Durant le monopartisme imposé au Gabon par Albert Bernard Bongo de 1968 à 1990, il était très difficile voire impossible de constater ou d’énumérer des actes de contestations et de revendications politiques tendant à améliorer la vie socioéconomique des gabonais. La plupart terré dans le silence et l’effroi, les opposants au régime Bongo était aussi rares qu’une goutte d’eau au Sahel tant les pratiques autoritaires et arbitraires des forces armées gabonaises. Comme souvent, il y a des hommes rigoureux et droits dans leurs convictions malgré les aléas politiques semés d’incarcérations et de menaces de mort du régime Bongo : Simon Oyono Aba’a (1931-1998). Il pouvait se targuer d’en être un, fait rarissime dans le microcosme politique gabonais.
Naissance
C’est dans la grande province septentrionale du Gabon, précisément dans la commune de Bitam au village Mimbang-Effak, que vient au monde Simon Oyono Aba’a vers 1931.
Etudes
Alors qu’il est âgé de 10 ans, Simon Oyono Aba’a débute son cursus scolaire au primaire en 1941 dans son Bitam natal. En 1943, il rejoint l’école régionale d’Oyem. Trois ans après, il est lauréat du Certificat d’études primaires élémentaires (CEPE). Son CEPE en poche, ses parents l’envoient la même année soit en 1946 à Libreville, capitale du pays, pour y poursuivre ses études. Il atterrit au collège classique et moderne Félix Eboué nouvellement renommé lycée national Léon Mba au lendemain de l’indépendance. En 1951, Simon Oyono’o Aba’a décroche son Brevet d’études du premier cycle (BEPC). Alors qu’il n’a que 20 ans, le jeune Oyono Aba’a décide de raccourcir son parcours scolaire et souscrit pour une formation d’une durée de deux ans. A la fin de cette formation, Simon Oyono Aba’a embrasse alors une vie d’actif occupé en 1953.
Parcours professionnel et administratif
Simon Oyono Aba’a rentre dans la vie active en 1953 dans le secteur des Postes, Transports et Télécommunications. Après quelques maigres années passées dans ledit secteur, il intègre l’administration et occupe le poste de secrétaire d’administration avant d’offrir ses services au cabinet du ministre de l’intérieur à la demande de Jean-Stanislas Migolet, chef dudit département ministériel. Nous sommes en 1958 et c’est la première fois que le Gabon compose un gouvernement composé uniquement d’hommes politiques locaux. En effet, c’est à l’issu de la loi n° 56-619 du 23 juin 1956 dite loi-cadre Defferre, autorisant le gouvernement français à mettre en place des réformes pour assurer l’évolution des territoires français, que le Gabon accède à une certaine autonomie décisionnelle notamment sur les plans politique et administratif.
En 1975, Simon Oyono Aba’a a été un agent du ministère de l’intérieur et est devenu député à la suite des premières élections multipartites qui ont lieu entre septembre et octobre de l’année 1990. Il a été membre du gouvernement transitoire de 1990 à novembre 1994 dirigé par Casimir Oyé Mba et membre du gouvernement dont Paulin Obame Nguéma fut premier premier dès le 2 novembre 1994. Rappelons à toute fin utile, qu’il fut candidat à la première élection présidentielle multipartite de 1993 et arriva 11ème avec 3446voix dans une élection dont les dés étaient déjà pipés d’avance.
Carrière politique et velléités républicaines
En 1964, Simon Oyono Aba’a fonde sa formation politique dénommée Défense des institutions démocratiques (DID), ce qui marque l’entrée officielle de notre protagoniste dans la vie politique. Officieusement, Simon Oyono Aba’a a toujours plaidé pour une réelle démocratie car celle dans laquelle il vivait n’était qu’une pièce de théâtre montée de toute pièce par les autorités françaises avec la complicité d’hommes politiques du pays ; il songeait faire de son parti, le fer de lance de l’essor véritable du pays. Pour lui, la France exerçait toujours son influence sur les décisions politiques et économiques du Gabon qu’elle considérait comme sa chasse-gardée, tout comme la quasi-totalité des républiques africaines dont elle était le « colonisateur » autrefois.
Oyono Aba’o aux cotés de d’autres grands leaders de l’opposition
Ce n’était certainement pas une hérésie à l’époque car l’attitude du président Léon Mba était celle d’un « tyran républicain » voulant régner de manière singulière avec la formation politique dont il était le chef, le sulfureux Bloc Démocratique Gabonais (BDG) du moins après l’éviction de Paul Indjendjet Gondjout, ex chef de file dudit parti. Léon Mba décide alors de procéder, contre l’avis de ses détracteurs, à des bouleversements profonds liés aux modalités d’encadrement du système électif législatif : caution fixée à 50 000 FCFA, interdiction de briguer un poste d’élu local pour les citoyens occupants des fonctions dans l’administration publique, diminution du nombre de députés passant de 67 à 47 etc. Ce sont là pour bon nombre de ces challengers, des signes annonciateurs de l’instauration d’un parti-Etat.
