Portrait

Jean-Rémy Ayouné, un francophile au service de l’autonomisation de l’Afrique et du Gabon

Jean-Rémy Ayouné, un francophile au service de l’autonomisation de l’Afrique et du Gabon
Jean-Rémy Ayouné, un francophile au service de l’autonomisation de l’Afrique et du Gabon © 2021 D.R./Info241

Pendant l’occupation coloniale en Afrique équatoriale française (AEF), l’administration mise en place par les autorités de Paris s’est longtemps appuyée sur le travail et le dévouement de nombreux « intellectuels » locaux pour assurer son fonctionnement. En ces temps, la jeunesse africaine vivant aux abords de l’équateur avait pour canal de communication la presse écrite et bien que nombreux d’entre elle travaillaient pour l’Administration équatoriale française , ces derniers n’hésitaient pas à exprimer leur appréhension et leur mécontentement sur l’avenir du continent africain, conduit par l’homme blanc.

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Les moins âgés gabonais ne furent en reste notamment un jeune du nom de Jean-Rémy Ayouné (1914-1992), qui prônait l’émancipation africaine et le réveil des esprits « éclairés » pour permettre aux africains, de s’assumer et de participer pleinement à la construction de leurs pays par le rejet des pratiques et démarches individualistes qui étaient improductives et inadaptées pour le bien-être collectif. Par ailleurs, quand son pays le Gabon devint indépendant, Jean-Rémy Ayouné mettra ses compétences au service de celui-ci.

 Naissance

Localisé dans le Sud-Ouest du Gabon, Asséwé est un village situé au Sud de Port-Gentil, capitale économique de ce petit pays d’Afrique centrale. C’est en son sein que Jean-Rémy Ayouné ouvrit les yeux pour la première fois. Ce fut la même année où se déroula la Première Guerre Mondiale précisément le 5 juin 1914.

 Cursus

Comme la majorité des jeunes africains de l’époque, ses parents le font emprunter le chemin de l’apprentissage scolaire voulu par « l’occupant ». Jean-Rémy Ayouné débute ses études à la mission catholique de Lambaréné puis il arrive à Libreville, principale ville du Gabon. Le jeune Ayouné rejoint la célèbre école Montfort, véritable référence en matière d’instruction indigène ; il fréquente dans le même temps, le petit séminaire de Libreville. A la sortie de Montfort, il décroche son Certificat d’Etudes Indigènes, ce qui lui permet de continuer ses études.

Son parcours se poursuit alors à Brazzaville, capitale de la l’Afrique équatoriale française (AEF) qui bénéficie de par ce statut politico-administratif, de meilleures structures d’enseignement et de formation. Il rentre au grand séminaire de Brazzaville. Au sein dudit séminaire, il entretient des rapports harmonieux avec le clergé et se lie d’amitié avec un prêtre blanc du nom de Lecomte. C’est ce dernier qui jouera un rôle prépondérant pour attirer l’attention de la communauté au sein de l’administration coloniale afin qu’ils prennent réellement conscience des carences auxquelles sont soumis les jeunes africains. Brillant et perspicace, Jean-Rémy Ayouné finit diplômé de l’école des cadres de l’AEF.

 Carrière au sein de l’AEF et opinions d’émergence

En 1936, Jean-Rémy Ayouné intègre l’administration coloniale et laisse une trace indélébile auprès de cette fédération de colonies françaises d’Afrique. Il est cadre supérieur des expéditionnaires comptables de l’AEF. Doué et travailleur, les acquis cognitifs de Ayouné qui n’est seulement âgé que de 22 ans laissent cois les administrateurs en chef de l’époque. Il faut dire que plusieurs autres jeunes gabonais, instruits et aguerris, se font remarquer par les plus hautes autorités administratives coloniales. La différence de rendement et de savoir-faire entre les différents agents africains travaillant au compte de l’administration d’occupation est criante.

Pour les administrateurs, il ne fait aucun doute que les gabonais sont bien au-dessus de leurs congénères africains. Cette admiration, devenue gênante pour les brazzavillois, s’étendra jusqu’au niveau des différents gouverneurs de l’AEF qui n’hésitèrent pas à confier des postes de responsabilité à certains ressortissants gabonais, en guise de bonne foi mais surtout de reconnaissance pour les efforts fournis. Jean-Rémy Ayouné s’investissait corps et âme à son emploi et son goût pour l’émancipation et le réveil panafricain des « élites » en faisait un personnage très respecté et très estimé jusqu’en hexagone. Le gouverneur général de l’AEF durant ces années de service, le renommé Félix Eboué, le tenait considérablement en estime.

En 1940, Félix Eboué convaincu du potentiel de Jean-Rémy Ayouné, 26 ans d’âge, le prend dans son cabinet. Les deux hommes deviennent inséparables et c’est sans surprise que le jeune Ayouné devient le collaborateur du gouverneur Eboué dont la proximité est la plus élevée. Cette étroite relation n’est pas anodine et trouve son explication dans la perception que l’homme blanc a de Jean-Rémy Ayouné à cette époque. En effet, Jean-Rémy Ayouné a déjà fait paraître plusieurs publications qui traitent des problèmes existentiels et la place de l’homme noir sinon de l’africain dans le concert des nations. Des supports livresques et des articles de presse de notre personnage ont déjà gagné le marché français de la presse écrite car les thématiques abordés sont en phase avec l’évolution des sociétés occidentales et africaine.

