Pascal Oyougou : « Je refuse de croire que la justice soit au service d’un clan au Gabon »
En liberté provisoire depuis le 11 février, l’opposant gabonais Pascal Oyougou a pris hier la parole depuis sa détention préventive de 1 246 jours à la prison centrale de Libreville. Alors que son procès pour « complot contre l’autorité de l’Etat, instigation aux actes ou manœuvres de nature à provoquer des troubles contre l’autorité de l’Etat et attroupement non-armé sur la voie publique ayant troublé la tranquillité publique » est programmé pour ce 15 juin, l’ancien membre du parti au pouvoir qui d’ailleurs a conçu l’actuel logo du Parti démocratique gabonais, en profite pour rappeler sa confiance en la justice et dépeindre un Gabon en décadence, en « totale régression ».
Jeté en prison pour avoir organisé en 2017 une marche de protestation contre la réélection controversée d’Ali Bongo, Pascal Oyougou proche de l’opposant Jean Ping, aura passé 4 ans et 5 mois en prison soit 1 200 jours de détention. Depuis sa mise en liberté provisoire, le prisonnier politique n’avait plus pris la parole en public. Il est sorti hier de son silence dans une déclaration qui force le respect.
Dans celle-ci, il revendique notamment son droit à être Altogovéen et d’être un citoyen libre, libre de s’opposer au pouvoir actuel dont le bastion officiel est justement la province du Haut-Ogooué. Avant d’évoquer les conditions de détention à la prison de Gros-Bouquet. "J’ai une pensée pour tous les prisonniers politiques qui, comme moi, trouvent injuste d’être en détention, dans des conditions inhumaines, pour leurs opinions qui, somme toute, ne visent qu’à faire avancer la démocratie dans notre pays", a-t-il rappelé.
"Etre emprisonné pour ses opinions, vous devez vous en douter, est très difficile à accepter. On se dit d’abord qu’il y a erreur sur la personne. On pense qu’on va vite sortir de ce cauchemar, et puis les jours passent, et on se rend compte qu’on est face à un mur dressé par des gens qui n’utilisent, ni le droit ni la justice, mais leur propre volonté de vous anéantir et de briser votre vie, ainsi que celle de vos proches", a déploré Pascal Oyougou.
Evoquant son procès à venir, il a rappelé que "la justice est le principe moral qui exige le respect du droit et de l’équité. C’est la faculté de dire ce qui est légalement juste ou injuste, condamnable ou non, ce qui est le droit". Avant d’espérer que "la justice se prononcera selon le droit, en toute impartialité" lui qui refuse de croire que la justice gabonaise soit instrumentalisée ou "au service d’un clan au Gabon" ou "soit devenue synonyme de règlement de comptes".
Voici l’intégralité de sa déclaration du 7 juin 2021 :
Je suis Pascal Oyougou, né à Ebori, dans le département de la Passa, province du Haut- Ogooué.
Ingénieur ENSIL, spécialité Electromécanique, promotion 79. Spécialisé par la suite sur les réacteurs d’avions, je suis motoriste (RR ; GE & PW).
Après un cours séjour de six mois aux Ciments du Gabon, j’ai passé l’essentiel de ma vie professionnelle, 31 ans, à l’aéroport Léon Mba, dont 21 ans à Air Gabon et 10 ans à l’ASECNA.
Je suis marié et père d’une famille nombreuse.
Arrêté le 8 septembre 2017 par les forces de l’ordre, puis présenté au procureur le 12 septembre 2017, j’ai été incarcéré à la Prison Centrale de Libreville où j’ai passé 41 mois soit 1246 jours en détention préventive, avec 515 jours de détention abusive.
Pendant tout ce temps, j’ai eu le soutien constant de toute ma famille, notamment mon épouse et mes enfants, mes amis de cœur (ceux qui me sont restés fidèles et ceux rencontrés en prison) mes ami.e.s politiques, sans oublier mes avocats. Chacun a vécu et ressenti à sa manière mon emprisonnement.
Permettez-moi de saluer ici la mémoire de Me Eric Iga Iga, mon avocat disparu à la veille de ma libération pour laquelle il s’est beaucoup investi, avec son confrère Me Jean Remy Bantsantsa.
J’ai été libéré le 11 février 2021. Liberté provisoire, puisque je m’adresse à vous aujourd’hui, quelques jours avant le procès qui se tiendra, si Dieu le veut, le 15 juin prochain.
J’ai une pensée pour tous les prisonniers politiques qui, comme moi, trouvent injuste d’être en détention, dans des conditions inhumaines , pour leurs opinions qui, somme toute, ne visent qu’à faire avancer la démocratie dans notre pays.
Je ne les citerai pas de peur d’en oublier. Car, contrairement aux idées véhiculées, ils sont nombreux, croyez-moi.
Deux éléments m’ont été d’un grand secours pendant ce séjour en prison : ma foi et ma position d’Altogovéen libre.
Etre emprisonné pour ses opinions, vous devez vous en douter, est très difficile à accepter. On se dit d’abord qu’il y a erreur sur la personne. On pense qu’on va vite sortir
de ce cauchemar, et puis les jours passent, et on se rend compte qu’on est face à un mur dressé par des gens qui n’utilisent, ni le droit ni la justice ,mais leur propre volonté de vous anéantir et de briser votre vie, ainsi que celle de vos proches. Dans ce contexte, il faut s’accrocher à quelque chose de fort pour ne pas sombrer.
