Les règles du commerce international freine l’industrialisation en Afrique
Si les rapports élogieux se multiplient sur les performances de croissance de l’Afrique subsaharienne (4,5 % prévus en 2015 par le FMI), la prudence s’impose cependant. En effet, même si ce résultat s’explique par de meilleures politiques économiques, elle demeure étroitement liée aux prix des matières premières, nous révèle Alice Sindzingre, chercheuse au CNRS à l’Université Paris-Ouest (France).
Or pour nombre d’économistes, l’industrialisation et en particulier la production de produits manufacturés, est le premier vecteur de croissance à long terme. C’est le chemin suivi par tous les pays sortis du sous-développement en favorisant d’abord des industries créatrices en emplois peu qualifiés, puis celles incorporant de plus en plus de valeur ajoutée. Il en fut ainsi en Corée du sud et aujourd’hui en Chine.
Pour l’Unido (Organisation des Nations unies pour le développement industriel), les pays à bas revenus disposent d’un potentiel important dans l’agro-industrie et le secteur du textile. On pourrait répondre qu’un pays peut bénéficier d’une spécialisation dans les matières premières (pétrole, cuivre, diamants, etc.) puisque la demande mondiale existe. Cependant, sa croissance est alors très vulnérable à la volatilité des prix. C’est pourquoi la croissance via l’industrialisation, avec ses effets d’entraînement, est considérée comme la plus bénéfique à long terme.
Sous cet aspect, les performances de l’Afrique subsaharienne autorisent quelques inquiétudes. En 2013, selon les chiffres de la Banque mondiale, ses exportations se répartissaient ainsi : 13 % en produits alimentaires, 3 % en matières premières agricoles, 41 % en pétrole, 15 % en minerais et métaux, et 27 % en produits manufacturés (comme en 2000…). Le PIB était constitué pour 58 % de services, pour 28 % de produits industriels (et 11 % de produits manufacturés), et pour 14 % de produits agricoles.
Egalement inquiétant, les produits manufacturés sont majoritairement basés sur des ressources naturelles et près d’un quart d’entre eux est considéré comme « low tech ». Or, comme l’ont démontré Ricardo Hausmann et d’autres chercheurs, l’« indice de sophistication des exportations », ou « indice de complexité économique », prédit avec certitude la croissance des pays (1).
Pas d’industrie sans infrastructures
De la même façon, il n’y a pas d’industrie ou de services modernes sans infrastructures. Même si la téléphonie mobile s’est généralisée, permettant le développement de services dans les secteurs financier, agricole, etc., en 2010 seulement un tiers des Africains avait accès à l’électricité, le réseau de transports restant notoirement insuffisant.
On pourrait à nouveau objecter que les pays développés se désindustrialisent, en raison des gains de productivité et de la transformation en économie de services basés sur les technologies de l’information. L’Afrique pourrait ainsi sauter les étapes et passer directement à une telle économie de services. Mais comme le montre Dani Rodrik, ce saut serait prématuré car le continent n’a pas encore exploité les opportunités offertes par l’industrialisation, et il se produirait à des niveaux de revenus bien plus bas que les pays asiatiques (2).
La stratégie adoptée par les pays asiatiques fut la mise en œuvre de politiques industrielles – protections tarifaires, exonérations fiscales, subventions –, liées à des politiques d’attraction des investissements étrangers par exemple sous condition de transfert de technologie et de sous-évaluation du taux de change.
Cependant, les politiques industrielles sont plus difficiles à conduire aujourd’hui pour les pays en développement, notamment africains, en raison des règles de l’OMC (Organisation mondiale du commerce), des conditionnalités des institutions financières internationales limitant les politiques publiques interventionnistes, et de l’organisation du commerce international en « chaînes de valeur mondiales » sous influence croissante des firmes multinationales.
Certains pays africains ont malgré tout mis en place de telles politiques industrielles, et ce sont précisément les représentants de cette « Afrique émergente » (en dehors du cas spécifique de l’Afrique du sud).
La Chine, vecteur d’industrialisation
Grâce à une politique d’exonérations fiscales, l’Ethiopie est ainsi devenue en une décennie le second exportateur africain de fleurs coupées derrière le Kenya, preuve d’un savoir faire sophistiqué et d’une intégration réussie dans une chaîne de valeur mondiale. Elle a également attiré d’autres investissements dans le secteur manufacturier, notamment chinois – la Chine étant un vecteur d’industrialisation, l’augmentation de ses coûts de production incitant ses firmes à délocaliser en Afrique.
Ces industries sont créatrices d’emplois, y compris qualifiés, et leur succès montre qu’avec des politiques publiques appropriées, si la latitude lui en est laissée, l’Afrique subsaharienne peut édifier des industries compétitives et consolider une croissance plus stable que celle fondée sur les matières premières.
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