La fâcheuse et épineuse question sur les aspects de la relation entre le colon-occupant et ses colonisés-occupés est scalpée par Ayouné qui sans être sanguin, fait montre d’un raisonnement limpide et éclairé pour interpeller les dirigeants coloniaux sur la nécessité de revoir et de moderniser ses liens avec l’africain, qu’il a exproprié et soumis à son contrôle. Concernant la classe des « intelligences africaines », Jean-Rémy Ayouné attire leur attention sur le besoin urgent de se mobiliser pour bâtir les fondations réelles du développement du continent par les africains et pour les africains, en laissant de côté l’égoïsme et la recherche immorale de l’intérêt personnel.

Pour matérialiser le soutien et l’affection qu’il lui porte, Félix Eboué pèse de tout son poids pour que Jean-Rémy Ayouné puisse mettre en place un organe de presse revendicatif et instructif flirtant avec le pacifisme. Deux ans après avoir rejoint le cabinet du gouverneur général de l’AEF, Jean-Rémy Ayouné crée le journal « L’éducation de la jeunesse africaine » dont chaque nouveau numéro est publié tous les trois mois. Le but était, non pas de faire campagne pour des engagements politiques, mais plutôt de raviver la flamme du progrès, de la décence et de l’altruisme pour trouver des solutions idoines aux difficultés que traversent les populations d’Afrique en général et celle du Gabon en particulier.

Pour Ayouné, la critique envers les dirigeants coloniaux n’était pas une solution. Seul l’engagement collectif, organisé et mis en musique par les « instruits », constituait le remède aux maux qui minaient les sociétés africaines de cette période. Le changement et l’autodétermination ne pouvaient être des réalités africaines que par une sensibilisation de masse et une prise de conscience collective. Au cours de la conférence des hauts dirigeants administratifs des territoires africains (plus connue sous le nom de conférence de Brazzaville) organisée à Brazzaville le 22 janvier 1944, Jean-Rémy Ayouné stupéfait tout son auditoire en tête desquelles le général Charles De Gaulle, qui avait honoré ladite conférence de sa présence et l’avait même inaugurée. Ce jour-là, Ayouné avait en effet captivé, lors de son intervention, toutes les intelligences présentes. Dès lors, il devint encore plus populaire et son influence lui donna accès à des niveaux administratifs infranchissables pour un subalterne noir de l’administration coloniale. Comme on le dit souvent, il avait désormais « la carte ».

Le 17 mai 1944, le gouverneur Félix Eboué meurt au Caire d’une congestion cérébrale. Jean-Rémy Ayouné perd alors un ami et un collaborateur de haut rang dont l’affection était réciproque. Malgré cette perte, Ayouné continuera de travailler pour l’administration coloniale qui finira par le nommer au sein de la délégation de l’AEF en région parisienne. Il y restera trois ans, 1953 à 1956.

 Journaliste et animateur social

A l’âge de 20 ans, Jean-Rémy Ayouné se lance dans le journalisme et travaille en partenariat avec l’organe de presse « Trait d’union » dont la publication est assurée par le cercle catholique de Libreville. En 1935, Jean-Rémy Ayouné fonde la « Mutuelle gabonaise » ainsi que « Le cercle littéraire et artistique de Brazzaville » qui deviendra en 1942 « L’union éducative de la jeunesse africaine » ou encore « L’éducation de la jeunesse africaine ». Il est aussi le fondateur de la « Revue africaine d’éducation de base ». Après qu’il ne soit rédacteur en chef de la revue mensuel « ABC magazine  », il a été engagé par le mensuel « Paris-Congo ». Il pose comme signature les initiales « GF » signifiant Gabonais Francophile, un pseudonyme qu’il utilise pour ne pas s’attirer des représailles de la part des gouvernants coloniaux.

 Carrière au Gabon

Alors qu’il n’était encore qu’un jeune cadre de l’administration coloniale, Jean-Rémy Ayouné avait déjà travaillé au Gabon. Il y fut affecté au service des postes et des télécommunications. Lors du référendum de 1958, une communauté franco-africaine voit le jour et le Gabon qui a voté massivement pour le « oui », afin qu’il bénéficie entre autres du statut de territoire autonome, fait logiquement partie de cette communauté. C’est ainsi que Jean-Rémy Ayouné, rentré au Gabon pour grossir le rang des « intellectuels » gabonais chargés de réformer et diriger le pays, est nommé la même année de l’accession du Gabon à la souveraineté internationale, deuxième conseiller à la représentation diplomatique de France en Allemagne fédérale car il bénéficiait toujours de sa nationalité française.

La même année, il devient le premier ambassadeur du Gabon en république fédérale d’Allemagne (RFA). En mars 1964, Il est prié de regagner le Gabon après le coup d’état de 1964 car il a été nommé secrétaire général du gouvernement. Deux années plus tard, Il se voit confier le portefeuille ministériel de la Fonction publique et de la Coopération technique de 1966 à 1968. En juillet 1968, Jean-Rémy Ayouné devient ministre des Affaires étrangères et du Tourisme. Il deviendra le chef de la diplomatie gabonaise du 4 juillet 1968 au 29 juin 1971. Près de trois ans après, c’est le ministère de la Justice qui lui tend les bras suite à un remaniement gouvernemental.

 Décès

Jean-Rémy Ayouné est enlevé à l’affection de ses proches en fin d’année 1992. Au moment de sa disparition, il avait 78 ans. Il laisse sa veuve, Giselle Ayouné, et ses enfants. Il est l’auteur d’une œuvre du nom de « Réflexions sur l’évolution de l’Afrique noire » qui traite de la pensée progressiste de l’indigène pour mettre un terme à l’oppression de l’homme blanc.

Afin que son nom ne soit jamais oublié, une rue de la ville de Libreville porte son nom, il s’agit de la « rue Jean-Rémy Ayouné ».

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