Affaire La Poste : Alfred Mabika dit n’avoir pas confiance en la justice gabonaise
La justice gabonaise souffre d’un manque de crédibilité tant au Gabon qu’à l’international. Il est désormais courant que des justiciables préfèrent s’exiler ou en s’opposant à elle en demandant l’asile politique. Le procureur de la République, Steeve Ndong Essame Ndong a lancé un mandat d’arrêt international à l’encontre de plusieurs personnalités dont Alfred Mabika Mouyama, ancien P-DG de La Poste gabonaise qui dénonce dans une interview accordée à La Loupe ’’cette justice aux ordres, l’instrumentalisation de l’appareil judiciaire, l’orchestration d’une persécution injustifiée et des manipulations politiques’’ dont il affirme être victime.
Soulignons qu’il est marqué dans le marbre de notre Loi Fondamentale : une séparation constitutionnelle de pouvoirs entre l’exécutif et le judiciaire. Mais, dans notre pays l’état de droit est à géométrie variable, voire même inexistant. Car les mélanges de genres et les imbrications sont monnaies courantes. Le contre pouvoir judiciaire semble être assujetti aux injonctions permanentes du Palais du Bord de mer. Pour cause, son locataire incarne la fonction de président du conseil supérieur de la magistrature avec pouvoir de nominations des magistrats gabonais. Une situation qui jette le discrédit de la justice face à ses responsabilités avec une filiation trop politisée et façonnée à la coloration du régime Bongo-PDG
Sinon, comment comprendre qu’en qualité de chef de gouvernement, le Premier ministre Emmanuel Issoze-Ngondet, lui-même cité dans l’affaire des détournements présumés des subventions allouées par l’Etat à La Poste gabonaise, puisse décréter et diriger officiellement une opération judiciaire de grande ampleur dénommée "opération Mamba". Cette dernière est curieusement sensée traquer tous les délinquants financiers ayant mis la main sur des derniers publics, sans qu’il soit lui-même inquiéter. Y compris son ministre de la Communication, le justicier porte-parole, Alain Bilie By Nzé. Sans oublier, Alain Ba Oumar, cité en tant que bénéficiaire des subventions détournées, le nouveau chef du patronat gabonais avec son entreprise ’’Internet Gabon’’. D’ailleurs à nos jours aucune enquête n’a été diligentée par le Parquet de Libreville à l’encontre de ces trois personnalités. Nous sommes en présence d’une ’’Justice’’ à deux vitesses.
Réagissant à son tour au mandat d’arrêt international qui vient d’être récemment lancé contre lui au Gabon par le Procureur de la République, l’ancien P-DG de La Poste gabonaise, Alfred Mabika-Mouyama donne son avis sur cette poursuite judiciaire. Il précise en détail les raisons qui expliquent selon lui le fait qu’il n’a plus confiance à la justice gabonaise. Tout en dénonçant le complot politique orchestré et animé au sommet de l’Etat par le truchement d’Alain-Claude Bilie By Nzé. Il dit être victime de cet acharnement du fait d’une archive retrouvée dans les dossiers du défunt candidat à l’élection présidentielle de 2009, André Mba Obame faisant de lui son Premier ministre. Lisez dans les lignes qui suivent l’intégralité de sa réponse.
Alfred Mabika-Mouyama - Ancien P-DG de La Poste gabonaise :
J’ai comme vous appris cela par la presse et les réseaux sociaux. Mais, souvenez-vous que déjà au mois de janvier, le journal L’Union et des médias en ligne, relayés par les réseaux sociaux, annonçaient la délivrance d’un mandat d’arrêt à mon endroit sans que les motifs justifiant ce dernier ne soient indiqués. Je me demande donc, est-ce le même mandat ? Est-ce un second mandat ? Dans tous les cas, je réitère les propos que j’ai tenus lors de ma conférence de presse du 16 février dernier. J’ai dit à cette occasion qu’il était en principe normal dans un pays de justice qu’un dirigeant d’une grande entreprise soit entendu à propos de problèmes touchant la structure qu’il a gérée.
