Durant plus de dix ans, les férus gabonais de football ont eu la grâce de voir jouer un véritable manipulateur du ballon rond au sein de l’antre sacré du stade Omnisport Omar Bongo en la personne de Théodore Zué Nguéma (1973-2022). Sa vivacité mettait mal en point les défenseurs adverses et sa fulgurance les médusait. Son pied gauche était aussi souple et rapide qu’un silure dans son habitat naturel.
Les commentateurs plaisaient à scander indéfiniment son nom au moment où il portait la balle sur son pied « maradonaéen » tandis que le virage mythique du stade éponyme du président de la République gabonaise de cette époque était à chaque fois en transe et en admiration devant l’aisance technique et la maestria de sieur Zué. « Le chabbat » était pour beaucoup de supporteurs de l’époque, le « Saint-Lieu » de la frénésie et de la passion de fans de l’équipe nationale plus spécifiquement de ses stars. C’est ainsi qu’au milieu des années 1995, l’arrivée d’un jeune homme de 25 ans reconnaissable à sa petite taille va redonner un souffle nouveau aux ambianceurs de l’Omnisport, adeptes de gestes techniques et friands de sensations fortes.
En quelques minutes, les spectateurs de la rencontre tomberont sous le charme de cette nouvelle pépite au sein de la sélection gabonaise qui se fait appeler à cette époque « Azingo ». Jusqu’en 2005, Théodore Zué Nguéma était le chouchou du public gabonais car l’on ne pouvait s’empêcher d’être charmé par la pugnacité, la dévotion et les prouesses techniques de cet attaquant qui a provoqué, et ce à maintes reprises, des scènes de liesse donnant lieu à des séismes émotifs dans les tribunes de l’enceinte de l’Omnisport au moment de ses buts ou de ses dribbles dévastateurs. Voici son histoire.
Naissance
C’est au village Dimbala situé dans la ville de Mongomo que naît Théodore Zué Nguéma le 9 novembre 1973 en Guinée-Equatoriale, pays frontalier au Gabon par le Nord-Ouest via la province du Woleu-Ntem. Théodore Zué Nguéma né Téodoro Nsué Nguéma Nchama, rejoint le Gabon dès son plus jeune notamment la ville d’Oyem, capitale provinciale de ladite province, car il en est aussi originaire de par certains de ses parents.
Cursus
Théodore Zué Nguéma entame ses études primaires à Oyem à la fin des années 1970 et y obtient son Certificat d’études primaires (CEP). Puis, il poursuit son parcours scolaire au secondaire au lycée d’Etat d’Oyem. Cependant, passionné depuis sa tendre enfance par le football, le jeune Théodore caresse le rêve de devenir footballeur et d’en faire son métier à part entière. C’est ce qui explique sa décision d’arrêter ses études pour uniquement se concentrer sur sa carrière de footballeur, lui dont le talent a été remarqué de tous et dont les observateurs locaux promettent un avenir radieux.
Carrière footballistique en club
Agé de 17 ans, le talentueux Zué Nguéma rejoint en 1990 un club de football d’Oyem du nom de Santé Sports d’Oyem. Ses prestations remarquables le font gagner en notoriété et on en vient à parler de lui au sein des plus grandes formations de football du pays. Un club en particulier s’intéresse à lui : l’Union sportive O’Mbila Nziami (USM) de Libreville présidé par Jean-Boniface Assélé, beau-frère du président Omar Bongo et ministre des Eaux et Forêts avant qu’il ne démissionne du gouvernement en avril 1990.
C’est à l’occasion d’une rencontre scolaire opposant le lycée d’Etat d’Oyem au lycée Djoué Dabany (LDD) que sieur Assélé tombera sous le charme de Zué Nguéma. Soulignons que les qualités balle au pied du joueur qu’était notre protagoniste furent étonnantes et sa technique irréprochable tout autant que sa pointe de vitesse. Il faut dire qu’un footballeur gaucher avec une aisance technique comme celle de « Zuénildo » était une arme de destruction massive pour toutes les défenses se dressant contre elle. Finalement en 1991, Théodore Zué Nguéma sera recruté par l’USM. Il devient un phénomène national et un dribbleur sensationnel doté aussi d’un sens du but incroyable.
