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Le Gabon et son projet de Loi fondamentale de 2024 : Trajectoire, incertitudes et attentes

Le Gabon et son projet de Loi fondamentale de 2024 : Trajectoire, incertitudes et attentes
Le Gabon et son projet de Loi fondamentale de 2024 : Trajectoire, incertitudes et attentes © 2024 D.R./Info241

Dans cette tribune, le Dr Jean-Stanislas Wamba examine le projet de constitution gabonais de 2024, initié après le coup d’État du 30 août 2023, dans le but de réformer les institutions et renforcer la démocratie. Ce processus participatif s’inspire de la tradition des « arbres à palabres » et a suscité des échanges citoyens et politiques. Wamba souligne toutefois les incertitudes autour du texte, notamment les articles 52 et 53, qui fixent des mandats de sept ans renouvelables une fois et imposent des critères d’éligibilité basés sur l’ascendance culturelle. Ces dispositions divisent l’opinion, certains craignant une dérive autoritaire. Alors que le référendum approche, Wamba met en garde contre le risque de division nationale, insistant sur l’importance d’un choix éclairé pour l’avenir du Gabon.

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I.  Trajectoire

Il y a peu, au sortir du coup de force, requalifié « coup de la libération » du Gabon du 30 août 2023, une consultation populaire en ligne avait eu lieu, chevillée autour de l’avenir du pays. Une approche assez insolite pour un peuple dont la parole a souvent été confisquée, mais qui n’a point dérogé aux us africains de « l’arbre à palabres », cette métaphore florale trait à la tradition des assemblées ouvertes traditionnelles africaines, avec ses débats publics, passionnés. Une approche assez précieuse pour l’historien, aussi valable pour l’éducation des masses, sa participation, que pour la démocratie ; propice aux surenchères des rhéteurs démagogues des temps modernes, bien loin du sens élevé de la sagesse des crieurs publics de nos villages d’antan.

De ce premier moment, suivra un second temps, celui des travaux en ateliers dans la ville de Libreville ; où se sont réunis plus globalement des représentants du microcosme politique, social, religieux, économique, culturel gabonais. Sorte de comité de réflexion. Ils sont appelés à débattre, échanger, proposer, négocier, amender des réflexions et, donc harmoniser les contributions citoyennes collectées.

 Des contours des grands axes de réflexion qui se seront retenus par les participants, se dégageront ou s’esquisseront les conclusions des travaux qui feront émerger une sorte de « Pré-Constitution ». Il s’agit donc de préparer un avant-projet de Constitution. L’enjeu ? La future nouvelle République du Gabon et la nécessité de se procurer une Constitution neuve, forte. C’est la trajectoire, sinon la marche épineuse vers la solution du ‘’problème Constitutionnel’’ gabonais. Une Constituée naguère qualifiée ironiquement de ‘’Toure de Pise’’, tantôt persiflée par l’irritation de la rue, tantôt sentenciée par la vindicte populaire.

Le projet de la Pré- Constituante issue des contributions citoyennes serait alors et avant tout un accord sur la nécessité d’éviter, dans la controverse politique, qu’elle soit orale ou écrite, toute polémique oiseuse, dans la perspective de développer dans l’opinion un esprit de cohésion sociale, d’attente et de solidarité nationale pour la défense des intérêts du Peuple Gabonais dans son ensemble, pour la protection des décisions et résolutions à prendre en commun devant Dieux et devant les Citoyens gabonais souverains.

 Le projet de pré- constitution fonde ainsi une véritable Charte, un Espoir. Il s’agit d’un protocole absolument capital, destiné à suscité l’accord de tous pour un Gabon neuf, et que les plus hautes autorités de la Transition, en tête desquelles le Président de la République, entendent imprimer leur marque telle que le Gabon, devenant un pays ordonné politiquement et vigoureux économiquement, ne puisse retomber dans les archaïsmes et les boulimies de l’ancien chaos ; de se démarquer de la déficience des mœurs politiques souvent ragoter dans les quartiers populaires, ces Mapanes du pays. C’est au fond l’esprit et le fond du projet de texte constitutionnel qui, une fois abouti, serait la clef de voûte, l’organe appelé à la mission de régulation de l’activité des pouvoirs publics.

