Position du Mouvement Civique du Gabon après la publication de la CPI
L’attaque du quartier général de Jean Ping, un « crime contre l’Humanité » ? Une réponse inaboutie de la Cour pénale internationale. La qualification de « crime contre l’Humanité » est une catégorie juridique relativement précise et qui doit être étayée par des faits constatés et relevés en droit . Par la voix de sa présidente, Mengue M’Eyaà, le Mouvement civique du Gabon proche de l’opposition, a livré via un communiqué parvenu à notre rédaction, sa lecture des suites du délibéré de la CPI. Lisez dans les lignes qui suivent l’intégralité de son analyse.
La base de l’analyse rendue publique le 28 septembre 2018 par le Procureur de la CPI est le statut de Rome du 1er juillet 2001 ; qui a fondé la Cour pénale internationale.
1 - Le rapport produit le 18 septembre 2018 par le bureau du Procureur tendrait à montrer que le régime est passé très près de l’incrimination de « crime contre l’Humanité » à travers la répression du quartier général de Jean Ping le 31 août 2016.
D’abord, compte tenu de son mode d’interrogation se concentrant sur le "crime contre l’Humanité", la CPI semble éviter la question de savoir s’il peut exister une légitimité à user de forces policières armées, et d’un hélicoptère face à un rassemblement de militants et de soutiens politiques de Jean Ping dans son quartier général.
Cependant, ce constat fait, le rapport procéde à une analyse très fine des conditions de préparation de l’assaut du 31 août sur le QG, du contexte général, et des fait de répression ne permettant pas la qualification en termes de crime contre l’Humanité, même si la CPI admet qu’il y eu un usage disproportionnée de la violence militaire et policière, dans un contexte de crise post électorale. La violation des Droits de l’Homme est établie même si l’insuffisance des témoignages et la faiblesse des éléments matériels ne permettent pas d’incriminer le régime sur le crime contre l’Humanité, pour lequel la CPI était missionnée.
Selon la CPI, malgré le déploiement de moyens importants, dans un lieu qui n’était pas une cible militaire, mais bien un rassemblement de militants et de sympathisants du Président élu, Jean Ping, dont le nombre de 1500 était significatif, il n’apparaît visiblement pas qu’il y ait eu une « volonté à grande échelle » de « tuer » si l’on en juge par un nombre limité de victimes (2).
« Les informations disponibles ne fournissent pas non plus de base raisonnable permettant de croire que l’assaut mené contre le QG puisse, en soi, constituer une « attaque généralisée ou systématique ». Comme mentionné plus haut, les Chambres préliminaires ont pu conclure qu’ « une attaque couvrant une zone géographique restreinte mais dirigée contre un grand nombre de civils » pouvait, en fonction des circonstances, être considérée comme « généralisée »185.
Toutefois, bien que 1 500 civils aient été présents au siège lors de l’assaut, le nombre de victimes présumées semble être limité à deux personnes tuées et 41 blessées. À cet égard, cet assaut est non seulement restreint sur le plan géographique mais son bilan ne permet pas non plus de penser qu’il a constitué une attaque à grande échelle186.
Pour autant, il y a beaucoup de similitudes avec une attaque de « dimension », selon la terminologie de la CPI (P51) :
« D’après les informations disponibles, les membres de la Garde républicaine se sont ensuite dirigés vers le QG, et ont lancé des grenades et tiré à balles réelles contre des civils qui se trouvaient à proximité du bâtiment et auraient défoncé le portail à l’aide d’explosifs. Ils auraient également utilisé des grenades lacrymogènes et tiré à balles réelles sur des civils réunis dans les locaux172. Après avoir pénétré de force dans le bâtiment principal, à environ 6 heures, les forces de l’ordre auraient fait sortir les occupants du bâtiment, étage par étage, et auraient rassemblé dans la cour les gens qui y avaient cherché refuge173. On estime à environ 1 500 le nombre de personnes présentes au QG à l’heure de l’attaque présumée, dont des dizaines de civils blessés qui avaient été amenés après des affrontements avec les forces de l’ordre lors des manifestations qui s’étaient déroulées plus tôt ce jour-là.174
170. La présence de l’hélicoptère, le déroulé des événements entre 1 heure et 6 heures du matin, avec des membres des forces de l’ordre qui se seraient dirigés vers le QG puis l’auraient encerclé, l’usage d’explosifs pour pénétrer dans son enceinte, le passage au peigne fin méthodique de chaque étage et le rassemblement des civils à l’extérieur du bâtiment ainsi que les arrestations qui ont suivi, indiquent un certain niveau de planification et d’organisation de la part des forces de l’ordre. À ce propos, l’assaut mené contre le QG semble correspondre au type de démarche délibérée et concertée permettant de valider l’existence d’une « campagne ou [d’une] opération » visée au Statut175. »
2 – Toutefois, la CPI a jugé que, malgré un certain degré de « planification », l’opération de répression du QG ne constitue par un acte délibéré visant la disparition d’une population civile notamment au regard des critères de nombre.