Théodore Zué Nguéma fut un véritable poison pour ses adversaires, sa fulgurance et ses dribbles faisaient de lui le bourreau des défenseurs du championnat national gabonais. Durant cinq ans avec son club de l’USM, Zué Nguéma a fait fantasmer quantité de supporteurs et supportrices gabonais, son coup de rein étant un atout léthal pour éliminer facilement ses opposants sur le terrain ; on le surnomme dorénavant « le Pelé national », « Petit piment », « pied gauche magique », « Zuénaldo » ou tout simplement « Théo » pour les intimes. En 1996, Théodore Zué Nguéma ira grossir l’effectif de Mbilinga FC, équipe de football basé à Port-Gentil dans la province de l’Ogooué-Maritime.
Il n’y restera qu’un an et s’envolera par la suite pour l’Ouest de la France notamment au sein de Angers Sporting Club de l’Ouest (Angers SCO), formation de football jouant en troisième division française (National 1). Arrivé le 1er juillet 1997, Théodore Zué Nguéma n’y restera qu’une seule année au cours de laquelle il disputera 28 rencontres pour quatre buts marqués. Après son départ du SCO d’Angers le 1er juillet 1998, Zué Nguéma atterrit en Tunisie à l’Espérance sportive de Zarzis (ES Zarzis).
Après une saison passée à l’ES Zarsis, Théodore Zué Nguéma file au Portugal et rejoint le Sproting Braga. Il y passe deux saisons mais ne joue pas régulièrement car n’ayant pris part qu’à huit rencontres. En 2001, Théodore Zué Nguéma regagne le Gabon et s’engage avec le Football Canon 105 (FC 105) de Libreville. En 2004, il se sépare dudit club et se fait recruter par le Delta Téléstar Gabon Télécom Football Club. C’est au sein de cette formation qu’il prendra sa retraite en club à la fin de la saison 2006-2007.
Carrière en équipe nationale
Théodore Zué Nguéma a enfilé pour la première fois le maillot de la sélection nationale en 1995 au moment où il était sociétaire de l’USM. Il aura trouvé le chemin des filets à 23 reprises en 77 sélections, faisant de lui le meilleur buteur de l’équipe nationale de football du Gabon. Il était l’un des principaux acteurs lors de la Coupe d’Afrique des nations (CAN) de 1996 organisée en Afrique du Sud qui verra le Gabon atteindre pour la première fois de son histoire, ce stade de la compétition. Théodore Zué Nguéma fut aussi l’un des grands artisans de la qualification du Gabon à la CAN 2000 coorganisée par le Ghana et le Nigéria. Lui et ses coéquipiers essuyèrent aussi des échecs lors des qualifications des CAN 1998, 2002 et 2004 se déroulant respectivement au Burkina-Faso, au Sénégal et en Tunisie.
Cependant, Théodore Zué Nguéma porta le maillon de la sélection national avec fierté, amour, altruisme et entrain. Les difficultés auxquelles les footballeurs de l’époque étaient confrontés le poussaient souvent à payer les billets de certains de ses coéquipiers. L’engagement dont il a fait preuve était tel que le public le lui rendait bien en scandant sans relâche son nom et en l’adulant à la hauteur de ses rendus durant les matchs. A chaque qu’il avait le ballon et qu’un défenseur adverse se présentait devant lui, on pouvait entendre aisément les commentateurs de la rencontre en communion avec les supporteurs s’écriant « Zué, Zué, Zué… ». Un plaisir que les habitués de l’omnisport et les amoureux du ballon rond en terre gabonaise sont bien loin d’oublier. Théodore Zué Nguéma mit fin à sa carrière internationale en 2005.
Quelques prestations de haut vol
En date du 10 novembre 1996, le Gabon affronte le Ghana lors d’un match éliminatoire comptant pour la coupe du monde prévue la même année en France. Au coup d’envoi, Théodore Zué Nguéma débute sur le banc. En cours de match, il fait son entrée sur la pelouse en lieu et place de Jonas Ogandaga. Il fait signe à son coéquipier jouant en défense, Guy Nzeng, de dégager la balle sur le flanc gauche de l’attaque. En récupérant le ballon, « petit piment » trompe le portier ghanéen et ouvre le score à la 65ème minute de jeu.
