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Gabon : réflexions pré-électorales sur la mascarade en préparation

Gabon : réflexions pré-électorales sur la mascarade en préparation
Gabon : réflexions pré-électorales sur la mascarade en préparation © 2023 D.R./Info241

Dans cette tribune libre, universitaire gabonais Marc Mve Bekale réagit à l’instauration du bulletin unique présidentielle/législative par parti des autorités gabonaises. Pour l’auteur, « Avec le bulletin de vote unique, Ali Bongo, par le biais du CGE (Centre Gabonais des Elections) et de la Cour constitutionnelle qui l’a entériné, a pris l’électeur en otage en lui plaçant le couteau sous la gorge ». N’hésitant pas à parler d’une mascarade électorale en préparation. Lecture.

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Le processus de décolonisation de l’Afrique francophone a coïncidé avec l’instauration de la Vème République en France. Un vrai basculement institutionnel que le général de Gaulle posa comme condition à son retour au pouvoir après sa démission fracassante en 1946.
Que recherchait De Gaulle avec la constitution de 1958 ?

Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, les empires européens sont ébranlés. Nombre d’anciennes colonies y voient une faille dans laquelle se glisser afin d’accéder à d’accéder à l’indépendance. En 1946, commence la guerre d’Indochine ; la révolution algérienne suivra huit ans plus tard. En Afrique noire, souffle également un vent anticolonialiste, notamment au Cameroun où l’UPC de Ruben Um Nyobe, confronté à la volonté française de prévenir toute « contagion subversive », entre dans le maquis en une guerre dont le bilan définitif, impossible à établir, est estimé entre 60000, 75000 et 120000 mille morts.

Face à toutes ces crises et à l’instabilité de la IVème République française, De Gaulle opte pour un dispositif institutionnel inédit, au centre duquel est placé le président de la République : celui-ci en est la clef de voûte, assure l’efficacité et la continuité de l’Etat. De Gaulle résumera lui-même la prééminence de l’exécutif en ces termes : « Ce qui, pour les pouvoirs publics, est désormais primordial, c’est leur efficacité et leur continuité . Nous vivons en un temps où des forces gigantesques sont en train de transformer le monde. Sous peine de devenir un peuple périmé et dédaigné, il nous faut dans les domaines scientifique, économique et social évoluer rapidement. […] Il y a là des faits qui dominent notre existence nationale et doivent par conséquent commander nos institutions. » [déclaration citée par Fabien Escalona dans Médiapart, 16 août 2023].

 Le président est donc doté de pouvoirs très étendus comme, par exemple, la dissolution de l’Assemblée nationale, la convocation des référendums, des pouvoirs spéciaux liés à la sécurité du territoire national, et le fameux article 49.3 qui permet de neutraliser toute motion de censure. Viendra ensuite en 1962, l’instauration de l’élection présidentielle au suffrage universel. Ce nouveau format institutionnel est facilement entériné parce que le général de Gaulle bénéficie d’une légitimité historique et charismatique.

En changeant de modèle institutionnel, De Gaulle visait un objectif : travailler ardemment à la restauration de la grandeur et de la puissance de la France ( He wanted France Back pour reprendre le slogan de Donald Trump à propos des Etats-Unis). A cet égard, il avait besoin de pouvoirs accrus. De Gaulle était loin de rechercher le pouvoir en soi, dont il ne tirait d’ailleurs aucun avantage qui n’était en lien avec les nécessités de la fonction qu’il occupait.

Perverti à l’indécence, l’esprit des institutions de la Vème République française, adoptée en Afrique francophone, a connu des dérives dictatoriales. La dernière en date, qui vient s’ajouter aux multiples tripatouillages de la constitution, se rapporte à la mise en place d’un bulletin de vote unique. Ce mode électoral, sorti sous le chapeau à la dernière minute, apparaît antithétique du fondement du parlementarisme rationalisé, qui visait à surmonter un modèle institutionnel chaotique, placé sous la coupe des partis politiques, et à la séparation des pouvoirs de l’exécutif et du parlement. Avec le suffrage universel, le président recevait l’onction du peuple. Il avait définitivement les coudées franches pour mener sa politique et éviter des blocages inutiles qui étaient l’apanage de la IVème République.

Au Gabon, ce format institutionnel a fait le lit d’un régime inique, plaçant le système électoral sous le contrôle d’un autocrate qui manipule les règles à l’envi.