En effet, la CPI ne nie pas la violence de l’intervention policière, mais appuie son raisonnement sur la faiblesse des déclarations émanant des organisation ou individus proches des victime. Il apparaît que les 18 mémorandum ou documents qui lui sont parvenus ne sont pas suffisamment étayés pour soutenir l’accusation de crime contre l’Humanité.
« S’agissant de l’assaut donné contre le QG de Jean Ping, bien que la force ait été utilisée de manière significative lors de l’opération et que cette dernière ait nécessité un certain degré de planification et d’organisation pouvant correspondre à la définition d’une « campagne ou opération », les informations disponibles n’établissent pas de base raisonnable permettant de croire qu’un « seuil quantitatif » exigeant que soient commis « plus que quelques », « plusieurs » ou « de nombreux » actes énumérés à l’article 7-1 du Statut a été franchi » (P8)
Cette faiblesse documentaire pointe plusieurs difficultés. Les ONG locales ont peu de moyens humains pour organiser le recueil des témoignages. De ce fait, sur beaucoup de points d’incriminations, les éléments dont semble disposer la Cour sont peu nombreux et à chaque fois confortent le pouvoir.
En définitive, il faut bien se poser la question de l’organisation des victimes et de leurs familles dans leur manière de rendre compte, si elles le font, des préjudices qu’elles ont subis. Des acteurs politiques ont émis l’hypothèse que certaines familles auraient cédé aux pressions financières pour ne pas témoigner. Par conséquent, la faiblesse documentaire des éléments dont dispose la CPI est à mettre en regard de la protection qu’elle aurait pu leur accorder en raison de leurs témoignages.
Dans ce contexte d’inhibition ou de peur des représailles du régime, le rôle de chacun est aussi à interroger.
Comment amener des populations meurtries, violentées, ayant parfois perdu un ou plusieurs membres de leurs familles à se sentir protégées par les acteurs politiques proches d’eux les amenant à livrer leurs témoignages ? La CPI pouvait- elle s’auto saisir pour garantir la sécurité,les témoignages non instrumentalisés ? La CPI a -elle visité les prisons gabonaises,entendu les personnes libérées sur les conditions de privation de liberté ?Où sont passés les témoignages des victimes et de leurs familles,des médecins et journalistes présents au Gabon ?
Sur les viols, la CPI n’a apparemment pu obtenir aucun témoignage de victimes ou d’acteurs directs, indiquant par là même, qu’elle ne peut donc en conclure qu’il y en ait eu de la part des forces de répression. Même si l’on sait, dans les pays occidentaux,que la question du viol n’est pas simple pour les femmes, en Afrique, et au Gabon, les femmes peuvent être tentées de cacher pour ne pas subir une forme de « honte » ou de « désaveu social » dont elles sont doublement les victimes.
C’est la raison pour laquelle, la position de la CPI sur ce sujet aurait mérité une enquête un peu plus approfondie, en offrant des conditions de confidentialité et de sécurité pour les femmes éventuellement victimes.
3 – La ridicule accusation d’instigateur de « génocide » à l’encontre de Jean Ping, vainqueur de l’élection présidentielle, a été inventée par le régime et conduit le procureur de la CPI à devoir mener une analyse laborieuse sur cette accusation folklorique, presque risible, si ce n’était la gravité de la situation gabonaise.
Ainsi, dans un discours de campagne électorale, Jean Ping a parlé du fait de devoir se débarrasser des « cafards » du pouvoir. Le régime s’est saisi de ce mot qui avait été utilisé dans la situation du génocide mené au Rwanda. Saisissant l’aubaine du mot réutilisé dans un autre contexte, le pouvoir gabonais a sans doute voulu marquer les esprits des magistrats de la CPI.
C’était oublier la minutieuse enquête des propos de celui qui allait être élu. La conclusion est simple et évidente. A aucun moment, le reste du discours est un appel au génocide d’une partie de la population civile gabonaise. La CPI ne s’attarde donc pas sur un motif totalement fantaisiste. Ensuite, il pourrait apparaître surréaliste d’accuser de génocide celui qui ne possède aucune arme face à un régime surrarmé n’hésitant jamais à utiliser des balles réelles face à des populations civiles rassemblées dans un quartier général de campagne.
Il ne faudrait pas non plus oublier le contexte de l’élection présidentielle de 2016, la longévité de la présence au pouvoir du clan Bongo, soit 50 ans, la violence politique exercée, les entraves à la démocratie et la libre expression des candidats, interdits d’accès aux médias nationaux, les arrestations arbitraires multipliées de proches du candidat Ping, et des attaques directes ou indirectes par médias officiels interposés, à l’illégitimité du candidat au pouvoir, dont il est établi qu’il ne respectait pas les conditions constitutionnelles pour concourir à l’élection présidentielle.