Le stade explose et les adversaires du jour n’en reviennent pas. N’eut été l’égalisation de Abédi Pelé une minute plus tard, le Gabon aurait pris les 3 points. Mais l’équipe du Ghana salua unanimement la performance du « Pelé gabonais ». Autre prestation de haut rang contre le club congolais du nom de Daring Club Motéma Pembé au courant de la saison 1996-1997 précisément en mars 1997. Théodore Zué Nguéma est à cette époque sociétaire du club gabonais Mbilinga FC qui l’emporte au match aller 3 à 0 face à ladite formation en provenance du Congo. Au match retour, les joueurs du Daring Club Motéma Pembé ne comprennent pas ce qui leur arrivent et comment diable « pied gauche magique » est aussi incisif.
En effet, après chacun des deux premiers buts marqués par les congolais, « Zué Nguéma » s’empare du ballon et élimine toute la dépense pour passer le ballon à son compère d’attaque, le nommé Aurélien Bekogo. Lorsque le tableau d’affichage indique le score qui est de 3-2 en faveur du Daring Club, « Zuénildo », marque le but d’égalisation et le célèbre en enlevant son maillot. Mais l’arbitre, sûrement en faveur des locaux, administre un rouge direct à « petit piment » au grand étonnement du banc gabonais. Mbilinga Fc s’inclinera 4 buts à 3 au coup de sifflet final.
Toujours lors de la saison 1996-1997, le Mbilinga Fc affronte l’équipe burkinabé de l’Association sportive du Faso-Yennenga (ASFA Yennenga) pour le compte de la coupe d’Afrique des clubs champions. Au match aller, la formation de Mbilinga Fc s’impose au match aller 13 buts à zéro dans l’antre du stade omnisport Omar Bongo. Théodore Zué Nguéma est durant cette rencontre insaisissable. Prestations toutes aussi remarquables de Valéry Ondo et d’Aurélien Békogo. Au match retour, Asfa Yennenga déclara forfait.
Par ailleurs, le 22 juin 1997, le Cameroun reçoit à Yaoundé l’équipe d’Azingo national lors d’un match éliminatoire comptant pour la coupe d’Afrique des nations 1998 devant se disputer au « pays des hommes intègres ». Le Cameroun domine la rencontre et mène bientôt le Gabon par 2 buts à 0. C’est à ce moment que « pied gauche magique » rentre en scène. Bien qu’Aubame Yaya marqua le pénalty pour la réduction du score et, Aurélien Békogo à la 87ème minute, encore lui, planta le but de l’égalisation, le mérite revint indéniablement à Théodore Zué Nguéma.
Les mythiques défenseurs de la sélection camerounaise, Rigobert Song et Raymond Kalla, en verront ce jour des vertes et des pas mûres car « Zuénildo » était en osmose malmenant toute la forteresse camerounaise. Rigobert Song martyrisé durant une bonne partie de la rencontre par « petit piment » suite à sa magistrale prestation lui demanda dans quel club il évoluait. « Moi, je ne joue pas en Europe. C’est mon grand frère, Aubame Yaya, qui joue avec vous là-bas. » répondit humblement Théo.
Aussi, Théodore Zué Nguéma fera encore parler de lui lors des éliminatoires de la CAN 2000 coorganisée par le Nigéria et le Ghana. Etant sans club tout en charbonnant pour subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille, « petit piment » est malgré tout appelé en sélection pour venir défendre les couleurs de son pays lors des matchs de qualifications qui se déroulèrent d’octobre 1998 à juin 1999. Mission qu’il remplira fièrement avec entrain et efficacité en finissant meilleur buteur gabonais des éliminatoires.
C’est d’ailleurs lui qui sera le grand artisan de la validation du billet du Gabon pour la CAN 2000 notamment durant le match face à la redoutable équipe d’Afrique du Sud, emmené par son serial buteur maison Benedict McCarthy, qui corrigea le Gabon 3 buts à 1 au match aller sur ses terres avant que la formation d’Azingo ne prenne sa revanche à Libreville en venant à bout des « Bafana Bafana » sur le score de 1 buts à zéro ; ce fut un véritable calvaire pour les défenseurs sudafricains Mark Fish et Lucas Radébé qui apprirent à leur dépens la fulgurante technique et la vivacité explosive de « Zuénildo ». Ce sont ces performances de très bonne facture qui ouvriront à nouveau les portes de l’Europe « au Pelé gabonais » en direction du Portugal pour parapher un contrat avec le Sporting Braga.
