Savoirs ancestraux volés : Le Gabon doit réagir face à la biopiraterie !
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Dans cette tribune libre pour les lecteurs d’Info241, le révérend Clément Leyinda, doctorant en leadership transformationnel à l’Université de l’Alliance Chrétienne d’Abidjan, alerte sur la biopiraterie, un phénomène qui menace les savoirs ancestraux gabonais en matière de médecine traditionnelle et d’ethnobotanique. Le Gabon, riche d’une biodiversité exceptionnelle, voit ses ressources génétiques et les connaissances des communautés locales exploitées sans consentement ni partage des bénéfices, comme l’illustre le cas du Quassia Amara en Guyane française. À travers des exemples concrets, l’auteur met en lumière la vulnérabilité des savoirs traditionnels face aux multinationales et aux chercheurs étrangers, qui s’approprient ces précieuses connaissances pour en tirer profit. Lecture.
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Le Gabon fait partie des pays les plus boisés d’Afrique, abritant une biodiversité exceptionnelle. Selon l’Herbier du Gabon [1] , « aujourd’hui, environ 5 300 espèces de plantes vasculaires sont connues dans le pays, mais on estime que leur nombre réel dépasse largement les 7 000 ». Cette richesse floristique a constitué au fil du temps un formidable terrain d’apprentissage pour les communautés locales, qui ont développé au contact de leur environnement naturel d’importantes connaissances empiriques en matière d’ethnobotanique et de pharmacopée traditionnelle. Selon certaines études, plus de 300 espèces végétales sont aujourd’hui utilisées de manière courante par les gabonais pour soigner les maux les plus fréquents.
Or ce patrimoine culturel immatériel d’une valeur inestimable se trouve désormais menacé. D’une part, la mondialisation et le développement de l’industrie pharmaceutique accroissent les risques de biopiraterie sur le territoire gabonais. D’autre part, le contexte actuel de mutations sociétales rapides au Gabon lui-même engendre une érosion croissante des savoirs traditionnels, dont la transmission orale intergénérationnelle se fait de plus en plus fragile.
Il devient donc urgent de se doter d’un cadre législatif adapté garantissant une protection efficace de ce patrimoine immatériel contre la biopiraterie, tout en permettant son exploitation durable au bénéfice du développement local. C’est l’enjeu majeur auquel entend contribuer cette tribune libre, en attirant la très haute attention des plus hautes autorités de notre pays notamment en ce qui concerne l’arsenal juridique en lien avec cet objectif.
Pour rappel, la biopiraterie, selon les conventions internationales (Convention sur la diversité biologique (CDB) adoptée en 1992 et le Protocole de Nagoya adopté en 2010), se réfère à l’appropriation illégitime des ressources génétiques et des connaissances traditionnelles associées, souvent sans le consentement des communautés locales et/ou sans partage équitable des bénéfices.
A titre d’exemple :
En 2003, une équipe de chercheurs de l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD) a effectué une étude auprès des communautés autochtones et locales de Guyane française afin de recueillir leurs connaissances traditionnelles pour le traitement du paludisme. Selon les chercheurs, il s’agissait de valoriser les remèdes traditionnels qui ont largement prouvé leur efficacité. 117 personnes issues de différentes communautés de la Guyane ont participé à cette étude (des membres de la communauté Kali’na, Palikur, des créoles, un Hmong, des brésiliens et des européens). Les chercheurs ont notamment collecté les données suivantes : « le nom vernaculaire des plantes ; les parties de la plante utilisées ; la recette ou le mode de préparation, le mode d’administration, la posologie, les contre-indications, etc. ».
Le projet de recherche a conduit à l’identification de 45 remèdes traditionnels et de 27 plantes dont la plus utilisée : Quassia Amara. Les chercheurs ont reproduit et étudié en laboratoire les remèdes collectés. Ils sont parvenus à identifier à partir de la plante Quassia Amara deux molécules – la Simalikalactone D (SkD) et la Simalikalactone E (SkE) – présentant un intérêt pour la lutte contre le paludisme. Le 18 juin 2009, l’IRD a déposé une demande de brevet portant sur l’utilisation de la SkE pour le traitement du paludisme (EP2443126). En 2015, le brevet a été délivré par l’Office Européen des Brevets (OEB).
(Thomas Burelli, Professeur de droit, section de droit civil, université d’Ottawa, Canada. L’affaire Quassia Amara : un cas emblématique de biopiraterie catalyseur de nombreuses évolutions sociales et juridiques [2] , Pages 677 à 703.)
Cette histoire qui se déroule en Guyane Française et bien d’autres histoires similaires illustrent bien comment des organisations internationales volent, il n’y a pas d’autres mots pour le dire, des ressources génétiques et des connaissances traditionnelles des populations autochtones sans procéder au partage équitable des avantages.
Au Gabon, le Journal d’ethnopharmacologie [3] rapporte que « plus de 60 % de la population dépend des traitements traditionnels comme soins de santé primaires » pour le traitement du diabète sucré. Dans ce même article, une enquête ethnobotanique est réalisée au marché de la Peyrie à Libreville sur les plantes médicinales gabonaises utilisées pour traiter les helminthiases. Le même journal argue que « dans le cadre d’un projet d’identification de nouveaux composés actifs sur les parasites du paludisme, nous avons testé l’activité antiplasmodiale in vitro de neuf plantes traditionnellement utilisées pour traiter les symptômes du paludisme dans la province du Haut-Ogooué, au sud-est du Gabon. » Et que dire des études qui ont permis de mettre en évidence certaines plantes médicinales utilisées par les populations locales gabonaises dans la prise en charge des maladies opportunistes du VIH/SIDA ?
Au regard de cette quête heuristique sommaire, nous sommes amenés à nous poser les questions ci-après : Dans quelle mesure la législation gabonaise actuelle permet-elle une protection efficace des savoirs traditionnels médicinaux face aux risques de biopiraterie, et comment pourrait-elle être améliorée à la lumière des meilleures pratiques internationales ?
En d’autres termes :
Dans quelle mesure l’arsenal juridique gabonais actuel parvient-il à assurer une protection efficace des savoirs traditionnels médicinaux des communautés locales contre les risques de biopiraterie ?
Quelles améliorations pourraient être apportées à la lumière des standards internationaux et des meilleures pratiques d’autres pays, afin de renforcer la défense des droits des détenteurs de ces savoirs face aux acteurs de bioprospection ?
Nous y reviendrons !
[1] http://herbiergabon.fr/gabon/collection, consulté le 12 février 2025
[2] https://shs.cairn.info/revue-juridique-de-l-environnement-2019-4-page-677
[3] Volume 216 ,24 avril 2018, pages 203-228 lu sur : https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0378874117316677
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