Construction, Edgar Moukoumbi, semble s’inspirer des méthodes de son homologue ivoirien, le ministre-gouverneur Cissé Bacongo, en matière de démolitions d’habitations. Une inspiration qui, malheureusement, se traduit par la création d’une nouvelle cohorte de compatriotes désœuvrés. Cependant, ce que monsieur Moukoumbi semble ignorer, c’est qu’il y a une différence fondamentale entre les deux pays : le contexte. Au moment où Cissé Bacongo mène ses opérations en Côte d’Ivoire, le régime du Président Alassane Ouattara, qu’on l’apprécie ou non, peut se targuer d’avoir achevé des projets ambitieux et structurants, faisant de son pays une des destinations économiques et touristiques les plus prisées du continent. Ainsi, leurs démolitions s’inscriraient, à tort ou à raison, dans une vision de développement urbain tangible et déjà partiellement réalisée.

Or, qu’en est-il du nouveau pouvoir de Libreville ? Excepté le coup d’État, quelles sont les réalisations concrètes que le Gabon peut mettre en avant ? Les démolitions interviennent dans un vide de projets d’envergure, laissant l’impression d’une destruction sans construction en parallèle. Pire encore, ces opérations brutales d’Edgar Moukoumbi surviennent alors que l’image du Président gabonais est déjà considérablement écorchée par les affaires Mbanié et Sylvia/Nourredine Bongo. Qui donc, Monsieur le Ministre, vous a suggéré que ce type d’opération, dénué de toute compensation ou alternative crédible, se faisait au début d’un mandat, qui plus est le premier ? Cette précipitation et cette absence de tact politique risquent d’aggraver la défiance populaire plutôt que de consolider l’autorité du nouveau régime. Mesdames et messieurs du gouvernement, monsieur le Président, vous êtes conscients de l’étendue de la corruption dans le régime que vous prétendez avoir renversé. Il y a donc nécessairement des Gabonais.e n’ayant jamais reçu un seul franc parmi ces expulsé.e.s. Les personnes touchées par les démolitions ne sont pas moins gabonaises que les autres, elles méritent votre considération.

Ce qui rend cette tragédie encore plus insupportable, c’est l’indifférence, voire le cynisme, dont font preuve certains acteurs. L’idée selon laquelle le développement d’un pays justifierait un tel traitement déshumanisant de ses propres citoyens est profondément choquante et moralement inacceptable. Un développement qui se construit sur les larmes et la misère de sa population est un développement vide de sens. Pour qui souhaite-t-on bâtir des villes modernes, des infrastructures flambant neuves, si ce n’est pour l’humain, pour améliorer sa qualité de vie et non la détruire ? 

Face à ces scènes de désolation, une question lancinante se pose : qu’en est-il de la solidarité africaine ? Ce principe, souvent mis en avant comme un pilier des relations inter-africaines et un trait d’union entre les peuples du continent, semble se transformer en un mythe douloureux face à la réalité gabonaise. Le silence assourdissant des autres populations gabonaises, voire leur soutien et leur défense de ces démolitions, est particulièrement troublant. On se plait à regarder des semblables privés de leurs biens parce qu’on espère voir sortir de terre un building en « baie vitrée » où on pourra venir se prendre en selfie « comme à Dubaï », pour reprendre les propos du Président lui-même. Face au cynisme de ceux qui ne se sentent pas concernés, qui devraient se dresser contre cette injustice, au nom de la fraternité et de l’humanité partagée ? Cette absence de mobilisation et cette acceptation tacite, parfois même active, des souffrances de leurs compatriotes, fragilisent l’idée même d’une conscience collective africaine fondée sur le respect mutuel et l’entraide. Si la solidarité ne s’exprime pas face à la détresse des plus vulnérables au sein d’une même nation, comment peut-elle prétendre exister à l’échelle d’un continent ? Sur la toile, les fanatiques du nouveau régime déclarent que « ces démolitions sont utiles à la communauté », comme si au nombre des projets utiles à la communauté, celui-ci est une priorité… 

Cette situation nous pousse à nous interroger sur notre capacité à concevoir un modèle de développement urbain qui place le respect de l’humain au cœur de ses priorités. Il est possible de bâtir ce pays sans exercer de violence sur le semblable. Il est impératif de rompre avec l’approche actuelle qui privilégie la force et l’exclusion au détriment du dialogue et de la consultation. Un développement durable et inclusif ne peut être pensé sans prendre en compte les besoins, les droits et la dignité des populations, surtout pour un régime qui a placé le bien-être des Gabonais au centre de son projet. Il est temps de passer d’une logique de démolition arbitraire à une planification urbaine participative et solidaire, « je suis parce que nous sommes ». Cela devrait se traduire par :

- des procédures légales et transparentes, c’est-à-dire que toute mesure d’expulsion doit être précédée de notifications claires, de délais raisonnables et d’une solution de relogement décente ;

- des concertations avec les communautés. Si on développe pour l’humain, les habitants doivent être consultés et associés aux projets d’aménagement qui impactent leurs vies, leurs quartiers et leurs moyens de subsistance ;

- des alternatives viables parce que le développement ne doit pas se faire au détriment des plus vulnérables. Il faut des programmes de logements sociaux, des mesures d’accompagnement et de compensation équitables ;

- le respect des droits humains. Toute personne a le droit au logement, le droit à un niveau de vie adéquat. Ces droits fondamentaux qui doivent être garantis.

Parce que vous avez promis leur rendre leur dignité, chères autorités, vous avez la responsabilité de construire un avenir prospère pour tous les citoyens, et non seulement pour une élite, et encore moins au prix de souffrances inouïes des uns. Les Gabonais ont déjà trop souffert. Permettez-leur une pause, une respiration. Le véritable développement se mesure à la capacité d’une nation à garantir la dignité et le bien-être de chaque individu, sans exception. Il est urgent de bâtir des villes où chaque citoyen, quelle que soit sa situation, trouve sa place et est traité avec respect.

 Dre Stevellia Moussavou-Bajolle

@info241.com
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