Les gabonais ont donc souhaité ou voulu, en conscience de cause, commencer à reconstruire cette République qu’ils veulent eux-mêmes par un Projet de texte de la Loi Fondamentale ; et s’ils le font en méconnaissance, sans tenir compte des nécessités absolues de dignité et de responsabilité de l’heure, cette opportunité historique pourrait leur échapper… Heureusement !

Le troisième moment, serait a priori la ratification si le OUI l’emportait ou NON du projet décidé par le corps électoral, c’est-à-dire le peuple souverain par le biais des consultations référendaires. Le projet constitutionnel reste donc à ratifier au référendum par la voix populaire.

Viendra ensuite enfin, en quatrième lieu, la notification du texte, c’est-à-dire l’appropriation officielle par le gouvernement de la Transition, ou alors l’institutionnalisation du texte approuvé par le peuple, la promulgation en principe du Texte par les deux chambres, l’Assemblées nationale et le Sénat. Cependant, cette trajectoire sinueuse semble parsemée de hics, et donc des incertitudes.

I.  Les hics du Projet

Or, à divers égards, les incertitudes ne manquent pas. Le fond d’une éventuelle querelle ? L’issue du referendum dont l’approbation semble incertaine pour les uns et sûre pour d’autres, vues des contingences du passé, et donc liées à l’histoire politique du pays.

Le fond de la querelle et ce qui semble en cause demeure sans conteste l’esprit même du projet constitutionnel qui paraît nourri d’incertitudes pour des lendemains, des doutes pour demain. Ce demain de l’après référendum. Ce demain que la République devra expérimenter, éprouver le nouvel esprit de la nouvelle loi fondamentale, une fois promulguée par les deux chambres des représentants.

Les perplexités que suscitent l’esprit du projet de demain, si un OUI, même transparent, précis, incontestable, net et claire l’emportait, et que ses partisans appellent de tous leurs vœux se cristallisent autour de deux points, en l’occurrence l’article 52 sur la durée du mandat présidentiel et, en sus, renouvelable une fois. Et l’article 53 sur une éligibilité conditionnée par des critères fixés sur une longue ascendance à prouver. Rien d’anormal a priori ! 

Alors, en quoi le problème constitutionnel qui demeure pour l’heure un simple projet serait-il source de désinvolture et de dépit ?

 De l’article 52 relatif à la durée du mandat du Président de la République, dont le timing est fixé à sept ans (7ans), il semble susciter une incertitude eu égard la place hors cadre des nouvels espoirs chez un peuple qui semble hostile aux dérives d’inamovibilité des cadres politiques et administratifs en fonction. Un peuple dont les appréhensions des rouages politiques traditionnels ne font plus rêver, et plus un, pour un projet porteur d’espérances et se voulant républicain et novateur, les réflexes d’inamovibilité rappellent simplement et davantage quelque chose de déjà connu. Le timing du mandat présidentiel tel que prévu par le projet constitutionnel rimerait ainsi pour certains avec l’usurpation de la souveraineté face à un future régime qui se révélerait le plus fort.

Que les institutions de la République dussent se reformer pour ne l’être du point de vue de la temporalité que de manière regressive, voilà un majestueux septennat à magnifier s’il le faut, une pilule à redorer ; car, le projet ressemble à une simple réformette qui, en sourdine fait grincer les dents et donne du grain à moudre aux spécialistes les plus notoires du droit constitutionnel et de la science politique demeurés sceptiques quant à l’hypothèse de l’orienter résolument dans des voies audacieuses.

