Emane Tole, ce chef guerrier gabonais qui résista à l’administration coloniale française
Avec l’intrusion violente des forces administratives et commerciales européennes, les Africains furent tout d’abord curieux et bienveillants mais cette attitude vite de passive à révoltée. L’un des premiers soulèvements fut celui du chef-guerrier gabonais, Emane Tole, pour lequel la rédaction d’Info241 retrace l’histoire dans ce nouveau numéro de « Fragments d’histoire ».
Présentation du personnage et genèse du conflit avec l’administration coloniale
Emane Tole ou Emane Ntole surnommé Assang-Méfa (signifiant "celui qui frappe à coups de coupe-coupe" est né vers 1846 à Nseghe, près de Ndjolé (Moyen-Ogooué). Il a été très vite un opposant farouche au diktat français. A l’origine, c’est à la suite d’un accident de chasse qu’un conflit naît entre deux villages : un Kota de Djambala tua un Fang Nséghé qui avait pour chef Emane Tole. Mais, les kota étaient connus des explorateurs pour leur échanges commerciaux divers et variés. Conscients de leur infériorité face aux fang, le chef du poste de Ndjolé intervient et se range alors du côté des kotas et décide de brûler le village de Nseghe.
Manifestations du conflit
La colère connaît un pic important au sein des populations et les agents du Congo français sont obligés d’intervenir deux fois en l’espace de deux mois, entre février et mars, pour la seule année de 1887. Un mois plus tard la colère des habitants de Nseghe ne s’est toujours pas estompée et les tensions vont de plus belle. "Ce sont des actes d’une audace inouïe de la part des pahouins", tel est le jugement que porte les explorateurs sur le comportement des fang notamment celui d’Emane et de ses serviteurs. Suite à cela, le commandant de Ndjolé demande en urgence, au commandant de Lambaréné appelé Labastic, l’envoi d’une canonnière pour assurer la sécurité de ses agents et des traitants qui était mise en péril. Une expédition est alors engagée à l’encontre de la rive droite mais elle sera mise à mal car l’agent en charge de ladite expédition visant à faire plier Tole, retournera bredouille avec une mâchoire pulvérisée par une balle lors de cette bataille.
Au cours de la même année, deux villages Fang dont celui de Nseghe, se trouvant sur l’île de Talagouga entre en discorde avec un traitant vivant à Ndjolé. Les deux villages réclament le droit de négociation relatif aux coûts des marchandises sans qu’elle ne soit plus conditionnée par ledit traitant. Un responsable se trouvant à proximité de la ville de Ndjolé prend position du côté du traitant et se rend à sa factorerie. Sur place, il trouve 150 hommes armés et n’a d’autre choix que de négocier. Il essaye de faire comprendre la situation aux chefs des deux villages concernés mais la résolution n’est pas du goût d’Emane Tole.
C’est en 1888 que les Fang voient leurs requêtes aboutir et deviennent des intermédiaires incontournables du commerce. Le militantisme de Tole permet aux fang de contrôler la région stratégique de Ndjolé et ce à partir de 1893, accentuant remarquablement le développement de la ville à tel point que l’activité commerciale avait été transféré sur la rive droite occupée par l’administration car Ndjolé était devenue trop étroite.
En 1895, Emane Tole refait parler de lui en s’en prenant à un traitant qui a eu la fâcheuse idée de couper les ressources aux Fang qui étaient les seuls intermédiaires dans les négociations avec les Duma de Lastourville. Le nouvel administrateur de Ndjolé, un dénommé Largneau, envoie une troupe pour soumettre le village de Nseghe mais Emane Tole refuse d’être assujetti. La population de Ndjolé, disposant d’une position stratégique, augmente considérablement car elle attire quantité de villageois qui s’implantent aux plus près des factoreries.
Deuxième phase des heurts
En 1896, un certain Veistroffer estime à environ dix mille le nombre de ses habitants composés que de Fang. Pour y remédier, Largneau et Veistroffer ordonnent durant le mois de mai, le déplacement de trois villages pour circonscrire un site pour les factoreries. Comme toujours, le village de Nseghe faisant partie des villages à déloger, boude cette injonction. Veistroffer furieux décide de détruire les cases pour contraindre le village à se déplacer. Emane Tole ne s’y soumet pas et ferme le fleuve. Cet affront pousse Veistroffer à mettre aux arrêts une cinquante d’enfants et femmes Fang choisis au hasard. Les autres Fang décident alors, deux jours plus tard, de chasser Emane Tole dans l’intérieur pour tenter d’apaiser la situation lui reprochant d’être le seul responsable des représailles qu’ils ont subi. Le calme fut de retour avec la réouverture du fleuve mais il ne fut que de courte durée.