Dans mon cas, cela aurait été l’occasion de connaître exactement les faits qui me sont reprochés, de rentrer dans le fond du dossier. Et j’en aurais, j’en suis sûr, retiré la satisfaction de pouvoir démontrer que c’est bien l’aveuglement et les actes de certains représentants de l’Etat qui ont porté préjudice à La Poste, ses clients et partenaires et à ceux qui y travaillent avec dévouement et abnégation. C’est d’ailleurs pour cela que j’avais moi-même demandé à être interrogé directement lorsque j’observais que certains de mes anciens collaborateurs étaient injustement persécutés, pris pour bouc-émissaires afin de pouvoir ’’inventer’’ et ’’offrir’’ à la police du pouvoir des prétendues malversations que l’on voudrait m’imputer.
Cette position, je l’avais exprimée à Monsieur Bilié By Nze qui est l’un des hommes orchestres de cette persécution injustifiée. Or, au lieu de cela, on assiste à une ’’orchestration’’ de poursuites. Car, comme vous avez pu le noter, cette annonce de mandat d’arrêt s’est faite conjointement avec trois autres qui se rapportent à d’autres personnes et à d’autres affaires auxquelles je suis totalement étranger et qui pour certaines même remontent à plusieurs années, afin de scénariser une opération judicaire globale. Cette association est-elle vraiment neutre ? Nul n’est dupe et cela ne trompe personne.
Il ne fait aucun doute que ce qu’on cherche au fond, c’est à me faire taire. On veut m’intimider en me décernant une sorte de ‘’’mandat d’arrêt de parole’’. Car rappelez-vous, qu’est-ce qui explique qu’on arrive aujourd’hui à un mandat d’arrêt et à toute cette agitation ? La réponse est claire et simple : l’annonce de la publication de mon livre et la rupture de mon silence. C’est effectivement à compter de celle-ci, dès octobre 2016, avec la diffusion de cette information sur les réseaux sociaux, que s’est accélérée la mécanique macabre qui me vise.
C’est à partir de ce moment que le pouvoir, sous l’instigation de Monsieur Bilié By Nze, a non seulement monté des émissions télévisées à charge et des articles de presse ciblés, mais aussi arrêté des agents de La Poste pour les soumettre à des interrogatoires, samedi et dimanche pour certains, afin de leur soutirer des ’’aveux’’ orientés et commandités dans le dessein de façonner artificiellement des prétendus détournements que l’on souhaitait me mettre sur le dos.
Dans un état de droit sans une justice aux ordres, il serait aisé pour moi de prouver que je n’ai jamais eu à détourner des fonds de La Poste dans ma gestion de l’entreprise. Mais tout et n’importe quoi peut être fabriqué et construit pour donner la charge contre une personne condamnée avant d’être jugée. Dans cette affaire, on veut simplement tromper le peuple et empêcher que la vérité n’émerge. On veut se servir de la justice pour obtenir la mise à mort politique et sociale d’un individu. On veut se servir de la justice après s’être servi des médias.
Cela confirme bien l’existence des manipulations politiques que je dénonce longuement dans mon livre sur La Poste. Celles-ci continuent et se sont simplement intensifiées après la tenue de ma conférence de presse de présentation à Paris.
Depuis, des thuriféraires du pouvoir veulent se draper du manteau de la justice, pour régler leurs comptes politiques et étouffer la vérité. Ainsi, on tente d’instrumentaliser l’appareil judiciaire. Or, à propos de notre appareil judiciaire national, je me suis déjà aussi prononcé en indiquant que je ne lui fais pas confiance.J’ai vécu, comme de nombreux gabonais, des situations personnelles qui confortent cette défiance. A titre d’exemple, j’ai souvenance d’interventions surréalistes et de pressions que j’ai subies du pouvoir dans un dossier de recours judiciaire à l’occasion de l’élection municipale de 2013 à Mouila et dont M. Bilié By Nze était un des témoins actifs. En effet, sous la menace du pouvoir, j’avais été contraint de retirer un recours en annulation de l’élection municipale que j’avais introduit auprès de la Cour Constitutionnelle.
Ledit recours visait un élu-local qui détenait en même temps un mandat de député à l’assemblée nationale et était susceptible de conduire au prononcé de son inéligibilité.
