Oligui Nguema à Washington : la tête haute face à Donald Trump

Invité à un mini-sommet organisé à Washington en présence de Donald Trump et de plusieurs dirigeants africains, le président gabonais Brice-Clotaire Oligui Nguema a surpris par la fermeté de son propos. Dans cette tribune, l’universitaire et essayiste Marc Mvé Bekale revient sur cette intervention remarquée, qu’il oppose aux postures jugées dociles de certains de ses homologues. Une lecture critique et sans complaisance des rapports Afrique–États-Unis à l’ère du trumpisme.

Alors que le monde observe avec inquiétude le retour de Donald Trump sur la scène internationale, un mini-sommet organisé à Washington a récemment offert un spectacle inattendu. Celui de cinq chefs d’État africains venus écouter un président américain paternaliste, qui s’est étonné que son homologue du Libéria, un pays anglophone, parle aussi bien une langue anglaise que lui-même a tendance à massacrer.
Rien de surprenant de la part d’un Donald Trump, dont la doctrine politique, depuis son retour à la Maison-Blanche, s’articule autour de cinq piliers : la concentration et l’extension des pouvoirs présidentiels, une diplomatie irréductiblement transactionnelle, un goût immodéré pour la flatterie, l’usage systématique des tarifs douaniers comme armes économiques et politiques, une obsession de la vengeance contre ses adversaires. Il s’agit-là d’un arsenal auquel peu de dirigeants osent s’opposer, tant il est soutenu par un Congrès républicain complaisant et une Cour suprême dont la majorité des juges républicains est acquise à ses vues. À l’intérieur comme à l’extérieur, ceux qui tentent de défier Trump, comme Jerome Powell, le président de la Federal Reserve Bank – banque centrale américaine -, essuient menaces et salves d’invectives sur son réseau social « Truth Social ».
Hier encore, Donald Trump qualifiait Elon Musk de « génial ». Aujourd’hui, il est devenu l’ennemi intérieur par excellence, soupçonné de patriotisme défaillant. Comme avec certaines grandes universités américaines, Trump a menacé de mettre fin aux juteux contrats de Musk avec l’État fédéral si celui-ci persistait dans son entreprise de sabotage du « grand magnifique texte législatif » adopté récemment par le Congrès, texte que Musk avait qualifié de « monstrueuse abomination », alors que Jason Furman, dans le New York Times [5 juillet https://www.nytimes.com/2025/07/05/opinion/democrats-budget-bill-trump.html?searchResultPosition=6 l’avait assimilé à « un gros projet de loi abominable » à cause des dégâts que cette loi allait causer sur la société américaine. Une sorte de bombe « bunker buster » contre les classes populaires américaines qui fera au moins cent mille morts sur dix ans en raison de la perte, par les plus pauvres, de l’assurance-santé Medicaid.
Face à l’hyperpouvoir trumpiste, il n’est pas surprenant que certains chefs d’État africains conviés au mini-sommet de Washington aient adopté une posture de soumission, digne du personnage d’Uncle Tom, esclave docile du roman de Harriet Beecher Stowe, devenu l’archétype de la déférence noire face au maître blanc.
Le cas du président libérien, Joseph Boakai, a été particulièrement éloquent. Contrairement à ses homologues francophones, il s’est exprimé en anglais — sa langue maternelle —, suscitant les remarques condescendantes de Trump qui, dans un ton mêlant paternalisme et ignorance crasse, lui a adressé des compliments sur la qualité de son anglais avant de lui demander où il avait fait ses études. Joseph Boakai, visiblement décontenancé, a répondu à plusieurs reprises par un « Yes sir » dont la répétition évoquait moins la courtoisie que la docilité des champs de coton du Sud des Etats-Unis. Ce « Yes sir » renvoyait tristement à l’histoire du Liberia, pays fondé pour accueillir d’anciens esclaves, qui semble encore prisonnier de son passé.
Et que dire du jeune président sénégalais, Bassirou Faye, chantre du panafricanisme, qui n’a pas hésité à flatter l’ego trumpien en l’invitant à construire un terrain de golf au Sénégal — symbole par excellence du capitalisme impérialiste et loisir élitise qui ignore la misère des peuples ?
L’on m’accusera de chauvinisme en soulignant que, contrairement à ses pairs africains, la posture du président gabonais, Brice-Clotaire Oligui Nguema, mérite une analyse particulière. Il n’est d’ailleurs pas étonnant qu’une partie de son propos ait trouvé écho dans le New York Times [9 juillet https://www.nytimes.com/2025/07/09/us/politics/trump-african-leaders-china.html?searchResultPosition=1 ].
Oligui s’est surtout distingué par la tonalité de son discours. Certes, il n’a pas échappé à la maladresse de proposer Donald Trump pour le prix Nobel de la Paix, mais cette déclaration, sans doute dictée par le contexte, ne doit pas faire oublier l’essentiel : son positionnement fut à la fois lucide et stratégique. Il a su adapter son discours à la logique transactionnelle chère à son interlocuteur, usant d’un vocabulaire assertif rare dans la bouche de dirigeants étrangers à Washington : « Je suis général, et moi aussi je suis pragmatique ; j’aime quand les choses avancent rapidement. » En proposant une relation « gagnant-gagnant », Oligui Nguema a adopté le langage de Trump tout en inversant la dynamique de soumission. Il a subtilement mis la pression sur le président américain : « Vous êtes les bienvenus pour investir. Sinon, d’autres pays viendront à votre place. Merci. » Le « merci » final, faussement courtois, sonnait comme une mise en garde. Les États-Unis ne sont plus les seuls prétendants au partenariat africain — la Chine, la Russie ou la Turquie sont en embuscade.
En refusant la flatterie et le ton servile, Oligui Nguema a réaffirmé l’existence d’une Afrique souveraine, capable de négocier d’égal à égal. Son discours portait ainsi une charge contre l’image misérabiliste du continent : « Nous ne sommes pas des pays pauvres. Nous sommes riches en ressources naturelles. Ce dont nous avons besoin, ce sont des partenariats pour les développer, dans une logique gagnant-gagnant. » En proposant, dans un franc-parler, une relation commerciale sans soumission ni paternalisme, le président gabonais est reparti de Washington la tête haute et probablement avec le respect de ceux qui savent reconnaître le courage en politique. Il est surtout en train de restaurer l’image du Gabon, abîmée par un Ali Bongo qui, ces dernières années, faisait peine à voir et à entendre lors de ses sorties sur la scène internationale.
Marc Mvé Bekale , universitaire et essayiste
@info241.com
