Le suicide fait plus de morts dans le monde que les guerres, le VIH ou les homicides
Chaque année, un plus grand nombre de personnes meurent par suicide que du fait du VIH, du paludisme ou du cancer du sein, ou encore des guerres ou des homicides, selon les dernières estimations de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). Dans un récent rapport [1], l’agence onusienne établit que chaque année, au moins 703 000 personnes mettent fin à leur vie alors que les hommes constituent plus de deux tiers des victimes et que 77 % des suicides surviennent dans des pays à revenu faible ou intermédiaire.
Dans un communiqué publié à l’occasion de la Journée mondiale de prévention du suicide ce 10 septembre, l’OMS précise également que « pour chaque suicide, on dénombre de nombreuses autres tentatives de suicide », l’institution onusienne rapportant que « l’ingestion de pesticides, la pendaison et les armes à feu sont parmi les méthodes de suicide les plus répandues dans le monde ».
4e cause de mortalité chez les 15-29 ans
Estimant que le suicide constitue 1,3 % des causes de décès dans la population mondiale, l’OMS révèle qu’il a été la « quatrième cause de mortalité chez les 15-29 ans dans le monde en 2019 », après les accidents de la route, la tuberculose et la violence interpersonnelle.
L’agence onusienne rapporte que dans les pays à revenu faible ou intermédiaire, les personnes âgées de 20 à 35 ans constituent la tranche d’âge la plus touchée par le suicide alors que dans les pays à revenu élevé, il s’agit davantage des personnes âgées de 45 à 60 ans. Interrogé jeudi par l’Agence Anadolu (AA), Jean-Yves Tromeur, membre de l’Union Nationale Prévention Suicide (UNPS, France) apporte quelques précisions sur l’âge des victimes en France, un pays à revenu élevé.
« Ce dont parlent surtout les médias français, c’est le suicide des jeunes », note le psychosociologue agissant également comme coordinateur au sein de l’association « ENTR’ACTES », qui note cependant « que les personnes qui meurent par suicide en France, ce sont davantage les hommes dans la force de l’âge, des pères et des grands-pères ». « Le taux de suicide augmente avec l’âge », ajoute Tromeur apportant des précisions statistiques.
« On a 1 décès par suicide pour deux ou trois tentatives pour les personnes âgées, alors que chez les jeunes, ce ratio est de 1 décès pour environ 200 tentatives », note le psychothérapeute qui constate « donc beaucoup plus de tentatives mais beaucoup moins de décès chez les plus jeunes ».
« Les jeunes sont plus intuitifs dans le passage à l’acte, ils sont davantage dans l’immédiateté, plus affectés par une souffrance ponctuelle, alors qu’une personne plus âgée met plus de temps à arriver à ce point et c’est plus souvent fatal », constate encore le psychosociologue.
Les hommes constituent plus de deux tiers des victimes de suicide
« À l’échelle mondiale, le taux de suicide [...] était 2,3 fois plus élevé chez les hommes que chez les femmes », lit-on dans le rapport de l’OMS. En se référant aux statistiques de la Banque mondiale [2], rapportant qu’en 2019, les femmes constituaient 49,6 % de la population mondiale, il s’avère que plus de deux tiers (environ 69 %) des victimes de suicide sont des hommes.
Confirmant les chiffres de l’OMS, le psychosociologue, Jean-Yves Tromeur indique que « les personnes qui meurent davantage de suicide, ce sont les hommes, alors que celles qui attentent davantage à leur vie, ce sont des femmes et principalement des jeunes femmes ». En 2019, pour la France, l’OMS rapporte 8961 suicides réalisés, dont 6416 par des hommes et 2545 par des femmes.
L’institution précise également que le ratio des taux de suicide hommes/femmes (2,3 en moyenne dans le monde) peut varier selon les catégories de pays. « Alors que ce rapport était légèrement supérieur à 3 dans les pays à revenu élevé, il était plus faible dans les pays à revenu faible et intermédiaire (pays à faible revenu : 2,9 ; pays à revenu intermédiaire inférieur : 1,8 ; et pays à revenu intermédiaire supérieur : 2,6 ) », précise l’OMS.
Sous-estimation des chiffres liés au suicide
Dans son rapport pour l’année 2019 publié cette année, l’OMS reconnaît la difficulté d’établir des statistiques précises sur les suicides et les tentatives de suicide dans le monde, l’institution onusienne reconnaissant qu’elle a pu, d’une année à l’autre, apporter des chiffres contredisant ses propres statistiques d’un rapport précédent.
« Au niveau mondial, on manque de données sur le suicide et les tentatives de suicide, et celles-ci ne sont pas de bonne qualité », note l’OMS ajoutant que « seuls 80 États membres environ disposent de systèmes d’enregistrement des données d’état civil de qualité qui puissent être utilisés directement pour estimer les taux de suicides »,
« Il y a une sous-estimation des chiffres du fait de la mauvaise image du suicide, de nombreux suicides ne sont pas déclarés comme tels, souvent pour des questions de culture ou de religion qui font que la cause du décès n’est pas déclarée soit par les proches soit par les médecins », note Jean-Yves Tromeur.