Du simple fait que le Gabon ne voulait pas paraître comme un pays ayant une assemblée nationale monocolore, sans groupe parlementaire de l’opposition, je fus sommé par Monsieur Pacôme Moubelet et la Cour Constitutionnelle, intervenant pour le compte du pouvoir, de rédiger un acte de retrait de mon action qui était pourtant juridiquement fondée. Cela dans le but de favoriser l’élu local-député, afin de satisfaire le pouvoir.Dans cette situation de déni de justice à laquelle j’ai longuement refusé de me plier, Monsieur Bilié By Nze était témoin et intervenant. Je peux donner plus de détails sur cette affaire, ses implications et ses conséquences. Elle suffit pour me donner des raisons de ne pas croire à une justice gabonaise qui ne soit pas instrumentalisée.
Dans un pays de justice, il est inimaginable que le requérant que j’étais pût être mis au courant par avance de la décision de la justice face à mon action au point où cette dernière elle-même me demande de retirer mon recours pour permettre qu’elle rende une décision différente qui soit favorable aux calculs et attentes du pouvoir.Comment, Monsieur Bilié By Nze ayant été témoin actif de tout cela peut-il lui aujourd’hui me demander de me remettre à la justice gabonaise pour rétablir la vérité dans l’affaire de La Poste ? Par ailleurs, comme deuxième exemple, en 2011 j’avais saisi la justice gabonaise pour contester la régularité et la légalité du protocole d’accord qu’avait signé, à l’insu de La Poste, le ministre du budget de l’époque, Monsieur Emmanuel Issoze-Ngondet, avec la société Internet-Gabon et qui a permis le détournement des subventions de La Poste. Cette dernière est restée aphone.
Enfin comme troisième exemple, j’apporte dans mon livre la preuve de plaintes que j’ai déposées depuis plusieurs mois contre des journaux du pouvoir (Le Douk-Douk, La Griffe, et le Nganga), au sujet de nombre d’articles diffamatoires et mensongers publiés sur moi dans cette affaire de La Poste. Ces plaintes n’ont jusqu’à présent pas connues de suites. Visiblement elles n’intéressent pas la justice gabonaise ! Et la même justice, en quelques semaines, semble pourtant prompte à me ’’clouer au pilori’’ !!!
Au regard de ça, comment voulez-vous que je puisse avoir confiance en la justice de mon pays ? Et lorsqu’on me convoque moi, pourquoi ne convoque-t-on pas Monsieur Issoze-Ngondet ? Pourquoi aucune enquête n’est ouverte à l’encontre de l’Etat et de ses acteurs que j’accuse avec détails et preuves dans mon livre ? Voyez-vous, on donne là une image déplorable de la justice dans notre pays. En réalité ce mandat d’arrêt international est l’aboutissement d’une volonté d’élimination politique et sociale de ma personne en se servant de la justice comme instrument parce qu’elle est détenue par un pouvoir qui en use comme il l’entend.
A votre avis, pourquoi autant d’acharnement ? C’est là une question que se pose de nombreux gabonais. Seuls les auteurs connaissent exactement les raisons pour lesquelles ils s’acharnent sur moi. Je peux simplement deviner, au regard de la violence des coups qui me sont portés et des nombreux actes de nuisance perpétrés à mon endroit, qu’il pourrait s’agir d’un problème d’égos, d’antagonismes personnels. Visiblement certaines personnes voudraient me faire payer les mauvais choix qu’elles ont faits dans leurs vies, leurs échecs politiques personnels, ce afin d’assouvir leurs ambitions politiques futures.
Les gabonais étaient prêts à retenir une chose de mon passage à La Poste : « c’est l’homme qui a redressé La Poste et a créé la banque postale ». Cela ne faisait pas plaisir à tous les politiques ! Il fallait tout anéantir, détruire ma réputation, me salir et nuire à cette image de réussite. On me poursuit donc pour des raisons politiques et on fomente des motifs judiciaires en inventant des malversations financières. Sans doute une rancœur persiste chez certains du fait qu’on ait trouvé dans les archives de feu André Mba Obame mon nom annexé à la fonction de potentiel Premier Ministre. On me reproche par ailleurs de ne pas avoir participé à la campagne présidentielle de 2016. La crise de La Poste met sur scène les passions, les querelles personnelles, la peur de l’autre, les luttes de pouvoir. La vérité fuit le terrain, le débat étant politique.
Fin.
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