Palmarès
Théodore Zué Nguéma a remporté le championnat du Gabon à une seule reprise. C’était en 1996 avec le Mbilinga FC. Il a été vainqueur de la Coupe du Gabon trois fois durant. En 1991, Théodore Zué Nguéma l’a gagné avec l’USM en 1991, puis en 1997 avec Mbilinga FC et enfin en 2006 avec Delta Téléstar Gabon Télécom FC. Il a aussi soulevé la Coupe de l’Union des fédérations de football d’Afrique centrale (UNIFFAC) en 2005.
Reconversion
En 2009, Théodore Zué Nguéma décide de bâtir sa nouvelle vie en Guinée-Equatoriale, son autre mère patrie. Il compte évidemment vivre non loin de sa passion qu’est le football. Théodore Zué Nguéma devient entraîneur-formateur. Pour ce faire, il bénéficie de l’appui des autorités équatoguinéenes qui lui fournissent les moyens dont il a besoin notamment les airs de jeu. Cette initiative est aussi, à l’évidence, une aubaine pour les dirigeants du pays car les jeunes bénéficient là de l’expérience et de l’expertise d’un ancien grand joueur de football qui aura marqué son temps. Notre « Pelé » national avait en effet préféré s’exiler car comme beaucoup d’autres internationaux, il ne trouvait aucun soutien de la part des autorités gabonaises. Ce dernier avait même essayé de rentrer en contact avec le président fédéral actuellement réélu, Jean-Alain Mouguengui, mais la froideur de leurs échanges le poussa à s’éloigner.
En Guinée-Equatoriale, Théodore Zué Nguéma avait été pendant longtemps l’entraîneur du club « Futuro Kings FC » dont il avait orchestré d’une main de maître la montée durant la saison 2021-2022 ; c’est d’ailleurs lui qui avait fondé ladite formation par le bais d’un centre de formation éponyme audit club à travers un projet d’envergure qu’il avait lui-même initié ; il avait mis en place plusieurs structures destinées à l’épanouissement et à la formation des jeunes tels que des centres sport-études. Il avait aussi été chargé de la gestion de la sélection U17 du Nzalang nacional, le nom que porte l’équipe équatoguinéene de football.
Dernière confrontation
Le jeudi 5 mai 2022 restera à jamais la fatidique date de la fin de carrière de Théodore Zué Nguéma, celle au cours de laquelle il disputa à 48 ans le dernier match de sa vie à l’hôpital de Bata contre une terrible crise qui l’emporta vers le monde des morts. L’information fut confirmée par la FEFAFOOT qui adressa un communiqué de presse pour présenter ses condoléances à la famille ainsi qu’au peuple gabonais qui fut meurtri par cette disparition. Les obsèques et l’inhumation de Théodore Zué Nguéma se déroulèrent en Guinée-Equatoriale précisément dans la commune de Mongomo située dans la province du Woleu-Nzas. C’est à cet endroit qu’il passa de vie à trépas.
Plusieurs hommages lui firent rendu par une large partie de la population gabonaise vivant sur le territoire ou faisant partie de la diaspora. Plusieurs de ses ex coéquipiers à l’instar de Eric Mouloungui, Jaduve Mboumba Ikangala, Rodrigue Moundounga ou encore Cédric Moubamba saluèrent aussi la mémoire du défunt et effectuèrent même le déplacement en terre équato-guinéenne. Une délégation constitué de certains membres de la FEGAFOOT, de l’Association nationale des footballeurs professionnels du Gabon (ANFPG), de l’Association des clubs professionnel de football (ACPF), de la Ligue nationale de football (Linaf) ainsi que de l’Association des journalistes sportifs du Gabon fut conduite par le directeur de cabinet du ministre de la jeunesse et des sports empêché, le nommé Dr Marcel Joachim Medzegué, pour rendre une dernière fois hommage à l’ancien numéro 7 et ancien capitaine d’Azingo qu’était Théodore Nzué Nguéma.
Aussi, la Fédération internationale de football association (FIFA) par l’entremise d’un communiqué de son président, Gianni Infantino, avait tenu à rendre un vibrant hommage à cette légende vivante du ballon rond gabonais.
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