En juillet 1896, la concurrence entre Fang et Kota s’intensifie. Les villageois de Nseghe mènent un assaut contre six courtiers de Djambala qui remontent de Ndjolé. Deux ou trois perdent la vie. Largneau monte à nouveau une expédition contre Nseghe mais Emane Tole, informé de la situation, s’allient avec six autres villages Fang. Il organise l’évacuation de Nseghe et dissimulent des guerriers sur les rives en laissant quelques hommes dans son village. Il est 4h du matin ce 23 juillet lorsque 18 miliciens sénégalais avancent vers Nseghe afin de surprendre le village pendant qu’il est endormi. Mais ils sont aussitôt assaillis. Durant le combat, les miliciens dénombre un mort et trois blessés. Emane Tole et ses hommes s’éclipsent dans la forêt. Largneau fait débarquer quelques jours tard, un détachement de 20 miliciens qui ne réussissent toujours pas à mettre le grappin sur Tole et ses hommes qui ne donne plus de nouvelles de lui.
Dès 1900, les Fang instaure un droit de passage aux marchandises sortant des concessions. Pour éviter que les Fang prennent le contrôle total des échanges commerciaux, la Société du Haut-Ogooué (S.H.O) décide de rouvrir le fleuve et de rétablir ses succursales afin de priver les villages proches de Ndjolé de ses revenus intermédiaires. Les frictions se ravivent. Oubliant leurs irritations internes, treize clans Fang s’unissent à Emane Tole qui regroupe entre 4000 et 5000 hommes. Ils attaquent les factoreries, bloquent le fleuve, attaquent les pirogues et alimentent la terreur par des menaces de pillage et de massacres. Entre janvier et juillet 1901, la S.H.O ne parvient à rompre cet embargo. Ladite société est complètement isolée et son personnel ne peut mettre le nez hors des concessions. Les villages environnants qui ont été privés de ressources s’activent alors dans le pillage et la destruction des comptoirs.
Veistroffer, seul à Ndjolé, demande alors du renfort mais convoque en l’attendant, une réunion avec les chefs Fang pour calmer les tensions et a gain de cause. Les chefs lui exigent la liberté de circulation et la fermeture des succursales dans le haut-fleuve. C’est sous forme d’escouade que le renfort débarque avec dans ses rangs cinquante miliciens suivie de trente hommes et un officier. Les chefs Fang se rendent alors compte de la trahison et de la duperie de Veistroffer qui a placé ses miliciens autour des magasins. Les combats reprennent mais les hommes de Veistroffer n’arrivent tout de même pas à rétablir l’ordre.
Fin de l’insurrection et déportation d’Emane Tole
Peu après, deux cents tirailleurs sénégalais venant du Dahomey arrivent à Ndjolé et mettent en pièce “l’armée“ de Tole, brûlant douze villages des plus insurgés. Nombreux sont les villageois tués ou fait prisonniers mais Emane Tole ainsi que son fils, qu’il a formé, restent introuvables. Par ailleurs, Emane Tole est dénoncé par ses beaux-parents, du clan Essinsu, chez lesquels il avait trouvé refuge. Mais il parvient de nouveau à s’échapper au moment où les miliciens venaient pour l’arrêter mais ils capturent son fils. En septembre 1902, il se rend tandis que les Fang sont toujours en révolte et se livre de terribles affrontements. En 1904, Emane Tole et son fils sont déportés à Grand Bassam.
Retour au pays du fils et disparition du père
Après huit ans derrière les barreaux, Tole Emane, fils d’Emane Tole revient au Gabon après avoir recouvert sa liberté. Il fonde le village de Mvam Zaman sur la rivière Ezanga au sud de Lambaréné. Son père quant à lui meurt en déportation en 1914 et reste très ancré dans la mémoire collective du peuple Ekang, comme héros aux injustices, à la répression et à l’exploitation coloniale. Il est, à n’en point douter, l’une des figures symboliques de la lutte contre l’occupation du colon.
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