Coup d’Etat au Gabon, sort de Sylvia et Noureddin... Jalil Bongo brise le silence et livre sa part de vérité
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Dans un entretien exclusif à Info241, Jalil Bongo le troisième fils d’Ali Bongo et de Sylvia Bongo revient sur le coup d’État du 30 août 2023 au Gabon qui a renversé son père. Désormais à Londres, il raconte avec précision cette nuit fatidique, l’arrestation brutale de son frère Noureddin, la séquestration de sa mère Sylvia, et les mois de détention arbitraire qu’il a lui-même endurés. Tortures, extorsions, falsifications de preuves : il dénonce une répression implacable et appelle à la libération de ses proches.
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Info241 : Le 30 août 2023 un coup d’Etat renverse votre père Ali Bongo, pouvez-vous nous raconter cette journée ou plutôt cette nuit ?
Jalil Bongo : La journée du 29 août 2023, je me rappelle que nous avions des difficultés à joindre certains officiers de la Garde Républicaine. En début de soirée, mon père est informé que la SIS [la Section d’intervention spéciale, unité d’élite de la Garde Républicaine, Ndlr] a arrêté quelqu’un à la Cité de la Démocratie mais il n’arrive pas à joindre le général Oligui. Vers 22h, des militaires de la GR, cagoulés et armés de fusil d’assaut ont débarqué chez Noureddin en lui demandant de sortir de la maison avec sa femme et ses enfants sous prétexte de devoir les mettre tous en sécurité. Une fois sortis, les militaires ont alors brutalement enlevé mon frère Noureddin dans un blindé et ont enfermé Léa et leurs enfants dans une salle de la maison.
Le 30 août 2023 vers 3h00 du matin juste après l’annonce des résultats des élections présidentielles sur la chaîne nationale, des militaires de la GR sont entrés au domicile de mes parents, où j’étais avec mon frère Bilal. Ils ont enlevé ma mère sous la menace d’armes, j’ai alors insisté pour partir avec elle tandis que Bilal est resté auprès de mon père. De toute évidence, le coup d’Etat était donc bien prévu, peu importe le résultat des élections, et beaucoup de personnes étaient au courant. Avec le recul je comprends pourquoi un militaire avait pleuré devant moi cet après-midi du 29 août, il savait ce qui allait se passer.
Info241 : Lorsque Noureddin Bongo est arrêté par les militaires, que devient votre belle-soeur (son épouse) et ses enfants ?
Jalil Bongo : Dès l’enlèvement de Noureddin, Léa et ses enfants (7 ans, 4 ans et 1 an) ont été séquestrés dans leur maison, coupés du monde, par les militaires de la Garde Républicaine jusqu’en novembre 2023. Ils ont ensuite dû déménager de force car les militaires ont pris possession de leur maison (Palmeraie), ils n’ont pu quitter le pays qu’en janvier 2024 pour retourner en Europe où ils résident depuis plusieurs années.
Mes neveux n’ont pas pu aller à l’école pendant des mois, ils sont à ce jour encore traumatisés de cette séquestration et d’avoir vu leur père être enlevé de manière aussi violente devant leurs yeux. Je précise que les autorités gabonaises avaient publiquement annoncé que Léa n’était pas en résidence surveillée mais uniquement interdite de quitter le territoire, c’était faux, elle était otage avec ses trois enfants. Est-ce que vous imaginez notre peur pour elle ? Une femme, seule, avec les enfants ?
Info241 : Que se passe-t-il dans les heures qui suivent pour vous ?
Jalil Bongo - Ma mère et moi sommes conduits au Palais où nous avons été enfermés sans contact avec l’extérieur pendant deux jours avant d’être conduits à la villa CEMAC sous prétexte que nous allions y retrouver le reste de notre famille. Là encore, ce fut un mensonge puisque ma mère et moi avons été séquestrés dans cette villa jusqu’en octobre 2023.
Info241 : Rapidement Brice Oligui Nguema, le patron de la Garde Républicaine dont la mission principale était d’assurer la protection de votre père s’autoproclame président de la transition et de facto chef de l’Etat gabonais qu’en avez-vous pensé et surtout racontez-nous comment vous avez vécu cet évènement. L’avez-vous regardé à la télé ? Si oui, dans quelles conditions ?
