Franck Ping : « La solidité du Gabon doit naître de la bonne gouvernance et du respect des institutions »
L’homme d’affaires gabonais Franck Ping, accusé par le régime d’Ali Bongo de détournement de fonds publics, a rompu le silence en prenant part le 7 décembre dernier à Paris, à la 1ère édition du forum « Le Gabon face aux défis d’avenir ». Dans ce cadre, Info241 s’est entretenu avec celui qui se présente désormais comme un citoyen engagé pour l’alternance démocratique du Gabon. Le fils de l’opposant au régime de Libreville, s’est exprimé en exclusivité sur la situation économique et politique du Gabon. Sans langue de bois et à bâtons rompus, il livre sa part de vérité notamment sur les accusations du régime à son encontre.
Info241 : Nos lecteurs vous connaissent plus de par votre patronyme (fils de Jean Ping, actuel leader de l’opposition gabonaise). Qui est Franck Ping sans cette connotation onomastique ?
Franck Ping : Mari et père de 4 enfants, j’ai fait de ma famille le pivot autour duquel s’articule ma vie. Mon nom n’est ni une connotation, ni un fardeau. Comme tout un chacun, il est un formidable relais qui transperce le temps et donc les générations. Ces quatre lettres lourdent de sens, incarnent ce qui me lie directement à mon père, mais aussi à l’avenir que je construis pour mes enfants. Homme d’affaires établi, je m’attelle depuis Abidjan à développer différentes structures de conseils économiques et stratégiques auprès de sociétés étrangères.
Pourquoi avoir choisi le cadre du forum CRSG ’’Le Gabon face aux défis d’avenir" et la capitale française pour sortir de votre silence ?
F.P : Nombre des participants à ce colloque ne peuvent plus rentrer au Gabon par crainte des accusations judiciaires et des incarcérations arbitraires vécues au lendemain des élections présidentielles d’août 2016. N’oublions point que Paris demeure depuis de nombreux siècles, l’incarnation même de la liberté d’expression dans le monde. Sur ce sol, un peuple a mis à genoux une monarchie inique.
Il faut par ailleurs souligner que ses grandes places et avenues ont souvent portées la voix de paix et de justice de notre grande diaspora établie en France. Le choix d’échanger nos idéaux et nos visions d’avenir à Paris s’imposait à la lumière de l’évidence.
Quelle est votre part de vérité suite aux accusations de détournements de fonds publics notamment dans l’affaire SinoHydro ?
F.P : Cette histoire a été créée de toutes pièces afin de salir la campagne présidentielle menée par mon père. C’est la seule vérité qui prévaut aujourd’hui.
Quelle analyse faites-vous de cette crise politique qui sévit toujours ?
F.P : Le bilan est aussi acide qu’amer. La crise n’est pas que politique. Elle est également économique, sociale et culturelle. Le Gabon a encore la gueule de bois. Son réveil continuera à être aussi douloureux chaque matin tant que les gabonais ne seront pas représentés par celui qu’ils ont démocratiquement élu pour représenter leurs intérêts. Trois ans après le déclenchement de cette crise, le destin de deux millions de Gabonais est toujours menotté, bailloné et brisé par un système monarchique qui piétine notre liberté et nos droits élémentaires.
Vous êtes un homme d’affaires investi dans différents secteurs industriels en terre gabonaise. Quel regard portez-vous sur l’état de ce secteur stratégique ?
F.P : Une révolution industrielle d’envergure s’impose au Gabon. Nul besoin d’être analyste économique afin de dresser le famélique bilan de la situation industrielle du Gabon. Les seules industries autour desquelles se forgent notre économie sont l’or noir et le produit de notre incroyable couverture forestière.
Les dirigeants de notre pays n’ont depuis notre indépendance jamais jugé nécessaire de promouvoir une dynamique industrielle autre que la simple exploitation des produits imposés par la diversité de notre très riche nature. Le Gabon est à ce jour dépendant de tout.
L’absence de manufactures et de grandes industries agro-alimentaires locales nous contraignent de devoir tout importer. Des fruits et légumes en passant par le dentifrice, presque tout ce que les Gabonais consomment vient d’ailleurs. Notre auto-suffisance alimentaire aurait dû être acquise depuis fort longtemps lorsque l’on sait que 2/3 de notre très faible densité de population se concentre dans seulement deux villes du pays. En plus de créer des emplois, une politique industrielle efficiente permettrait de consolider notre économie constamment spectatrice du cours du pétrole et des autres minerais.
Quel est selon vous, l’état du climat économique et des affaires au Gabon ?
F.P : Le climat économique et des affaires est le reflet direct de l’atmosphère politique du pays. Il ne saurait en être autrement tant que le pays se retrouvera en dehors de la route qui mène vers l’État de droit. L’instabilité politique et l’opacité qui règnent au sein des sociétés publiques censées gérer l’exploitation de nos richesses, minent la croissance et le développement économique et social de notre pays. Il faudrait pourtant si peu pour relancer l’économie d’un pays aussi faiblement peuplé que le nôtre. Mais même ce « peu » n’est pas assuré, et cela ne pousse pas grand monde à investir sur la durée.
La solidité d’un État naît de la bonne gouvernance et du respect des institutions. Aussi noble soit la graine, des racines qui se forment dans un sol pollué ne feront germés que des fruits infectés. La démocratie en plus d’être le socle nécessaire au développement et au progrès est également génératrice du bien-être économique et social.
Actualité oblige, une vaste opération dite Scorpion de lutte contre la corruption et le détournement de fonds publics a été mise en place ces dernières semaines. La pensez-vous être crédible ? Quel commentaire en faites-vous ?
F.P : Tout est possible au Gabon ! Surtout lorsque le peuple n’en profite pas.
Le scénario dramatique que nous vivons est digne des meilleures télénovelas brésiliennes. Entre télé-réalité et film d’action, les gabonais ont été spectateurs ces dernières semaines d’un spectacle qui dépasse l’entendement. Tel en est le résultat lorsque le sommet de la pyramide est vide, lorsque les gardiens de nos institutions se cachent, lorsque l’État censé présidé nos intérêts est à terre.
Une bande organisée a profité des errances du pouvoir et de l’instabilité politique qui règnent au Gabon afin de détourner les richesses des gabonais. Ce sont des agissements criminels. Les gabonais ne sont plus en colère. Au sentiment de désespoir se greffe un vertige national. Une horde d’individus s’est octroyée un Pouvoir qu’ils ne savent même plus contrôler entre eux, et dans ce règlement politico-judiciaire innommable, notre destin continue d’être noyé dans un océan fait de doutes et de manigances.
Un mot de fin ?
F.P : Notre passé a été écrit à notre place. Notre présent est dirigé contre nous. Notre futur… nous devons commencer à le rédiger.
Propos recueillis par Rostano Mombo Nziengui
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