Si pour d’aucuns un mandat présidentiel en 7ans rappelle notre passé politique cabossé et traumatique, il donne aussi l’impression, moins raisonnée qu’instinctive, de favoriser la réalisation des arrières- pensées de conquête du pouvoir pour des fins anti-démocratiques. 7 ans ! Cette assez longue échéance semble rimer avec la figure de l’homme du permanent, du continuel ; l’homme de l’ininterrompu, au-dessus des fluctuations de temps. Ce d’autant le mandat de 7 ans est renouvelable une fois.

Or, une démocratie véritable qui respire, une Nation dont la flamme d’appel d’air pétille au bon gré des flots d’oxygène libres, se devrait toujours de composer avec les discontinuités, avec les intermittences des consultations électorales qui savent parfois déjouer les pronostics des spécialistes, avec leurs balancements inattendus, leurs alternances, leurs variabilités élégantes, leurs oscillations voulues ou imposées par le peuple souverain, au rythme de ses sentiments. Ce qui est signe de la bonne santé démocratique dans une République. 

Pour autant, loin d’être un calice péniblement ingurgitable, le septennat paraît nécessaire à qui on laisse le temps et les possibilités de répondre de ses projets politiques et qui veuille réellement exécuter sa feuille de mission. Or, une large part de l’opinion semble mêler les pinceaux, exploitant le NON contre ceux- là qui gouvernent, tout en donnant le sentiment que voter OUI au projet Constitutionnel, serait voter Les Hautes Autorités qui conduisent la Transition. Une interprétation un peu assez étriquée, ramassée à coup sûr, mais qui répercute l’écho à l’article 53 !

Quant à l’article 53, il consacre des préalables à tout dossier de candidature. Des conditions qui semblent liées non seulement au sol gabonais, mais bien plus aux liens mystico-philosophiques avec l’ancestralité gabonaise. Le candidat devrait ainsi prouver sa communion mystique avec l’héritage culturel et cultuel des aïeux. Prouver sa foi aux mânes, par son attachement spirituel aux divinités, aux démiurges, au logos des anciens par la maîtrise de leurs langues, qui sont des témoignages d’une appartenance authentiquement avérée à la Nation gabonaise. C’est la démonstration d’une telle authenticité identitaire des origines, véritable incursion labyrinthique dans les arcanes de l’ascendance qui plaiderait pour votre candidature. Une descente dans le secret des cosmogonies des commencements des peuples Nzebi, Punu, Fang, Téghé, Kota, Kwelé, Babongo par l’appropriation de leurs parlers, leurs « dialectes »… C’est la preuve de cette immersion dans cette terre des ancêtres rebaptisée par le colon « Gabon », qui permettrait de donner quitus favorablement.

 Il s’agit d’autre part pour représenter la Nation au plus haut degré, outre le devoir ou la tâche d’être en lien avec l’univers du visible gabonais de l’ascendance, prouver sa symbiosité avec les souterrains de l’invisible des totems ; établir ses assonances avec les concordances des temps des palabres d’antan, démontrer les harmonies qui fondaient les entrelacs des contes, des devinettes et des mythes codifiant ou cryptant le quotidien des clans, des tribus, par des croyances, par des superstitions qui sont le réceptacle de la gabonité et donc de la spécificité de l’être nègre gabonais : son identité réelle. L’article 53 semble donc querellé, en ce qu’il invite les gabonais à s’approprier de leurs sentiments authentiques, de s’approprier aussi de leurs affects, de leur premier âge, l’enfance de leur identité tout simplement. A tout égard, le projet constitutionnel paraît un dessein ostensiblement sensible. 

 

II. La Problématique d’un projet sensible

A la question : « Approuvez-vous le projet de la nouvelle Constitution du Gabon (2024) ? qui certainement sera posée au peuple gabonais souverain ce samedi 16 Octobre 2024, deux avis a priori doivent se dessiner : le OUI et le NON, si l’on s’abstient de mentionner d’autres choix. (Abstentionnistes, bulletins blancs…) Mais alors, quel va être le sens exact du OUI ? Dire OUI au projet de la nouvelle constitution, ce serait-il du même coup, un OUI à la continuité du régime transitoire et même à son enracinement, comme d’aucuns le susurreraient dans les bastions populaires ? Nul doute, un dilemme existe. En effet, comment d’une part, dire OUI à un nouveau Gabon, à ses projets institutionnels, et en même temps, opposer un NON à ceux-là qui initient, activent des réajustements politiques d’une importance historique d’autre part ? Seul le Sens très élevé de l’éthique individuelle peut répondre.

