Attaque du QG de Jean Ping : une rescapée raconte l’intérieur de cette nuit sanglante
Ce vendredi 31 août marquait la journée d’hommage aux martyrs de la crise post-électorale de la présidentielle gabonaise de 2016. Cette nuit sombre où le gouvernement d’Ali Bongo avait ordonné l’attaque du QG de campagne de son rival Jean Ping, en marge des contestations de sa réélection. Plusieurs rescapés de cette attaque sanglante ont partagé des témoignages de cette nuit où plusieurs dizaines de citoyens gabonais ont été tués et/ou portés disparus.
Sous la plume d’Annie Léa Meye, une de ces rescapés, la rédaction d’Info241 vous invite à revivre le récit poignant de cette « nuit longue » où de nombreux gabonais sont « tombés » sans qu’on ne sache toujours combien avec exactitude deux ans après les faits. D’ailleurs aucune enquête officielle n’ayant pu été ouverte pour situer les responsabilités de ces morts de cette nuit tragique.
"C’est autour de 24 h que je suis réveillée brusquement par un bruit assourdissant. La nuit la plus longue venait de commencer. Je vous passe les détails. C’était « sauve qui peut ». J’entendais des cris et des pleurs. Des tirs...des pillonnements ou bombardements. Je pensais que cette imposante bâtisse qui abritait le QG allait s’effondrer sur nos têtes", relate hier Annie-Léa Meye sur sa page Facebook.
Des traces d’impacts de balles retrouvées après l’assaut
Elle décrit ensuite des « hommes habillés en combinaison noire, armés de fusils et de haches, haches qu’ils avaient utilisées pour défoncer les portes » du QG. Ces curieux hommes les auraient même fait les poches : « Ils nous ont dépouillé de notre argent en nous faisant du chantage. Ils ont volé nos appareils électroniques puis nous ont conduit à la cour en nous donnant des coups de pied ».
Annie-Léa Meye ajoute : « Autour de moi, il n’y avait que désolation ; des chaussures abandonnées, des pagnes et des nattes, des véhicules criblés de balles, des morceaux de pain, du sang sur les murs ... tout montrait que des gens avaient pris quartier là mais, ils ont dû partir précipitamment ».
Voici l’intégralité de ce témoignage poignant :
Ce que j’ai vécu cette nuit là.
Nous ne pouvons pas oublier ce 31 Août 2016 et les jours qui ont suivi.
Je ne peux oublier ...Même si je le voulais, ma conscience me le rappellerai.
Il avait été décidé de faire une marche de revendication de la victoire.
Mes enfants et certains membres de ma famille ont tenté de me dissuader d’aller rejoindre les partisans du changement. J’étais à la maison et j’entendais au loin l’effervescence de la foule. Depuis la fenêtre de mon salon, je voyais la voie express. Des marcheurs en grand nombre venait de la Démocratie pour rejoindre le QG de Jean Ping.Des Pick UP blancs avec des hommes encagoulés circulaient à vive allure pour aller bloquer la progression de la foule qui se trouvait au niveau du carrefour des charbonnages.
Mon cœur battait la chamade. La peur et l’envie de rejoindre la foule m’habitaient.
J’ai fini par échapper à la vigilance des miens et en 5 mn, j’ai traverse la cite des Charbonnages pour me retrouver sur la butte qui donne accès au domicile de Pierre Amoughe Mba, en face du lycée français. Je voyais la foule depuis la haut. Une foule immense. Une foule déterminée. En tête du peloton j’ai pu apercevoir au loin Michel Menga, Thierry Dargendieux Kombila, Barro Chambrier et René Ndemezo Obiang.Zibi Bertrand était là m’avait-on dit mais, je ne le voyais pas.
Ce dont je me souviens c’est qu’à peine la marche avait commencé, il y a eu des explosions , des bruits terribles...panique générale. Nous nous sommes mis à courir.
Je me souviens que nous avons casse un portail pour nous réfugier à l’intérieur d’une concession ou nous nous sommes retrouvés à 5 dans une chambre, allongés par terre en criant les uns sur les autres « chuuuuuuut ».Les bruits qui venaient du dehors étaient terribles . On se serait cru à Alep en Syrie . Je ne saurai dire combien de temps nous sommes restés à cet endroit mais ça nous a paru une éternité. Puis silence !
Plus de bruit de bombe . Rien que des cris de joie.
Le peuple déterminé venait d’avoir le dessus sur l’important dispositif militaire qui les empêchait de progresser.Lorsque nous sommes sortis de là, un jeune homme gisait au sol, un pied presque déchiqueté par une bombe lacrymogène. Autour de lui, des compatriotes qui tentaient de s’occuper de lui.
La rue ressemblait un un théâtre d’affrontement.
J’ai finalement rejoint la foule au niveau du tribunal. Michel Menga venait d’être exfiltré par les siens.