Prévues se tenir le 23 février 1964, les élections législatives se dérouleront finalement le 12 avril 1964. Et pour cause, la gronde qui se faisait entendre, au niveau d’une partie de la sphère politique totalement aux antipodes des agissement et des choix autoritaires du président Mba, se matérialisera par un putsch qui verra Léon Mba tombé du haut de son « trône » dans la nuit du 17 au 18 février. Mais avec l’aide de la France en tête de laquelle le président-général De gaulle, Léon Mba est rétabli président et les auteurs du coup d’état sont interpellés puis écroués.
Simon Oyono Aba’a prend part au renversement de Mba et estime qu’il faut donner au Gabon de bien meilleurs dirigeants, libérés du joug de Paris et architectes de l’état de droit, de la démocratie et du développement réel. Il est alors condamné à 10 ans de travaux forcés et incarcéré pour « atteinte à la sûreté de l’Etat ». Trois ans après le coup d’état de 1964, le président Léon Mba décède et est substituer par son ancien directeur de cabinet et vice-président, Albert Bernard.
Afin de pacifier le pays et de renouer les liens sociaux et politiques sur l’ensemble du territoire, le jeune président décide de gracier les acteurs du putsch de 1964 et les invite à le rejoindre dans son idéologie politique qui avait curieusement des similitudes que celle de son mentor politique : le règne du monopartisme. Etonnante ! non, plutôt logique en raison des circonstances saugrenues mises en place par les autorités françaises afin d’assurer la continuité du règne de Léon telle que voulu par la France mais sans Léon Mba lui-même.
Quatre après son incarcération, Simon Oyono Aba’a recouvre sa liberté. La même année, il est envoyé à l’extérieur du pays pour exercer en tant que fonctionnaire diplomatique ; le président Bongo redoute Oyono’o Aba’a qui est clairement en désaccord avec la politique qu’il prône et préfère le garder loin du pays, pour ne pas stimuler davantage la colère enfouie des politiciens et citoyens du pays jusqu’à ce qu’elle explose brutalement. Pendant six ans, de 1969 à 1975, il fait partie de l’effectif diplomatique gabonais affecté en Côte d’Ivoire, dans la région Ouest de l’Afrique.
A son retour en 1975, Simon Oyono Aba’a est affecté au ministère de l’intérieur et décide de continuer sa lutte visant à l’établissement d’une démocratie réel se reflétant par le développement des classes sociales défavorisées et le respect des libertés qu’elles soient d’opinion, d’associations…Il organise clandestinement des réunions politiques pour cerner les contours du pouvoir, connaître son épine dorsale et mettre en place des stratégies pour le faire plier. En 1981 en Hexagone, l’arrivée au pouvoir du président socialiste François Mitterrand constitue un pilier de la feuille de route des activités politiques tacites de Oyono Aba’a.
Il pensait que les dirigeants socialistes devaient en quelque sorte annoncer « la fin de règne » du président Bongo ou du moins apporter des changements profonds dans sa manière de piloter la politique générale du Gabon. C’est ainsi que Simon Oyono Aba’a décide de créer une autre formation politique aux allures bien nationalistes, le Mouvement de Redressement National (MORENA) avec comme son nom l’indique, un programme de gouvernement pour redresser le Gabon que les membres du mouvement estiment être à la dérive du fait de la mauvaise et exclusive gouvernance du parti unique
Le 1er décembre 1981, une marche de protestation appelée « marche de la gare routière » dans le but de braver le pouvoir est organisée par le MORENA sans que la France ne condamne la répression qui s’en suit. Cette marche visait à protester contre l’arrestation et l’emprisonnement, sans conteste à tort, de gabonais pour leurs aspirations démocratiques à la démocratie. 37 membres dudit mouvement sont arrêtés tels que leurs leaders que sont Jean-Pierre Nzoghé Nguéma (enseignant du supérieur suspendu), Jean-Baptiste Obiang Etoughé, Jean-Marie Aubame, Barthélémy Moumbamba Nziengui, Luc Bengone Nsi, Jérôme Nguembi Mbina et Jules Mba Békalé ; échappant aux filets des forces de sécurité mobilisées pour réprimer la marche, Simon Oyono Aba’a se rendra plus tard à la police en solidarité pour ses compagnons.
