Fraudes électorales : le gouvernement gabonais admet, mais invite ses citoyens à “faire avec”...

Le gouvernement gabonais n’a pas l’intention d’annuler le vote. Le conseil de cabinet tenu vendredi d3 octobre à la Primature restera sans doute comme l’un des plus paradoxaux du gouvernement Oligui Nguema. Pour la première fois depuis les élections législatives et locales du 27 septembre, l’exécutif a reconnu publiquement les irrégularités qui ont entaché les scrutins. Mais plutôt que d’en tirer des conséquences immédiates, il a préféré appeler les Gabonais à la patience, promettant de “réformer plus tard”. Une manière élégante d’entériner un crime électoral dont les principaux bénéficiaires siègent déjà au gouvernement.

Une reconnaissance sans conséquences
Réunis autour du vice-président du gouvernement, Alexandre Barro Chambrier, les ministres ont admis que les élections du 27 septembre avaient été émaillées de « comportements contraires à l’éthique démocratique ». Un aveu rare, mais qui se heurte à une contradiction flagrante : le gouvernement, dont vingt-cinq membres figuraient parmi les candidats, s’est félicité des résultats ayant consacré la victoire écrasante du parti présidentiel.
Un reportage évoquant cette réunion de cabinet gouvernemental
En effet, l’Union démocratique et des bâtisseurs (UDB), avec 54 députés élus dès le premier tour. En d’autres termes, l’exécutif reconnaît la fraude… sans la condamner réellement. Car aucune mesure d’annulation, ni même de vérification indépendante, n’a été envisagée. Le message, derrière les discours policés, est limpide : le pouvoir sait, mais il ne bougera pas.
“Il faut du temps”, ou l’art de banaliser l’illégalité
Face aux critiques, la porte-parole du gouvernement, Laurence Ndong, a appelé à relativiser. « Notre pays sort de très loin. Il existe une façon de faire les élections qui ne date pas d’aujourd’hui. Nous sommes en marche vers une transformation, mais il reste encore des mentalités à faire évoluer », a-t-elle déclaré.
La ministre de la Mer assurant le service après-vente du scrutin
Une phrase qui sonne comme une mise en scène de lucidité. Mais derrière le ton posé, se cache une posture politique : celle du report permanent des réformes, justifié par la nécessité d’“éduquer les électeurs”. Une manière subtile de transférer la responsabilité des fraudes… sur les citoyens eux-mêmes, plutôt que sur les organisateurs du scrutin.
Un “crime électoral” légitimé par le pouvoir
Ce discours de patience a tout d’une stratégie : faire passer les fraudes pour des maladresses , puis utiliser le temps comme un anesthésiant politique. Le gouvernement propose de réécrire les textes avec les députés fraîchement élus — les mêmes dont l’élection est aujourd’hui contestée.
Une autre vue de rendez-vous
Un paradoxe que beaucoup dénoncent comme une “normalisation du crime électoral”. À ce rythme, on risque d’entendre bientôt que les irrégularités “font partie de l’apprentissage démocratique”. Une façon polie de dire que le vol des urnes et l’achat des consciences sont des “traditions électorales” qu’il faudrait respecter.
Un gouvernement juge et partie
Difficile, en effet, de croire à la sincérité d’un exécutif qui avait 25 ministres engagés directement dans la bataille électorale. Comment garantir la neutralité d’un processus où les arbitres sont aussi les joueurs ? À moins de considérer que la fraude ait “profité aux perdants”, la logique même du pouvoir s’effondre.
Le plus troublant reste la manière dont le conseil de cabinet a clos le débat : aucun mot sur les recours en justice, aucune mention d’une éventuelle réforme de la CNOCER et du ministre de l’Intérieur Hermann Immongault son président, pourtant critiqués pour leur manque d’impartialité. Le silence a valeur d’aveu.
La justification morale, dernier refuge politique
En invoquant la “transformation des mentalités”, le gouvernement cherche à habiller le cynisme d’un vernis pédagogique. Laurence Ndong a insisté : « Un vote ne se monnaie pas. Une élection doit reposer sur la conviction et les réalisations des candidats. »
Un discours louable sur le papier, mais qui sonne creux lorsque l’on sait que plusieurs membres du gouvernement eux-mêmes ont été accusés de pratiques clientélistes ou de distribution d’argent le jour du scrutin. Ainsi, ceux qui devraient être sanctionnés deviennent les prêcheurs d’une morale qu’ils ont violée.
La patience comme stratégie de pouvoir
Le message adressé aux Gabonais est clair : attendre cinq ans. Cinq longues années avant de revoir les textes, d’envisager une réforme, ou simplement de “mieux faire”. Pendant ce temps, les élus issus de ce scrutin contesté siègeront, voteront les lois et écriront la Constitution du futur.
Autrement dit, les fraudeurs deviennent législateurs.
Le gouvernement a transformé un problème politique en problème de calendrier, invitant la population à la résignation. “Patientez, on réformera plus tard” : la formule, désormais récurrente, sonne comme un mantra pour une République qui recule à petits pas
Un goût amer de cynisme institutionnalisé
Ce conseil de cabinet du 3 octobre aura surtout révélé une vérité crue : au Gabon, la reconnaissance de la faute ne mène plus à la sanction, mais à la justification. Le pouvoir a réussi la prouesse de transformer une fraude en opportunité politique. Et le peuple, une fois de plus, se retrouve sommé d’attendre que les institutions mûrissent.
Pendant ce temps, les urnes restent froides, les voix étouffées, et la démocratie suspendue. Car au Gabon, on ne nie plus les fraudes : on les assume, avec élégance.
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