Barro Chambrier était toujours là, ainsi que Thierry Dargendieux Kombila et René Ndemezo Obiang. À côté de Barro Chambrier, il y avait 2 femmes ; Berthe Bokoko et Nathalie Zemo Effoua.
S’éloigner du groupe était devenu risqué de peur d’être pris isolément et être amené vers une destination inconnue.
Partout il y avait des barrages. Pendant que la foule envahissait le boulevard en direction de l’assemblée Nationale, moi je n’avais qu’un seul but, rejoindre le QG des charbonnages.
Autour de moi, des jeunes qui s’étaient constitués en une sécurité. Quand j’étais épuisée, ils me soulevaient pour franchir certains obstacles parce que nous, de notre côté, avions emprunté les mapanes de SOBRAGA, Derrière l’Ecole normale pour arriver à Derrière la prison ou nous avons croisé Barro Chambrier, Thierry Dargendieux Kombila et René Ndemezo Obiang. Tous épuisés par la marche et les lacrymogènes...mais ils étaient là, avec le peuple. Il était pratiquement 20h.
C’est autour de 20h30 que nous avons regagné le QG où une foule importante était déjà rassemblée.
Que s’est-il passé cette nuit là ?
« La nuit la plus longue », c’est ainsi que je la nomme.
Avec quelques femmes, nous nous étions organisées de telle sorte que tous ceux qui revenaient de la marche aient de quoi boire et manger. Un comptoir était mis en place pour cela.
J’étais assise derrière le comptoir ou je m’assurai que les filles s’occupaient bien de tout le monde.
J’ai vu Jean Ping s’en aller, Nzouba et Barro Chambrier également.
À 22 h, je monte au 2eme étage m’assoupir quelques instants.
Malgré l’inconfort du fait de m’allonger sur des chaises, j’ai vite trouvé le sommeil.
C’est autour de 24 h que je suis réveillée brusquement par un bruit assourdissant.
La nuit la plus longue venait de commencer.Je vous passe les détails. C’était « sauve qui peut ». J’entendais des cris et des pleurs. Des tirs...des pilonnements ou bombardements.
Je pensais que cette imposante bâtisse qui abritait le QG allait s’effondrer sur nos têtes. L’électricité venait de se couper. On rampait pour chercher des endroits où se cacher. Je me suis réfugiée dans la cuisine du 2e étage avec 3 autres personnes. J’étais dans un placard, en dessous de l’évier.
Grâce à mon téléphone, j’ai appelé à l’aide.
« Nous sommes en train de mourir ».
J’ai appelé aussi bien au Gabon qu’à l’étranger.J’ai appris par la suite que mon appel, mes cris de détresse étaient entendu par les gabonais qui étaient regroupés à l’Ambassade du Gabon à Paris car mon ami et frère que j’avais appelé ce jour là, avait fait en sorte que tout le monde m’entende.
Chacun d’eux a donc pu entendre en direct ce que nous vivions. D’autres compatriotes avaient également pu alerter leurs amis, parents et connaissances à travers le monde.
C’est à 10h le lendemain que nous avons été débusqué par des hommes habillés en combinaison noire, armés de fusils et de haches, haches qu’ils avaient utilisées pour défoncer les portes.
Ah ces hommes en noir ! Ils nous ont dépouillé de notre argent en nous faisant du chantage. Ils ont volé nos appareils électroniques puis nous ont conduit à la cour en nous donnant des coups de pied.
Dans la cour, il y avait des compatriotes dénudés, assis par terre.
Là j’ai cru apercevoir Bertrand Zibi. J’ai eu le temps de jeter un regard furtif. Ils étaient en trait d’évacuer les « prisonniers » par vague à l’intérieur des camions.
Sous une tente, étaient assis les leaders qui avaient passer la nuit là.
J’ai été conduite sous cette tente.Autour de moi, il n’y avait que désolation ; des chaussures abandonnées, des pagnes et des nattes, des véhicules criblés de balles, des morceaux de pain, du sang sur les murs ... tout montrait que des gens avaient pris quartier là mais, ils ont dû partir précipitamment .
Cette nuit là, beaucoup de mes compatriotes sont tombés.
C’est pour leur rendre hommage que je fais ce récit afin qu’ils sachent qu’ils n’ont pas mérité la mort et moi la vie.
J’ai juste eu de la chance ce jour là.
Leur sacrifice n’est pas vain car il est dit que l’arbre de la liberté se nourrit du sang des innocents.
Innocents vous êtes partis et par votre sacrifice, votre sang crie « LIBERTE ».
Merci à vous tous qui étiez inquiets et mobilisés à l’extérieur pour moi cette nuit. Je ne peux jamais oublié. Je vis avec.
Je vous aime.
La bise à Tous.
Ma Lé ... ALM
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