En même temps, Dire NON au même projet, serait-il un NON indigné, et donc en porte à faux plus globalement aux artisans d’un nouveau Gabon ? Au fond, toutes ces petites controverses partisanes ombragent fort aise le fond réel du projet constitutionnel. Seule la déontologie de chacun peut départir ; car au terme du referendum, pour OUI ou pour NON, le dernier mot sera au peuple souverain, c’est-à-dire, le corps électoral. 

En ce que de « La dictature de la démocratie » qui postule une forme de pluralisme, mieux le modèle du pluralisme politique, par la liberté des choix à opérer ou qu’elle impulse chez les citoyens pour que ceux-ci donnent leur avis, il n’est malheureusement pas sans risque que la problématique référendaire, assez sensible, gage le pari de balkanisation de l’Espace politique. Le risque d’atomisation des liens, par conséquent le fractionnement de l’unité nationale, par les divisions éventuelles que d’aucuns voudraient susciter pour des raisons de clans, de partis ou d’ambitions personnelles. Or, dans le contexte actuel - contexte de la Transition oblige - seule l’unité nationale semble viable.

 

 L’Affirmatif ou le Négatif ?

Que l’intérêt supérieur de la Nation gabonaise donc exigeât que l’on répondît à la question de savoir si le peuple gabonais souverain approuve le projet de la nouvelle Constitution (2024), qui lui serait soumis ce samedi 16 Octobre 2024, il reviendra à chacun d’exprimer son choix. Que ce choix soit un OUI massif, mobilisateur et probant dans la perspective d’élargir les portes du développement du Gabon et de la prospérité de ses citoyens, ou qu’un NON synonyme de rejet du projet Constitutionnel l’emporte, quel coup ce sera alors au pays asséné, l’empêchant de poursuite l’élan, l‘essor vers la félicité ! Un NON d’indignation ? Le NON d’un pessimisme justifié ? Pour autant, le NON n’est nullement une fin en soi. Le NON entrainerait un nouvel espoir, un nouveau délai à élaborer. Un nouveau projet de Constitution à soumettre. Un nouveau referendum à gratifier au Peuple souverain, au grand bonheur des Transitionnistes qui se verront peut-être prolonger les saveurs de l’effort fourni durant ces deux années de durs labeurs.

Un nouveau Referendum est donc possible. Seulement, l’ennui de tout recommencer et le coût exorbitant de l’effort financier et humain consenti qui n’est pas sans amplifier les troubles des incertitudes.

 Les Incertitudes 

C’est qu’un habit mal coupé, dont les mesures ont été erronées, se corrige difficilement à l’essayage. Heureusement pour notre projet constitutionnel, étant donné que l’ancienne armature serait à conserver, il ne s’agirait guère donc que de retouches, seuls des articles querellés feraient l’objet de discussions. Espérons ainsi Positivement que notre précieux tissu de loi fondamentale, notre cher projet constitutionnel nous permettra de bien nous draper en cette saison de forte pluviométrie, de frilosité économique, sociale, de ce froid accablant, génant ; et qu’à l’image d’un tissu à confectionner, espérons que notre projet était assez bien mesuré, bien coupé, bien modélisé, bien ajusté ; et que l’habit irait bien au corps électoral Gabonais.

 


Dr. Jean – Stanislas WAMBA, Chercheur-Enseignant, Spécialiste des Questions de Littérature et Post-colonialisme. Consultant en Conduite d’Innovations Technologiques, Sociales et Projets.

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