Un acte de bravoure et de courage que Bongo lui-même finit par reconnaître obligeant plusieurs barons politiques à lui donner le surnom de « Mandela » Simon Oyono Aba’a et ses collaborateurs sont par la suite condamnés lors d’un premier procès en 1982 condamnant la manifestation de 1981 qualifiée « d’illégale » par les autorités puis vint le second procès qui actait la condamnation de l’abbé Noël Ngwa, Félicien Essono Ntoutoume et Jules Mba Nzoghé entre autres. Le décret n° 013884/PR portant mise en accusation du MORENA devant la cour de sûreté de l’Etat stipulait que « les inculpés sont mis en accusation pour trois motifs principaux : entreprise des actes ou des manœuvres de nature à compromettre la sécurité de l’Etat (pour avoir organiser pacifique à partir de la gare routière de Libreville), outrage au chef de l’Etat dû à la confection de tracts portant atteinte à son honneur ou à sa considération et participation à une propagande écrite ou orale tendant à la révolte contre l’Etat (prévu et réprimé aussi par l’article 88 du code pénal. Les souffrances furent importantes pour les accusés, l’abbé Noël Ngwa affirma plus tard qu’ils eurent « un traitement plus ignominieux que celui des assassins et autres grands bandits ». Simon Oyono’o Aba’a disait lui-même que ces compagnons et lui voulaient créer un parti qui ferait contrepoids au pouvoir.
Les peines étaient l’emprisonnement et les travaux forcés allant jusqu’à vingt ans pour certains. Pendant sa comparution, Simon Oyono’o Aba’a, chef de file du MORENA, déclara que leur ambition était d’impulser un dialogue avec le chef de l’Etat en vue de réhabiliter le multipartisme. Quoi qu’il soit, le MORENA est muselé sur le territoire mais Simon Oyono Aba’a avait eu depuis, l’ingénieuse idée de contacter certains résistants basés à Paris et membre de l’Association Générale des Etudiants Gabonais, mouvement associatif et politique luttant contre l’occupation française au Gabon et les dérives des dirigeants gabonais. Simon Oyono Aba’a avait pour ainsi dire déporter le mouvement vers Paris en cas de répression pour qu’il puisse continuer à exister si jamais il est évincé de quelque manière que ce soit.
Donc quand il est écroué, la branche française du MORENA continue d’être mobile sur le terrain international notamment en Hexagone et mène plusieurs activités de dénonciations et d’accusations envers et contre le régime « Bongoïste ». C’est 1986, le président Bongo décide de rentrer en contact avec le MORENA parisien dont le berger n’est nul autre que Père Paul Mba Abessole ; ce contact survint après la libération de quelques adhérents et sympathisants du MORENA en 1985 en signe de bonne foi pour le pouvoir. En 1989, les pourparlers sont fructueux et aboutissent à la libération de plusieurs leaders du mouvement. Mais pour autant, le régime ne cèdera pas aux demandes du MORENA d’instaurer un environnement politique pluriel. Ce sont les manifestations estudiantines de 1990 qui feront finalement plier le camp du président Bongo & Co, déjà bien affaibli par le président Mitterrand lors de la 16ème Conférence des Chefs d’Etat d’Afrique et de France qui eu lieu dans la commune française de la Baule-Escoublac, situé en Loire Atlantique.
Acquis et disparition
En 1990, acculé par la vague de contestations nationales nées de la grève générale des étudiants de l’Université Omar Bongo (UOB), le président Bongo décide d’organiser une conférence nationale en vue d’apporter d’innombrables réformes politiques et sociales nécessaires au développement du pays. Simon Oyono Aba’a exulte, son long, fatiguant et tortueux combat prend dorénavant fin. La démocratie et le multipartisme pour lesquels il s’est longtemps engagé vont finalement voir le jour. Après avoir fait partie des différents gouvernements d’unité nationale de 1993 à 1996, Simon Oyono Aba’a fait valoir son droit à la retraite.
Le célèbre lycée éponyme de Bitam
Deux ans après s’être retiré de la vie politique et administrative, Simon Oyono Aba’a tire sa révérence, le 3 janvier 1998, dans la ville qui abrite la capitale du Gabon précisément Libreville. Il était âgé de 67 ans. C’est finalement son sang, tumultueux et conquérant, qui cessera de circuler dans son cœur et qui le fera s’arrêter. Pour lui rendre hommage, les autorités de la commune où il ouvrit les yeux pour la première fois ont rebaptisé le lycée public de Bitam en « Lycée public Simon Oyono Aba’a ».
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