Jalil Bongo : J’étais avec ma mère séquestrés au Palais [Rénovation, le palais présidentiel du Gabon, Ndlr.] lorsque nous avons vu à la télé que c’était le général Oligui qui avait fait le coup d’état. Cela nous a profondément choqué puisque le général Oligui a été aux côtés de mon père Ali et de mon grand-père Omar, il était même un oncle pour Noureddin qui était très attaché à lui. Mais le choc le plus grand a été celui d’entendre les mensonges sur l’état de santé de mon père, et l’implication présumée de ma mère et de mon frère dans des crimes qu’ils n’ont jamais commis.
Info241 : Noureddin Bongo est exhibé à la télévision en compagnie de M. Ian Ngoulou devant des valises de billets. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet ?
Jalil Bongo : Il s’agit d’une manipulation de l’opinion publique visant à condamner Noureddin aux yeux du monde. Ces valises d’argent ne lui ont jamais appartenues et elles n’ont jamais été retrouvées chez lui. D’ailleurs la perquisition de son domicile en présence de ma belle-soeur n’a eu lieu que le 15 septembre 2023 soit plus de deux semaines après le tournage de ces images. Lors de cette perquisition ce sont 30 millions de FCFA (45 000€) qui ont été saisis, on est très loin des sommes annoncées dans la presse étatique.
La seule fois où j’ai vu mon frère sur convocation du général Oligui au Palais présidentiel en mai 2024, Noureddin m’a raconté exactement ce qui s’était passé. Il était à l’époque enfermé en caleçon dans un cachot de 2m carrés à la DGSS au sous-sol du Palais. Ce jour-là les militaires de la DGSS lui ont remis ses vêtements, un sac noir sur la tête et conduit devant les valises en lui disant que s’il refusait d’être filmé, les militaires violeraient sa femme jusqu’à la mort et feraient du mal à ses enfants, tous otages à ce moment-là.
Le procureur André Patrick Roponat était présent lors de cette mise en scène et lorsque Noureddin lui a signifié qu’il s’agissait de fabrication de preuves, le procureur lui a répondu qu’il ne fallait pas s’inquiéter car il y aurait la présomption d’innocence. Sachez qu’au début du mois de septembre, les militaires de la DGSS ont tenté de planter des cantines de billets devant ma mère à son bureau de la CEMAC, j’étais présent. Ils ont voulu effectuer les mêmes images que celles de Noureddin devant les valises de billets, mais les personnes présentes ce jour-là ont protesté et crié à la manipulation médiatique, les militaires avaient alors avorté la tentative de fabrication de preuves.
Info241 : Votre mère, Sylvia Bongo, est exhibée à la télévision dans le cadre d’une « procédure judiciaire ». À ce moment-là, que vous dites-vous ?
Jalil Bongo : Lorsque nous avons été placés en résidence surveillée à la Villa CEMAC, ma mère a reçu plusieurs visites d’officiers de la Garde Républicaine et de personnalités politiques proches du nouveau pouvoir qui l’ont interrogée devant moi de manière tout à fait illégale, en lui montrant des photos de Noureddin en prison, avec le journal du jour dans les mains, amaigri et apeuré.
Ces personnes ont demandé à ma mère ses relevés d’identité bancaire, de signer des ordres de virements blancs sans quoi Noureddin mourrait en prison . Lorsque nos avocats français ont porté plainte en France pour détention arbitraire, c’est à ce moment-là que les « problèmes » judiciaires ont commencé, car il fallait justifier la séquestration de Sylvia Bongo d’où la mise en scène au Tribunal où elle est mise face à Brice Laccruche. C’était le début de la mascarade de justice qui continue à ce jour.
Info241 : Comment Ali Bongo, votre père, a-t-il vécu tout cela vous qui êtes restés plusieurs mois en sa compagnie ?
Jalil Bongo : Mon père vit très mal la situation. Il n’est pas difficile de comprendre que pour mettre Ali Bongo hors-jeu, les putschistes s’en sont pris à sa femme et son fils . Mon père a été auditionné par le Procureur André Patrick Roponat, le juge d’instruction Leila Ayombo Moussa et l’avocat de l’Etat Me Nzassi à qui il a assuré que ni sa femme ni son fils n’avaient falsifié sa signature. Il leur a d’ailleurs demandé quel document aurait été falsifié, ce à quoi aucun d’entre eux n’a été en mesure de répondre.
Par ailleurs, il répète souvent qu’il était impossible que ma mère et mon frère aient pu détourner de l’argent alors qu’ils n’avaient aucune ligne budgétaire sous leur contrôle et qu’il existe toute une chaine de validation composée de ministres et de directeurs généraux avant que de l’argent ne sorte du Trésor. Comme cela a été relayé plusieurs fois dans la presse, contrairement aux dires des autorités, Ali Bongo n’est pas libre, il est privé de moyens de communication et reçoit des visites qui sont soumises à la validation du général Oligui.
