Analyse

Alain-Claude Bilié By Nzé & les « barbares » de Mitzic : les vertus éthiques d’une action anti-démocratique

Alain-Claude Bilié By Nzé & les « barbares » de Mitzic : les vertus éthiques d’une action anti-démocratique
Alain-Claude Bilié By Nzé & les « barbares » de Mitzic : les vertus éthiques d’une action anti-démocratique © 2025 D.R./Info241

L’incident de Mitzic, où Alain-Claude Bilié By Nzé a été empêché de tenir une rencontre politique continue de faire réagir. Dans cette analyse de l’essayiste et universitaire Marc Mvé Bekale, il illustre la confrontation entre liberté d’expression et rejet populaire des figures du régime déchu. L’auteur analyse cette action comme une réaction au maintien au pouvoir de l’élite issue du système Bongo après le coup d’État de 2023, malgré les promesses de renouveau. Bilié By Nzé, ancien pilier du régime, tente de se repositionner en rejetant la responsabilité des échecs sur une délégation excessive du pouvoir. Cependant, le peuple, marqué par des décennies de fraudes et d’impunité, exprime une colère latente contre ceux qui ont contribué à leur marginalisation politique. L’auteur voit dans cette contestation une radicalisation inévitable face à un « nihilisme d’État » qui a privé le citoyen de tout pouvoir réel, et interprète cette révolte comme un acte de résistance légitime, où la population place la quête de justice au-dessus des principes démocratiques classiques. Lecture.

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L’incident a défrayé la chronique la semaine dernière. Dans la petite ville de Mitzic, un groupuscule déchaîné a empêché Alain-Claude Bilié By Nzé d’organiser une rencontre politique. Aux Etats-Unis, une telle action est désignée par le terme de « cancel culture ». Le phénomène social consiste à boycotter une conférence, une œuvre politique, littéraire en raison d’opinions ou de propos jugés outrageux et contraires aux valeurs dominantes d’une communauté. Cette forme de censure apparaît assez significative des failles idéologiques qui traversent un pays.

Se trouve en jeu dans le fait divers de Mitzic l’opposition entre la liberté d’expression inhérente à tout système démocratique et la salubrité éthique censée en garantir l’intégrité ou la respectabilité auprès du peuple. Pourtant, l’incident, loin d’être soumis à des analyses rigoureuses, a davantage fait l’objet de dénonciations simplistes et expéditives. L’on y a vu une forme de barbarie ethnocentrique, le retour de vieux démons lancés à l’assaut de l’édifice démocratique dont Alain-Claude Bilié By Nzé se veut aujourd’hui l’un des gardiens. L’homme a revêtu les habits sain(t)s du nouveau messie, s’est attelé à la régénération de l’âme gabonaise. Une mission christique que résume bien le titre de son ouvrage, Awu m’awu : oser l’espérance pour le Gabon (2024) ― l’expression « la mort que je meurs » correspond quelque peu à la notion de crucifixion ou de mort sacrificielle.

 « Les raisins de la colère » okanoise

Dès le premier jour du coup d’Etat de 2023, Clotaire Oligui Nguema avait provoqué la consternation en convoquant tout le landerneau politique gabonais à la présidence. Message : il arrivait porteur non d’une épée vengeresse mais d’un projet de construction d’un monde nouveau. Les apparatchiks du PDG se remirent à respirer. La chasse aux sorcières n’aura pas lieu. Bien au contraire, beaucoup furent relégitimer par des postes de responsabilité majeurs au sein du dispositif institutionnel de la Transition.

Le CTRI avait besoin d’hommes d’expérience. Il récupéra ceux-là même qui avaient fait du Gabon une dépouille d’éléphant, et dont les meilleurs morceaux leur ont apporté des bénéfices personnels planqués dans les banques occidentales, investis dans l’immobilier de la Côte d’Azur aux quartiers huppés de Washington. Entre temps, seules deux personnes devaient payer le prix fort du ravalement de façade : Sylvia Bongo et son fils, accusés d’un crime absolu : la falsification de la signature du chef de l’Etat.

Acte assimilable à un putsch en raison de l’usurpation du fauteuil d’un président en incapacité fonctionnelle totale depuis l’accident vasculaire cérébral qui l’avait paralysé en 2018. Etonnant alors que mère et fils s’offusquent de la « mort qu’ils meurent » à la prison centrale de Libreville. Pareil pour le dernier premier ministre d’Ali Bongo quand il feint l’incompréhension devant l’ire du petit peuple mitzicois.

Colère recuite. Enfouie depuis la première élection multipartite tronquée de 1993. L’on recommença des décennies durant jusqu’au 30 août 2023. La providence tenta d’intervenir en 2018, mais trouva sur son chemin Madeleine de Latour. Comme toujours, elle fit pencher le droit constitutionnel du côté de sa famille politique. A cause de ses entourloupes juridiques, le Gabon entra dans l’ère du vide au sommet de l’Etat, où de jeunes étalons sortis du chapeau de la régente ne répondaient qu’à elle. Puis un jour, « le petit manqua de respect au Général », lequel décida alors de mettre fin à la fête des masques.

