Qu’est ce qu’un véritable leader politique au Gabon et de quoi devrait être faite son étoffe ?
Alfred Nguia Banda, éminent homme politique gabonais exilé en France, scrute dans cette tribune libre pour les lecteurs d’Info241 les caractéristiques, la stature, le rôle et les qualités des véritables leaders politiques. Une analyse qui devrait faire date car prenant à contre courant tous les imaginaires leaders politiques gabonais qui ne répondent pas selon le docteur en droit public à l’étoffe des véritables leaders historiques. Décryptage.
La politique est étymologiquement un pouvoir destiné à gérer efficacement les affaires de la Cité. Elle fixe les règles qui s’appliquent, erga omnès, sur l’ensemble d’un territoire donné. Sa conception est l’œuvre d’une personne qui peut revêtir l’illustre titre de Leader politique et/ou de chef politique entouré des individus appelés fidèles, partisans, collaborateurs, alliés, courtisans, thuriféraires etc...
De cette modeste définition, je parlerai de la Notion de Leader politique, de ses Qualités, de ses Équipes et de son l’influence géospatiale.
La notion de leader politique
Un Leader politique est un promoteur d’idées ;il est fortement arrimé à un idéal, à une vision, à une idéologie, et à une doctrine qu’il diffuse ; le pragmatisme dont il fait preuve constitue non seulement une boussole qui trace le chemin mais aussi une torche qui éclaire ce chemin. Cette définition me rappelle la pensée de Jean Jaurès qui écrivait : « Aller à l’idéal et comprendre le réel ». Et aussi à ce que déclarait Henri Bergson : « Il faut agir en homme de pensées et penser en homme d’actions ».
Tout leader politique vit idéellement Pour la politique qu’il érige en activité principale génératrice et productrice d’idées, de discours discursif et de logos. Max Weber le souligne avec pertinence dans son célèbre ouvrage le Savant et le Politique : "Celui qui vit Pour la Politique fait d’elle dans le sens le plus profond du terme le « but de sa vie » soit parce qu’il trouve un moyen de jouissance dans la simple possession du pouvoir, soit parce que cette activité lui permet de trouver son équilibre interne et d’exprimer sa valeur personnelle en se mettant au service d’une cause qui lui donne un sens à sa vie. C’est en ce sens profond que tout homme sérieux qui vit pour une cause vit également d’elle".
Tout leader politique vit aussi, mais sans abus, De la Politique qui lui permet d’accomplir les besoins de la cause, de se procurer des outils substantiels pour exercer efficacement ses activités professionnelles et de s’entretenir matériellement sans esprit de prodigalité. C’est bien cet esprit de tempérance morale et politique qui le distingue d’un Chef politique.
En effet, il faut relever qu’un Leader politique est un Chef politique mais un Chef politique n’est pas toujours un Leader politique même si parfois le Chef politique dispose d’une légitimité électorale ou s’il parvient au pouvoir par un coup de force. Cette distinction apparaît aussi dans les entourages de l’un et de l’autre même s’il existe quelques points d’intersection.
Le Chef politique vit De politique qu’il en fait une source de revenus permanente. Il s’entoure très largement des opportunistes de tout acabit sans convictions politiques, de courtisans impénitents qui chantent quotidiennement ses louanges, des thuriféraires qui l’encensent par des épithètes dithyrambiques et encomiastiques, d’un vaste conglomérat de truands et bien sûr de sa famille. C’est la parfaite illustration d’une République au Village, d’un népotisme abject et d’une camarilla mercantiliste.
L’Afrique est incontestablement ce terreau où l’on trouve, à foison, ce genre de Chefs politiques folkloriques aux aspirations timocratiques et ploutocratiques gargantuesques. Leurs ambitions réelles sont de s’incruster au pouvoir qu’ils considèrent comme leur patrimoine personnel et familial.
De cette distinction apparaît également la dialectique du pouvoir lié à l’Etre qui caractérise le Leader politique et du pouvoir lié à l’Avoir incarné par le Chef politique. Le première met en valeur sa probité morale et intellectuelle, la vulgarisation de l’idéologie qu’il défend et le second met en exergue sa vision matérialiste et hédoniste. Il est subjugué par ses turpitudes ventriloques, sa cupidité incommensurable et sa viscosité morale. L’un est respecté, l’autre est craint.