Info241 : Comment votre belle-sœur Léa a-t-elle finalement pu quitter le Gabon avec ses enfants ?
Jalil Bongo : Léa ne faisait l’objet d’aucune poursuite judiciaire, elle a pourtant été séquestrée avec ses enfants pendant des mois. Elle a même été auditionnée de manière complètement illégale, intimidée et menacée. En janvier 2024, les militaires lui ont signifié qu’elle avait l’autorisation du général Oligui de quitter le pays avec ses enfants pour retourner chez eux en Europe.
Info241 : En janvier 2024, votre grand frère Bilal et vous auriez été battus et torturés par des militaires. Pourquoi ?
Jalil Bongo - Bilal et moi avions réussi à cacher un téléphone en janvier 2024 qui a été découvert par les militaires. Comme les autorités gabonaises nous avaient déclarés libres à la télévision, nous ne pensions pas que nous serions torturés pour cela. Malheureusement cela a bien été le cas. Des officiers de la Garde Républicaine ont débarqué chez nous et nous ont dit qu’on allait "vivre la même chose que Noureddin".
Ce jour-là nous avons été conduits dans une maison annexe où ces officiers nous ont violentés et séquestrés pendant un mois et demi. Plusieurs mois auparavant, des hauts gradés de la GR cagoulés et armés de mitraillettes nous avaient dit qu’ils seraient prêts à nous « mettre des balles dans la tête si Ali Bongo ne coopérait pas avec le CTRI ».
Info241 : Sylvia et Noureddin Bongo seraient victimes d’atroces sévices et de tortures de la part de militaires et de certains civils. Quels commentaires en faites-vous ?
Jalil Bongo : La seule fois où nous avions vu ma mère et Noureddin en mai 2024 au Palais et qu’ils nous ont raconté ce qu’ils ont subi, émaciés et traumatisés, nous avons compris que les rumeurs étaient vraies. Ces actes barbares ont aussi été constatés par les avocats lors de leur seule visite à Noureddin et Sylvia le 19 décembre 2024.
L’image de mon frère attaché à une chaise pendant des jours, frappé, fouetté, électrocuté, étranglé, noyé devant ma mère elle-même attachée à une chaise, la bouche scotchée pour étouffer les cris d’une mère voyant son fils être torturé à répétition, me hante tous les jours. Pour nous, c’est une course contre la montre pour leur libération car nous craignons pour leur vie. Enfin, il est difficile de comprendre que l’on puisse vénérer Omar Bongo, diriger en s’entourant de son dispositif mais séquestrer son fils et torturer son petit-fils.
Info241 : Durant ces séances de tortures, des biens auraient été extorqués. Pouvez-vous nous donner plus de précisions ?
Jalil Bongo : Lorsque nous avons été torturés Bilal et moi, nous avons été contraints par un officier de la DGSS de signer des actes de cessions de nos biens. Il en a été de même pour ma mère et mon frère qui ont dû effectuer des virements bancaires, signer des ordres de virements blancs et des actes de cessions de biens. Tout cela a été effectué sans cadre légal, sans jugement ni ordre de justice et dans l’opacité la plus totale.
Info241 : Quelles destinations ont pris ces biens ?
Jalil Bongo : Cela variait selon les biens. Nous ne connaissons pas, par définition, les destinataires des ordres de virement blancs . En revanche nous avons la preuve qu’au moins un virement bancaire était destiné à Kedy Alex Obame Obame, agent de la DGSS. C’est également à lui que mon frère a dû donner les pouvoirs sur une maison que Kedy Alex Obame Obame a depuis vendue et dont la destination du fruit de la vente est inconnue.
Le représentant du cessionnaire de certains actifs était le ministre de l’Economie Mays Mouissi. C’est le cas du terrain en face de Mayena, cependant c’est un privé qui est désormais en train de construire donc il est difficile de déterminer leur réelle destination. De même, nous savons que des invités du Palais occupent régulièrement notre maison familiale à la Pointe ainsi qu’à Franceville.
Info241 : Près de deux ans après, le code de procédure pénale du Gabon n’a pas été respecté concernant Sylvia et Noureddin Bongo qui font pourtant officiellement l’objet de poursuites. Pensez-vous qu’il y aura un procès dans ces conditions ?