Ce contexte, souligné par le rapport de la mission d’observation électorales de l’Union européenne, et par celui de l’OIF, a pu créer un sentiment de lassitude et d’énervement de la part des leaders de l’opposition face à la violence, à la mauvaise foi et finalement à la tricherie industrielle du régime en place.
En définitive, la procédure de signalement par le Gouvernement gabonais, telle que le prévoit la charte, a failli se retourner contre le pouvoir , tant il a semblé près d’^être poursuivi pour « crimes contre l’Humanité », notamment pour l’assaut donné dans des conditions de planification évidente. Ce qui a probablement joué en sa faveur sont deux facteurs distincts et liés : la faiblesse des faits et témoignages des victimes, de leurs familles, et des acteurs politiques. A plusieurs reprises, la CPI signale qu’elle a bien reçu tel motif de plainte mais que les sources sont inexistantes, indirectes, ou non confirmées. Par exemple, le nombre de morts au QG est significativement plus faible (on en cite 1) que ce qui était annoncé. Est-ce la vérité ? Sans doute pas, mais les témoins manquent, les familles ou proches de victimes.
La méthodologie de la CPI est aussi inappropriée, car elle ne procède pas d’enquêtes directes sur place. Or, les techniques d’intimidation du régime sont telles qu’elles peuvent amener les victimes ou proches d’elles à renoncer à témoigner. Le statut actuel de la CPI ne protège pas les citoyens.
Enfin, la CPI semble aussi considérer le Gabon comme une « jeune démocratie », ce qu’elle n’est pas depuis plus de 50 années. Cette qualification est en soi problématique car suggère que les institutions gabonaises répondent de bonne foi, et en respectant le principe du contradictoire, aux interrogations qui leur sont posées par la CPI. Or, le régime gabonais, aux niveaux de responsabilités étatiques interrogés par la CPI, sont constitués de militants politiques à son service, hermétiques à toute culture d’alternance démocratique et hostiles à toute opposition par principe.
L’exemple des arrestations est symptomatique de cette démarche qui consiste à prendre pour des vérités absolues le fait que le régime ait annoncé avoir libéré dans les jours qui ont suivi les 800 personnes arrêtées au QG de Jean Ping. Or, sur 1500 personnes présentes, comment ne pas déjà s’interroger sur un nombre aussi élevé d’arrestations, près de la moitié ?
Concernant la détention, la CPI n’ayant pas visité les lieux d’enfermement, elle ne peut donc apprécier les conditions infâmes d’incarcération de personnes présumées innocentes, ni la réelle durée de leur emprisonnement, dont la seule cause d’arrestation était de vouloir se réjouir collectivement de la victoire électorale du Président Ping.
Avant l’assaut du QG et après, les arrestations ont continué, de part et d’autres, avec des éléments de contexte permettant de comprendre qu’il ne s’agissait pas que d’une opération ponctuelle de maintien de l’ordre, mais bien d’un mode répressif de fonctionnement du pouvoir sur une partie de la population gabonaise. Ces constances sont d’ailleurs parfaitement décrits dans les rapports de la mission d’observation électorale européenne et de l’OIF. Le Parlement européen a également contribué à l’éclaircissement de cette réalité. Curieusement, en éléments de contexte ex post, à aucun moment, la CPI ne cite ces sources objectives et extérieures aux acteurs gabonais, du pouvoir comme de l’opposition.
La méthodologie d’enquête de la CPI renvoie probablement à son manque de moyens humains pour mener de véritables analyses contradictoires, qui l’amènent à sous-qualifier des situations justement parce qu’elles ne sont pas encore qualifiables au regard du statut de Rome.
En définitive, malgré de notables avancées, on ne peut se contenter d’une conclusion déresponsabilisante à l’égard du régime. Même s’il n’y a pas eu « crime contre l’Humanité » au Gabon selon la CPI, elle note le caractère violent, les questionnements sur les droits de l’Homme en les renvoyant vers les tribunaux locaux. Elle considère à juste titre qu’elle n’est plus compétente pour en juger.
Dans ces conditions, il ne resterait aux victimes qu’à recourir aux tribunaux locaux, ce qu’elles ne feront peu ou pas du tout tant une suspicion légitime de dépendance existe vis à vis du pouvoir en place. Au moment où un processus électoral est en cours, avec les législatives, il est à souhaiter que le régime ne se livre pas à nouveau à des méfaits et à des répressions pouvant ouvrir à une nouvelle enquête de la Cour pénale internationale.
Mengue M’Eyaà
Présidente du Mouvement Civique du Gabon (M.C.G)
Présidente du Mouvement civique des Femmes (M.C.F)
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