La première chambre du parlement gabonais a sur sa table une proposition de loi sur la xénophobie dans un pays qui, depuis des siècles, accueille les communautés africaines et du monde. Désiré Ename de l’hebdomadaire Echos du nord, pointe les dangers que peuvent revêtir une telle loi purement idéologique et partisane qui bafoue l’identité gabonaise tout en scellant les libertés fondamentales garantes du bien-être et du vivre ensemble au sein d’une République souveraine.
Que vient faire une proposition de loi contre le tribalisme, dans un pays où les mariages inter ethniques battent le record en Afrique, preuve d’un vivre ensemble harmonieux ? Un vivre ensemble façonné par les pères fondateurs de cette République que furent Léon Mba, Paul-Marie Gondjout, Jean-Hilaire Aubame, Paul-Marie Yembit, Vincent de Paul Nyonda, Jean-Marc Ekoh Ngyema, Gustave Anguilet… Quelles en sont les motivations ?
Dans l’exposé des motifs, le président de l’Assemblée nationale explique que ladite loi a été initiée car « … lors de l’allocution prononcée, le 12 septembre 2012, devant le Parlement réuni en congrès, le président de la République avait fortement regretté et condamné, à juste titre, les manifestations de tribalisme et de xénophobie qui ont cours dans le pays ».
Et que « la persistance de ces pratiques constitue un risque majeur de déstabilisation de notre pays, en particulier, lorsqu’elles sont le fait de leaders politiques ou de personnes dépositaires de l’autorité ». Quant à l’intérêt de cette proposition de loi, il repose sur des manifestations de tribalisme ayant eu lieu dans d’autres pays africains.
D’où le « questionnement de notre dispositif juridique » qui, selon le président de l’Assemblée, « laisse apparaître un vide qui peut être considéré comme le terreau de toutes les dérives constatées ». Mais constatées où ? Loin, dans un ailleurs qui n’a rien à voir avec notre vivre ensemble historique, et qui n’a jamais connu ni la dérive des Hutu-Tutsi du Rwanda ; ou récemment celle des Luo-Kikuyu au Kenya.
Pour comprendre les fondements de l’idée de cette démarche, il faut remonter à un événement précis. Le 12 août 2012, André Mba Obame dit « AMO » revient au Gabon, après un an d’absence. En s’adressant aux militants de l’Union nationale venus l’accueillir, il déclara : « Je donne quinze jours à Maixent Acrombessi pour quitter le territoire gabonais. » Cet ultimatum, abondamment repris par la presse, a mis en émoi sa petite majesté Ali Bongo Ondimba, qui répliqua, dans son discours à la nation, quelques jours après, et émis par la suite l’idée de convoquer le Parlement en congrès. Ce qu’il fit.
Nous revenons quelque trois ans auparavant pour constater qu’à la veille de la présidentielle anticipée de 2009, Guy Nzouba Ndama tint publiquement un discours divisionniste sur la dépouille d’Omar Bongo, à Franceville, le 19 juin de cette année-là. Il y déclara que le Parti démocratique gabonais (PDG) reposait sur deux pieds : le pied droit était la province du Haut-Ogooué et le pied gauche celle de l’Ogooué-Lolo. Etait-ce fortuit ?
Pas si sûr. Il posait là, les bases de ce que devaient être l’exercice et le contrôle du pouvoir après Bongo, à savoir la consécration du privilège et de l’exclusivité altogo-logovéenne. La campagne présidentielle qui s’ouvrit le 15 août 2009 fut émaillée d’actes tribalistes dans les deux provinces. Un cadre altogovéen passera sur les antennes de la télévision publique pour déclarer ouvertement qu’aucun candidat fang ne devait mettre les pieds dans le Haut-Ogooué.
Jean Eyeghe Ndong et Casimir Oye Mba, qui avaient bravé cet interdit, furent agressés par des loubards organisés par le PDG. En Ogooué-Lolo, précisément dans les communes de Koula-Moutou et de Lastourville, fief disputé par le pédégiste Régis Immongault à Paulette Missambo, son mentor dans le temps, aujourd’hui dans le Front uni, des banderoles portant le message « Tout sauf Fang (TSF) » étaient clairement visibles dans les principales artères (des deux villes).
Plus loin, en arrière, en 1994, au pire moment de la crise sociopolitique au Gabon, Jean-Boniface Assélé ne se gênera pas d’appeler à la création d’une République du Haut-Ogooué-Lolo. Ceci pour conclure que le camp de l’instrumentalisation ethno-tribale est bien identifié et connu de tous : le PDG et ses excroissances. Tout comme le sont les apôtres de cette thématique, avec en pole position Guy Nzouba Ndama.