Les qualités d’un leader politique
Le don oratoire
Un leader politique est un flamboyant tribun, un orateur hors pair disposant d’un formidable débit dont la fluidité et la cohérence séduisent, mobilisent et drainent des foules. Ce sont son talent et sa capacité à convaincre qui non seulement renforcent sa crédibilité, la fidélité et la soumission auprès de ses adeptes mais inspirent aussi la considération, l’obéissance et l’admiration des masses populaires.
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous entendons dire : « Il est vraiment brillant ce type, nous avons besoin des gens de cette trempe ». Sans oublier ceux qui s’identifient à lui : Je m’appelle Jean Jaurès, Charles de Gaulle, Abraham Lincoln, Mouammar Kadhafi, Thomas Sankara , Che Guevara etc..
La maîtrise des contours idéologiques
C’est le discours discursif qu’il porte avec grande aisance, l’engagement et la cohérence de ses idées ; la connaissance des dossiers et la formation politique qu’il inculque pour que chacun des membres de ses équipes développe au maximum ses aptitudes, s’affirme et transmette avec élégance l’œuvre idéologique de son maître. C’est ce que l’on appelle en Sciences Politiques, l’héritage politique et spirituel du Leader. Nous connaissons plusieurs acteurs politiques qui revendiquent l’héritage politique de leurs précurseurs.
En France par exemple, François Mitterrand revendique l’héritage de Jean Jaurès et de Léon Blum, Jacques Chirac de Charles de Gaulle, Jean Pierre Chevènement de Jules Guesde, Jean Luc Mélenchon de Jules Guesde et de François Mitterrand. En Afrique, un aréopage de panafricanistes se positionne en héritiers de Nkwame Kruma, de Patrice Lumumba, de Sekou Touré, de Thomas Sankara, de Julius Nyeréré, de Laurent Gbagbo etc...
L’encadrement et le respect
Il s’agit de la gestion rationnelle et efficiente des membres du premier Cercle qui sont des professionnels politiques . Le Leader politique doit obligatoirement créer une dynamique de groupe dont les ressorts reposent sur le respect, l’écoute entre d’une part les membres du premier Cercle et lui et entre tous les membres du premier Cercle d’autre part. Il est politiquement et scientifiquement démontré que quand les membres d’une équipe politique sont congratulés, honorés et considérés par leur leader, leur fidélité et leur motivation et leur rentabilité politique évoluent de façon exponentielle.
Sur le plan de la Sociologie et de la Psychologie politiques, le leader doit créer et maintenir un climat d’entente et de cohésion au sein du premier Cercle pour éviter des frustrations. Il doit donc placer les membres du premier Cercle à un niveau relativement égal. D’où l’importance de la formation politico idéologiques. Sous Sa supervision, les membres les plus politiquement outillés tirent les autres vers le haut. Ainsi la pensée qu’ils vulgarisent aura le même impact ; ils parleront tous d’une même voix pour éviter la cacophonie.
C’est que l’on appelle politiquement :La Pression de Conformité. Elle consiste à exercer une forte pression sur les membres du premier Cercle pour qu’ils s’alignent sur la volonté du groupe et qu’ils ne soient pas en désaccord avec lui. Un groupe est plus soudé lorsqu’il justifie collectivement ses actions. C’est pourquoi tout Leader doit toujours s’engager à protéger le Cercle de toutes les dissensions en dehors du groupe ;il doit encourager chaque membre à exprimer son opinion lors des débats internes. C’ est la supériorité du groupe qui transcende la domination individuelle.
Il faut noter un point important :l’engagement du Leader politique est fondamentalement immatériel. Il repose principalement sur la formation politique des membres du groupe. Il est idéologique, politique, moral voire spirituel. Il est hors de question qu’un Leader politique se livre à une corruption obscène des consciences. Les convictions politiques et la corruption sont diamétralement antinomiques dans un espace politique fiable et viable.
Les Équipes d’un Leader politique
Pour mener à bon escient l’œuvre de diffusion de l’idéologie qu’il défend et de poser de façon pragmatique les jalons de son action, un Leader politique dispose de trois cercles .