Awu m’awu affirme s’être débarrassé du sien. Descendu aux enfers, il est Orphée réapparu dans le corps d’un homme régénéré, porte étendard de l’espérance écrasée par le régime qui lui a fait traverser la Vallée de l’ombre de la mort. Alors, habitants de Mitzic : pourquoi refusez-vous de l’entendre ? Pourquoi restez-vous sourds à l’évangile de Zarathoustra ? L’homme occupa une fonction vitale dans le cœur névralgique du pouvoir déchu. Le voilà qui se défausse désormais sur le monarque dévêtu dans sa fosse dorée, où il verse des larmes en attendant Sylvia.

Awu m’awu , lui n’a pas eu grand-chose à faire. Le pouvoir jupitérien s’exerce sans partage. Cette « vérité historique », tirée de son livre, n’est pas à une contradiction près. Elle explique l’échec du pouvoir sans contre-pouvoirs de son ancien patron par un mécanisme de délégation des responsabilités qui a détraqué la machine gouvernementale, la rendant incontrôlable : « Déléguer la gestion de l’État, déléguer la gestion des ressources financières, déléguer la gestion des nominations, déléguer la gestion du Parti, déléguer la gestion de sa propre élection et enfin, déléguer jusqu’à la gestion de sa sécurité, ce qui lui aura été politiquement fatal, a été pour Ali Bongo une succession de désillusions, d’échecs et de scandales. » (cf. Awu m’awu : oser l’espérance pour le Gabon ).

N’eût donc été ce système de dilution désastreuse des responsabilités, Awu m’awu et ses amis tiendraient toujours le pays en bride et continueraient de « vider les caisses cul-sec » (dixit le rappeur Rodzeng dans « Le bled est à terme ») telle « une armée de mercenaires » (dixit Pierre-Claver Zeng, « Mevo »).

Awu m’awu ressasse les échecs passés, oubliant que les maux dont a souffert le Gabon sont à la fois d’ordre philosophique, moral et politique. Ils ont secrété une pathologie que je nomme « nihilisme d’Etat », lequel a pour racine la négation du droit naturel (la liberté) d’un peuple à choisir son destin ― lire Gabon : éthique de la résistance face au nihilisme d’Etat (2019) et Lettre à la jeunesse gabonaise (2011). 

Le mépris de l’humain, telle fut la Faute originelle. Elle avait conduit au disenfranchisement (la privation des droits) symbolique du citoyen, en ce sens que la machine PDG-Bongo était parvenue à ôter au bulletin de vote son pouvoir de sanction et d’onction politiques. La dévalorisation du citoyen par le dévalisement des urnes ne suffisait pas. Il y avait, en sus, les armes militaires, maintes fois utilisées pour acculer les masses en colère sous le chaudron des peurs irrationnelles d’où l’on voyait cachés les démons de la division, terrible menace au trésor de l’unité nationale. Donc, le tort au chef quand Awu m’awu s’auto-absout, puis s’en va refaire un tour de campagne, le corps recouvert d’une peau gommée, purifiée et huilée.

Mais quelques mots envoûtants ― appris par cœur comme font les comédiens pour la scène de théâtre, comme les sirènes helléniques avec leurs chants séduisants mais trompeurs ― suffisent-ils à convaincre de la régénération d’un homme ? C’est en miroir d’une telle question qu’il convient de conclure notre propos sur le sabotage de la causerie politique de Bilié By Nzé à Mitzic.

la suspension nietzschéenne des valeurs démocratiques

Le cynisme politique, pensait Jean Giraudoux, est un jeu dont le succès réside dans l’art de feindre la sincérité. Au bout du compte, il finit par pousser le peuple à une attitude que Nietzche qualifiait de nihilisme passif : à quoi bon lorsque tout n’est qu’apparence et vanité ? Alors s’installe lentement ou par à-coups un nouveau mouvement radical : la négation de toutes les valeurs, chemin indispensable vers une morale supérieure. Celle-là même qui faisait dire à l’empereur français Napoléon Bonaparte que « Celui qui sauve sa patrie ne viole aucune loi ». La patrie, valeur sacrée. Son amour se situe en surplomb de tout.

Autre exemple se rapprochant d’une telle logique, la foi du patriarche Abraham. Ayant entendu la voix de Dieu, Abraham avait failli sacrifier la chose la plus précieuse de sa vie : son fils. Le philosophe danois Søren Kierkegaard définit cet acte comme une « suspension téléologique de l’éthique », en cela que le vieux croyant avait placé au-dessus de toutes les normes universelles, la norme suprême dictée par l’amour transcendantal envers Dieu, sa patrie ultime.

Sans doute est-ce sous cet angle qu’il convient de comprendre l’action des « barbares » de Mitzic. Au-dessus des principes démocratiques, ils ont placé une Vérité métaphysique, une Morale supérieure qui refuse tout accommodement avec le cynisme politique. « Le chien aboie, la caravane passe ». Le peuple ne veut plus écouter cette langue du mépris. C’est peut-être à partir de tels actes de courage civique que l’on peut voir émerger un jour au Gabon des hommes politiques plus ou moins vertueux.

Marc Mvé Bekale, universitaire et essayiste

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