A-t-il fallu cet ultimatum d’« AMO » à Maixent Accrombessi pour qu’une petite majesté sorte de ses gonds et y voie un acte xénophobe et tribaliste ? Au point de faire injonction au Parlement de pondre une loi contre la xénophobie et le tribalisme ? Ali Bongo est député de Bongoville en 1994. N’aurait-il pas dû être inspiré d’initier une loi face à la sortie de Jean-Boniface Assélé qui prôna officiellement la partition du Gabon ? Les propos d’Assélé sont ouvertement tribalistes. Il est donc clair que cette loi est initiée par Ali Bongo dans le seul dessein de rendre Maixent Accrombessi intouchable. C’est-à-dire « sanctuarisé ». Sans oublier la horde d’expatriés bien en cour.
La loi aurait-elle désormais le rôle réducteur de protéger « les peurs personnelles d’un groupuscule d’individus » et légaliser les abus d’autorité commis contre le peuple ? C’est en tout cas la substance de la proposition de loi sur le tribalisme et la xénophobie « initiée par le chef de l’Etat », selon une procédure d’urgence au sens de l’article 11 de ladite loi et transmis à l’Assemblée nationale pour adoption.
Cette proposition de loi bafoue l’identité gabonaise en consacrant la mainmise, sans limite, d’un usurpateur sur la gestion des biens du Gabon. En ce sens qu’elle vise à sceller définitivement l’article 10 de la Constitution. L’idée de confiscation du Gabon par la volonté d’un homme démantèle notre « être gabonais ». Or, l’on ne peut accepter qu’on piétine l’identité gabonaise.
Tout Gabonais a le droit de donner son opinion sur un « étranger » qui se conduit mal sur notre sol, quitte à l’expulser de notre espace commun de vie. Car le Gabon n’est pas à brader. C’est notre communauté de destin. Tout Gabonais a le droit de poser des questions sur celui qui gouverne notre pays pour obtenir la vérité sur son histoire. Parce que mû par l’esprit de la Nation. Lorsque sa petite majesté Ali Bongo veut empêcher cette liberté d’expression, il est en parfaite violation de la Constitution gabonaise.
En somme, le titre préliminaire de la Constitution égrène les différentes libertés publiques qui y sont garanties. Or, force est de constater, malheureusement, que cette proposition de loi retire même l’essence de ces libertés et, partant, dénie la suprématie de la Constitution sur la loi.Quant aux autres violations, elles sont perceptibles à la lecture de certains articles de ces deux textes.
En effet, les articles 6 et 9 viennent exagérément limiter les libertés consacrées par tout le dispositif constitutionnel qui garantit nos libertés. Ils proposent :« Quiconque soit par paroles, gestes, écrits, images ou emblèmes, soit par tout autre moyen, aura manifesté de l’aversion ou de la haine raciale, ethnique, tribale, régionale ou l’intolérance religieuse à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes ou aura commis un acte de nature à provoquer cette aversion ou cette haine sera puni d’une peine d’emprisonnement de six mois à deux ans et d’une amende de cinq cent mille francs à cinq million de francs, ou l’une de ces peines seulement. Si l’infraction est commise par un dépositaire de l’autorité dans l’exercice de ses fonctions, la peine est portée au double.
Si l’infraction a causé une désorganisation des pouvoirs publics, des troubles graves, un mouvement sécessionniste ou une rébellion, le coupable est puni de la peine d’emprisonnement à perpétuité. » Et dans l’article 9, « la diffamation, l’injure ou la menace faite envers une personne ou d’un groupe de personnes qui appartient par son origine à une race, à une ethnie, à une religion ou à une nationalité déterminée, est punie d’une peine d’emprisonnement de cinq à dix ans et d’une amende de 5.000.000 francs à 50.000.000 de francs, ou de l’une de ces peines seulement. Ces peines sont portées au double si l’infraction à été commise par la voie de la presse, de la radio ou de la télévision ».
Cette loi est purement et simplement inconstitutionnelle. Elle remet en cause l’essence même de l’Homme gabonais, dans ce qu’Il a de plus précieux : la liberté.
C’est à croire que le Parlement est regrettablement devenu au Gabon une « chambre d’enregistrement de l’imposture ». Cette proposition de loi met le Gabon sous occupation.
Désormais, elle va diviser le Gabon en deux camps : celui des patriotes qui se battent et se battront pour expulser Accrombessi hors de la sphère décisionnelle de la conduite des affaires du Gabon, notre patrie. Une œuvre de salubrité pour la stabilité du Gabon. Et le camp des pro-Accrombessi, Ali Bongo et les courtisans dits « émergents », qui bafouent la dignité gabonaise, attisent la violence et tous ses oripeaux et manipulent la conscience collective pour asseoir et perpétuer leur forfaiture et leur hégémonie.
Désiré Éname d’Echos du Nord
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