Le noyau dur
C’est le premier Cercle par lequel un leader politique doit se constituer et s’adosser. Il est composé des fidèles dont la soumission, l’obéissance et l’admiration relèvent de sa vision de la société, de ses connaissances, du corpus idéologique qu’il promeut, de son charme et de son charisme. Ce leader charismatique que Max Weber définit si bien : « C’est une autorité qui repose sur la dévolution à la sainteté exceptionnelle, à l’héroïsme ou au tempérament exemplaire d’une personne individuelle et des modèles ou de l’ordre découvert ou ordonné par lui ». Ce leader charismatique et inspirant est fortement guidé par des Valeurs auxquelles les fidèles sont indéfectiblement attachés.
Les relations entre le leader politique charismatique et aspirant et ses fidèles sont fondamentalement placées sous le sceau de la Confiance qui s’établit à deux niveaux.
La Confiance entre le Leader politique charismatique et aspirant et l’ensemble des membres du Cercle. Cette relation de confiance est un contrat consensuel de fidélité que j’appellerai aussi Pacte de confiance. Par cette confiance, l’élaboration, l’approbation et la mise en musique des stratégies incombent à l’ensemble des membres du Cercle.
Le Leader politique charismatique et aspirant est tenu, en permanence, de tout faire pour mériter davantage la Confiance de ses fidèles. Il doit, par exemple, leur porter une attention particulière et soutenue en toutes circonstances.
La relation entre le leader politique et chaque membre du cercle pris individuellement. Cette relation est un Contrat synallagmatique de fidélité. C’est ce contractualisme qui renforce de façon évidente la fidélité vis à vis du leader. Le Leader distribue le travail, c’est à dire confier les dossiers spécifiques à chaque membre du Cercle selon son profil académique ou professionnel. De plus chaque membre est considéré comme conseiller que le leader est tenu de recevoir soit à son appel soit à la sollicitation du membre.
Les transactionnels politiques
Un transactionnel est un transhumant, un nomade, un vagabond dont le positionnement politique change en permanence en fonction de ses intérêts bassement matériels. C’est le Cercle le plus aléatoire et le plus pernicieux formé autour du Leader mais dont il n’accorde pas entièrement confiance car pouvant, à tous moments, le quitter et le trahir pour des privilèges et des subsides souvent indus.
La rétribution constitue donc le critère le plus déterminant pour un transactionnel. Moins attaché à des convictions idéologiques, sa posture caméléonique et ventriloque le pousse à se renier constamment et à se livrer au plus offrant.
Cette mobilité politique est une pratique courante très avilissante qui extirpe à la Politique et surtout à la Démocratie ses lettres de noblesse.
L ’amplitude et la récurrence du transactionnalisme au Gabon devient une grande pathologie démocratique qui discrédite toute la classe politique. Ceux qui gouvernent s’incrustent au pouvoir pour conserver leurs privilèges indûment acquis et ceux qui sont dans l’opposition qui perdent leur âme pour des raisons famélique et ventriloques. Les intérêts supérieurs du pays sont outrageusement relégués au magasin des accessoires. Les exemples sont légion depuis la conférence nationale de 1990 et lamentablement amplifiés depuis l’arrivée au pouvoir de Mr Ali Bongo.
Le transactionnalisme de la classe politique gabonaise est donc patent et indigne. Toute honte bue, les transactionnels écument des tribunes malgré l’hilarité des populations.
Comment peut on être crédible auprès de sa propre famille et des populations si, pour des raisons matérielles et mercantilistes on livre sa dignité aux chiens.
Oh lala, ces lilliputiens politicardesques gabonais.
Il faut cependant noter qu’un transactionnel peut aussi intégrer le Cercle des fidèles. Car la fréquence des séances de travail, la considération, les échanges réguliers, la posture affichée lors des animations populaires sont des occasions déterminants de séduction qui peuvent influencer le transactionnel.
Le parti politique
Un Parti politique peut être considéré le troisième cercle par lequel un leader politique extériorise son projet de société et acquiert une dimension et crédibilité incontestables. Ce cercle comprend les adhérents, les militants, les sympathisants, les apparentés, les alliés que le leader politique tente, à chaque occasion, de convaincre pour les arrimer définitivement à sa cause. Les réunions du parti, les animations politiques publiques sont des opportunités par lesquelles un leader s’impose et séduit par la pertinence de sa logorrhée idéologique.