Jalil Bongo : Est-ce qu’un procès stalinien est possible ? Je ne sais pas car je ne connais pas les intentions de la junte. En revanche, il ne s’agira jamais d’un procès juste et équitable à partir du moment où il y falsification de preuves, arrestation illégale, tortures, spoliation et violations des droits fondamentaux.
Info241 : Selon nos informations, Brice Oligui Nguema aurait promis à certains haut gradés de l’armée gabonaise de partager avec eux le reste de la « fortune des Bongos », en réalité des avoirs de la famille d’Ali Bongo. Vous confirmez ?
Jalil Bongo : C’est également une rumeur que j’ai entendue mais je ne peux la confirmer, seuls les participants du coup d’état le pourront. En revanche, certaines autorités Gabonaises semblent persuadées que la fortune de notre famille s’élève à une somme fantasme qui ne repose sur aucune preuve. Par conséquent, comment prouver que quelque chose n’existe pas ? C’est pour cela que la présomption d’innocence existe, mais elle a été bafouée depuis le 30 août 2023 pour laisser place à la chasse aux sorcières.
Info241 : On parle de négociations entre vous et les militaires pour la libération de Sylvia Bongo et Noureddin Bongo contre abandon des poursuites contre leurs tortionnaires dont certains seraient des hauts cadres de la Garde Républicaine du Gabon et proches de Brice Oligui Nguema. Que dites-vous de cette rumeur ?
Jalil Bongo : Il n’y a actuellement aucune négociation en cours.
Info241 : Dans sa lettre au peuple gabonais votre père Ali Bongo écrit : « Parce que notre pays est, a toujours été et sera toujours un pays d’honneur, j’en appelle à l’apaisement, à l’arrêt des violences et des tortures intentées contre ma famille, plus particulièrement mon épouse Sylvia et mon fils Noureddin et à leur libération, car depuis trop longtemps désormais emprisonnés pour des faits dont ils n’ont pas été reconnus coupables, bouc-émissaires d’une situation qui va bien au-delà de leur personne. Je leur ai imposé, tout au long de la vie, bien des épreuves par mes choix. Mais leur emprisonnement et les sévices qu’ils subissent depuis plus d’une année vont bien-au-delà de tout ce qu’une épouse et un fils ont à supporter. » Des commentaires ?
Jalil Bongo : Comme je l’ai dit plus haut, il est clair qu’on s’en est pris à ma mère et mon frère pour neutraliser Ali Bongo. Les crimes dont ils sont accusés, tout comme le narratif les accompagnant, sont absurdes, ce qui explique d’ailleurs que leur dossier d’instruction soit vide . Ma mère n’a jamais eu de fonction politique et a toujours œuvré pour les causes sociales qui touchaient les Gabonais, et en particulier les gabonaises. Quant à mon frère, cela fait 4 ans qu’il a démissionné de son poste de CGAP [Coordonateur Général des Affaires Présidentielles, Ndlr. ] pour retourner dans le privé en Europe.
Lorsqu’il était CGAP, il se battait constamment contre les pratiques qui lui sont injustement reprochées aujourd’hui. Il semble donc que Sylvia et Noureddin soient les garanties humaines du coup d’Etat, boucs-émissaires d’un système qu’ils n’ont pas créé ni dirigé. Dans sa lettre, mon père appelle à leur libération car cette situation est barbare et dépourvue de toute justice.
Info241 : Quel regard jetez-vous sur le Gabon près de deux ans après le coup d’Etat qui a renversé votre père ?
Jalil Bongo : J’aime mon pays et je souhaite qu’il trouve la stabilité et l’émergence au service des gabonais.
Info241 : Que souhaitez-vous pour l’avenir ?
Jalil Bongo : Je souhaite que ma mère, mon frère et mon père soient libres de quitter le Gabon et de refaire leur vie ; que justice soit rendue et que nous puissions enfin tous tourner la page.
Info241 : Quel est votre mot de la fin ?
Jalil Bongo : Cette situation d’injustice ne concerne malheureusement pas que ma famille. Une nouvelle page de l’histoire du Gabon est en train d’être écrite, elle doit se faire dans le respect des droits humains de chacun.
Ma famille n’a plus rien à intervenir dans l’histoire politique en cours de construction pour le pays, mais souhaite de tout cœur que celle-ci se fasse dans la paix et pour le bien des gabonais. Je fais appel au président Brice Oligui Nguema afin qu’il mette un terme à la grave injustice dont sont victimes ma mère et mon frère.
Propos recueillis par Jocksy Andrew Ondo-Louemba, envoyé spécial à Londres.
@info241.com
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