Moi, c’est ma foi en mon Seigneur, Christ Jésus, qui m’a beaucoup aidé à garder mes idées en place et sans perdre mes convictions pour un Gabon meilleur.
En effet, traverser plus de trois ans en détention à la prison centrale de Libreville, et en ressortir en bonne santé physique et mentale, relève du privilège de la grâce du Dieu vivant. La joie, la paix et l’amour de Christ m’ont accompagnés tout au long de mon séjour carcéral.
Je suis Altogovéen, un Altogovéen libre.
Je suis né dans le Haut Ogooué, je ne l’ai pas choisi. Personne ne choisit le lieu de sa naissance, à ma connaissance.
Et je suis libre, libre de prendre part au jeu de la démocratie multipartite, système politique que les Gabonais ont unanimement adopté à la Conférence Nationale de 1990.
Le Gabon est un Etat composé de neuf provinces. Je dis bien neuf et non huit. Le Haut- Ogooué est une des neuf provinces qui composent le Gabon. De ce fait, les citoyens gabonais originaires du Haut-Ogooué jouissent des mêmes droits, devoirs et prérogatives que ceux des huit autres provinces sœurs. La démocratie multipartite instituée en 1990 concerne tous les gabonais ressortissant des neuf provinces.
J’étais a la Conférence Nationale de 1990. J’ai pris part, avec les autres compatriotes, au choix de l’abolition du régime du « Parti Unique » et l’instauration de la « Démocratie Multipartite ».
J’ai été en 1973, l’un des trois gagnants du concours du Logo du Parti Démocratique Gabonais, Parti Unique, Parti Etat. Dans ce logo, la Main et le nœud à neuf cordes sont ma propriété intellectuelle, et la propriété intellectuelle est par essence inaliénable. C’est un principe universel.
J’ai adhéré au PDG, en 1995, et j’ai posé ma démission en 2016, exigeant, dans ma lettre de démission, la restitution de ce qui constitue ma propriété intellectuelle, parce que le fonctionnement actuel du PDG, n’est plus en harmonie avec sa devise, à savoir : Dialogue - Tolérance - Paix.
Faut-il rappeler que ce logo acquit par le Parti Unique, Parti Etat, est par conséquence, patrimoine immatériel de l’Etat Gabonais, puisque tous les Gabonais avaient l’obligation de payer la taxe du Parti Unique, Parti Etat. D’ailleurs, la question de la liquidation du patrimoine du PDG a été évoquée pendant les assises de la Conférence Nationale.
Libéré depuis le 11 février 2021, je n’ai pas pris la parole jusqu’à ce jour. J’ai consacré mon temps à observer, écouter, regarder. Le constat est amer. Il y a décadence dans tous les secteurs de la nation. Le pays est en totale régression.
Les mobiles qui ont justifié le vote massif en faveur de Jean Ping, sont toujours présents. Le peuple aspire plus que jamais au changement qu’il a exprimé par les urnes le 27 août 2016.
A la lumière de ce constat, je prends position, comme j’ai pris position en 2016, pour le changement, qui est la principale aspiration du peuple. Je reste fidèle au peuple et à son choix exprimé en 2016 en faveur de Jean Ping, pour présider aux destinées de notre cher pays le Gabon.
Malgré tout ce que j’ai subi, je n’en veux à personne, non parce que je suis naïf ou idiot mais tout simplement parce que la haine, la colère, la méchanceté sont des sentiments qui nous détruisent physiquement et spirituellement. J’ai choisi de vivre en bonne santé physique et spirituelle pour continuer à me battre pour ce en quoi je crois : un Gabon libre et démocratique.
Je crois, comme j’ai toujours cru, en la vertu de la démocratie comme moyen pour conduire ce pays sur le chemin du développement.
Selon la définition, la justice est le principe moral qui exige le respect du droit et de l’équité. C’est la faculté de dire ce qui est légalement juste ou injuste, condamnable ou non, ce qui est le droit.
De ce que je sais de mon dossier grâce à mon avocat, j’ai espoir que la justice se prononcera selon le droit, en toute impartialité.
Je refuse de croire que la justice soit instrumentalisée au Gabon.
Je refuse de croire que la justice soit au service d’un clan au Gabon.
Je refuse de croire que la justice soit devenue synonyme de règlement de comptes au Gabon.
Je veux croire que chaque citoyen gabonais, chaque habitant du Gabon, peut prétendre à être jugé de manière équitable.
Je veux croire qu’au Gabon, il existe des hommes de loi capables de dire le droit en vérité.
Je veux croire en une justice juste au Gabon.
Dans la Bible au livre de Lévitique, au chapitre 19, verset 15, il est écrit, je cite : « Quand vous siégerez au tribunal, vous ne commettrez pas d’injustice ; tu n’avantageras pas le faible, tu ne favoriseras pas le puissant : tu jugeras ton compatriote avec justice. »
J’irai au procès du 15 juin confiant que le droit sera dit.
C’est fort de cette foi en la justice de mon pays, cette foi en des hommes de droit droits que je me présenterai sans appréhension au tribunal le 15 juin prochain, sûr et certain que le droit et seul le droit sera dit.
Que Dieu bénisse le Gabon, et qu’Il le garde ! Je vous remercie.
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