Le Parti politique (à la fois parti des Cadres et parti Omni bus) est une structure par laquelle un leader procède à des recrutements qualitatifs et quantitatifs pour alimenter ses cercles, consolider sa position dominante et fidéliser davantage les membres.
L’Influence géospatiale du leader politique
Outre la force des idées qu’il véhicule dans son espace politique naturel, un leader peut exercer une influence réelle dans l’espace.
Historiquement les leaders politiques charismatiques ont conquis le monde par des idéologies fortes et attractives. Pour s’en convaincre ,aux États-Unis Georges Washington, Abraham Lincoln ont véhiculé les vertus du libéralisme politico économique, en Union des Républiques socialistes et soviétiques « URSS » le marxisme léninisme a fait florès, en Allemagne Bernstein a imprimé le Socialisme réformiste soutenu en France par Jean Jaurès, Léon Blum, François Mitterrand, Georges Clemenceau a vanté les mérites du radicalisme et Charles de Gaulle a mis en exergue le nationalisme et le libéralisme économique.
En Haïti Toussaint Louverture et Dessalline se sont appuyés sur le nationalisme, source de la fierté haïtienne, pour combattre l’impérialisme et le colonialisme. Ce courant nationaliste a inspiré les leaders africains : Nasser en Égypte, Ben Bella en Algérie, Nkwame Kruma et Jerry Rollings au Ghana, Patrice Lumumba au Congo, Sékou Touré en Guinée Conakry, Nelson Mandela en Afrique du Sud, Mouammar Kadhafi en Libye, Thomas Sankara au Burkina Faso, Robert Mugabe au Zimbabwe Julius Nyeréré en Tanzanie.
Aujourd’hui ce courant de pensée panafricaniste est incarnée par Laurent Gbagbo, Archange Touadera, Assimi Goita, Ousmane Sanko, Francklin Nyamsi, Nathalie Yamb, Kemi Seba, Privat Ngomo, Suzanne Barat.
Il est à noter que l’influence de certains leaders se limite dans un espace politique réduit du fait de l’obstruction systématique des dictatures en place notamment en Afrique et aussi à la faible communication des entourages des leaders. Nous pouvons citer le cas du Gabon où les voix de quelques leaders sont demeurées aphones et inaudibles malgré leur charisme et leurs talents idéologiques : Jean Hilaire Aubame, Rendjambé Issani, Pierre Louis Agondjo, le très charismatique Pierre Mamboundou, Jean Ping, Bengone Nsi.
Toutefois nous notons que les jeunes loups gabonais aux dents longues et acérées peuvent encore bâtir méthodiquement, intelligemment et intellectuellement leur leadership s’ils ne livrent pas au ventriloquisme : Ainsi Alexandre Barro Chambrier, Charles Mba, Jean Gaspard Ntoutoume Ayi, Davin Akoure, Richard Moulomba, Paul Marie Gondjoult, François Ndong Obiang, Joël Ngouenini, Privat Ngomo ont des atouts majeurs pour imprimer leurs marques. S’ils n’adoptent pas de postures politiques caméléoniques et marchandes comme ceux qui ont déjà jeté leur dignité à l’eau salée de mer, ils peuvent réussir à construire et à asseoir leur leadership. A eux de jouer.
Alain Claude Billy bi Nzé développerait son leadership s’il ne se laissait pas emberlificoter et subjugué par l’Avoir.
Faire de la politique, c’est se mettre entièrement au service de son pays et de ses concitoyens. C’est accepter le sacrifice au nom de l’intérêt général et non de délester les biens publics ou se livrer honteusement à la piraterie financière. Comme le disait si bien le Président Laurent Gbagbo : « On ne fait pas de la politique pour devenir riche :celui qui devient riche par la politique est un voleur. On devient riche en faisant les affaires ». Un Leader politique est donc un homme qui véhicule une idéologie attractive et sa vision très antinomique à celle d’un aréopage de Chefs timocratiques, ploutocratiques et Oligarques.
Alfred Nguia Banda, éxilé politique, Montpellier, France
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