Avec le bulletin de vote unique, Ali Bongo, par le biais du CGE (Centre Gabonais des Elections) et de la Cour constitutionnelle qui l’a entériné, a pris l’électeur en otage en lui plaçant le couteau sous la gorge. Ici, c’est le champ de la liberté, au cœur de toute démocratie, qu’il a réduit. Oui, la liberté de vote me laisse le choix d’envoyer à l’Assemblée nationale un candidat du PDG de ma circonscription tout en rejetant Ali Bongo. De même que je peux accorder mon suffrage à Ali Bongo et élire un député de l’opposition. Ce type de situation conduit à la cohabitation ou à la cogestion politique au sein de l’exécutif (cas déjà arrivé en France) ou entre l’exécutif et le Congrès (cas constaté aux Etats-Unis).

Outre ma liberté, d’innombrables autres facteurs peuvent justifier un tel positionnement que d’aucuns jugeront contradictoires. Le premier facteur se rattacherait, à titre d’exemple, à la recherche d’un équilibre des pouvoirs, au refus de voir une seule écurie politique dominer tous les organes de l’Etat. Et l’histoire du Gabon le démontre. Les Bongo et le PDG contrôlent tous les leviers du pouvoir, pourtant ils n’ont jamais été capables d’accélérer le développement du Gabon.

Opposition : jeu d’égos stupides et déficit de réflexion politique

L’instauration du bulletin de vote unique est emblématique d’un clan politique résolu, depuis plus d’un demi-siècle, à ne céder aucune once de son règne. Une opposition sérieuse n’aurait guère entériné ce jeu où les dés sont pipés. Mais on le sait. L’opposition gabonaise souffre d’un déficit patent de pensée stratégique. Point besoin d’un think-tank pour reconnaître que, face à la machine Bongo-PDG, le salut passe par une synergie entre candidats dotés d’un capital « d’électabilité » - electability , néologisme anglais sans équivalent en français, renvoie à l’ensemble d’attributs objectifs et subjectifs, physiques, moraux, émotionnels, intellectuels et politiques qui rendent un candidat attrayant auprès du public.

Or pour beaucoup, les élections sont d’abord une « foire aux vanités ». Un rendez-vous personnel avec une histoire qu’ils n’écriront jamais par une démarche égoïste. Raymond Ndong Sima, Alexandre Barro Chambrier et, dans une moindre mesure, Paulette Missambo forment un trio doté d’un potentiel électable grâce à leur expérience de gouvernement indispensable pour diriger un pays. Ils sont allés en rang dispersés, alors qu’ils auraient dû, depuis un an, travailler à une double procédure de légitimation d’une candidature unique : l’organisation d’une primaire à l’échelle nationale ou le recours aux enquêtes d’opinions (oui, ils en ont les moyens financiers), ces dernières étant un élément fondamental dans une démocratie – notons ici que François Hollande a renoncé en 2017 à une seconde candidature, parce qu’il ne se sentait plus légitime dans son camp (candidat non consensuel) en raison des sondages très défavorables.

Création d’une procédure de candidature unique de l’opposition

Face aux dissonances fondamentales (j’en ai déjà proposé des solutions dans mon livre Gabon : la postcolonie en débat (2003), dans divers journaux gabonais et sur mon blog affilié au journal Médiapart ) qui ruinent le potentiel d’alternance, il faudra inventer à l’avenir les procédures d’une candidature unique au sein de l’opposition. Outre la nécessité d’une primaire, on pourra organiser en amont, dans les villages et les quartiers de grandes villes, ce que, aux Etats-Unis, on appelle les caucus . Les caucus ont une double fonction : 1/ ce sont des instances au sein desquelles les groupes de citoyens défendant les mêmes intérêts politiques et économiques vont débattre de leurs préoccupations en vue de choisir le candidat à même de mieux les porter. 2/ De ce caucus, vont sortir des électeurs officiels, eux-mêmes élus en assemblée. Ce deuxième point doit être repensé et adapté à la procédure d’une élection aux suffrages universels.

Les caucus peuvent servir de leviers ou moyens de pression dans le choix du meilleur candidat de l’opposition. Dans le cas d’un désaccord entre candidats, le caucus pourra refuser une dispersion des voix et décider de lui-même de l’ultime option.

L’abstention comme arme de désobéissance civile

Accorder, le 26 août prochain, son suffrage à un opposant, quel qu’il soit, revient à offrir une fausse légitimité démocratique à Ali Bongo car, mathématiquement, toutes les équations montrent comment divers facteurs ont été mis en place pour sa réélection frauduleuse. Il serait donc absurde d’aller voter dans de telles circonstances.

 

Marc MVE BEKALE, enseignant universitaire et essayiste

 

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