Ajoutant que le suicide demeure un sujet tabou, Tromeur souligne qu’il s’agit « d’une violence méconnue, ou peu connue », et qu’il est difficile d’en parler. « Mais on doit se souvenir qu’il est également douloureux de se taire », note le psychosociologue.
Dans son communiqué publié à l’occasion de la Journée mondiale de la prévention du suicide, l’OMS constate également que « la stigmatisation, qui entoure en particulier les troubles mentaux et le suicide, signifie que beaucoup de gens qui ont attenté à leur vie ne cherchent pas à se faire aider et ne reçoivent pas l’aide dont ils auraient besoin ». L’organisme déplore qu’à ce jour, « seuls quelques pays ont inscrit la prévention du suicide au nombre de leurs priorités sanitaires et 38 pays seulement déclarent s’être dotés d’une stratégie nationale de prévention du suicide ».
Parmi les mesures préconisées par l’’institution onusienne, figurent notamment « l’enregistrement des données d’état civil pour le suicide, des registres hospitaliers des tentatives de suicide et des enquêtes représentatives au plan national, recueillant des informations sur les tentatives de suicide autodéclarées ».
« Il faut améliorer la surveillance et le suivi du suicide et des tentatives de suicide si l’on veut que les stratégies de prévention soient efficaces », note l’OMS qui souligne l’importance « pour les pays de mieux sensibiliser la communauté et de faire tomber ce tabou afin de faire progresser la prévention du suicide ».
Mieux comprendre les facteurs poussant une personne au suicide
Interrogé, Jean-Yves Tromeur souligne la complexité des pensées suicidaires, ainsi que l’intrication des nombreux facteurs et causes menant au suicide. « C’est à dire qu’il n’y a pas une cause unique : le passage à l’acte, c’est du fait de la goutte d’eau qui fait déborder le vase, pour ainsi dire », note le spécialiste ajoutant que « les personnes sont en situation de difficulté, en situation de souffrance, puis un élément déclencheur mène au geste fatal », explique-t-il.
« On a tendance à rationaliser le suicide par une cause unique alors qu’il y a rarement une cause unique menant au passage à l’acte », explique Tromeur ajoutant que « certains facteurs et événements de la vie peuvent rendre une personne plus vulnérable, tels qu’un deuil, une séparation, ou un problème issu du milieu professionnel, par exemple ».
Le psychothérapeute constate également que des problèmes de santé mentale, tels que l’anxiété ou la dépression, mais également des troubles neurologiques ou liés aux substances psychoactives telle que les drogues ou l’alcool, peuvent être des facteurs contributifs au suicide. « Le suicide c’est d’abord des flashs qui sont très ponctuels, et puis face à l’absence de solution, le suicide finit par devenir l’unique "solution" pour la personne », note-t-il encore.
Le suicide n’est pas une fatalité
Dans son communiqué publié à l’occasion de la Journée mondiale de la prévention du suicide, l’OMS note qu’elle « considère le suicide comme une priorité de santé publique ». Le premier rapport mondial de l’OMS sur le suicide intitulé « Prévention du suicide : l’état d’urgence mondial », publié en 2014, vise à sensibiliser davantage à l’importance en santé publique du suicide et des tentatives de suicide, « et à donner à la prévention du suicide un rang élevé parmi les priorités de l’action mondiale en santé publique », lit-on dans le communiqué.
L’institution onusienne vise également à « encourager et aider les pays à élaborer ou renforcer des stratégies complètes de prévention du suicide dans le cadre d’une approche multisectorielle de santé publique ». Jean-Yves Tromeur rappelle un certain nombre de préconisations, notamment sur les comportements que peuvent adopter les associations, les médias, mais également les individus, afin de mettre l’accent sur la prévention du suicide, le spécialiste soulignant que « le suicide n’est pas une fatalité ».
L’OMS et l’UNPS estiment que le suicide n’est pas qu’une affaire des spécialistes. Chacun dans la société peut être un acteur clé dans la prévention du suicide, rappelle le psychothérapeute interrogé par AA. « Il y a donc des actions simples qui sont à envisager et qui peuvent être déterminantes pour la vie des personnes », estime Tromeur qui souligne l’importance des occasions comme la Journée mondiale de la prévention du suicide « pour prendre conscience du phénomène, pour informer, sensibiliser, alerter et échanger ».
Le spécialiste préconise notamment que l’on « parle de manière plus ouverte du sujet pour vaincre le tabou, et ainsi aider la personne ayant des pensées suicidaires à davantage en parler ». Tromeur évoque également les actions engagées par « ENTR’ACTES », l’association qu’il coordonne en banlieue parisienne, notamment des « interventions communautaires en prévention du suicide ».
« C’est une intervention qui inclut la formation des acteurs en première ligne, tels que les principaux de collège, les proviseurs de lycée, les travailleurs sociaux, les infirmiers qui interviennent dans de telles situations, des acteurs qui sont sensibilisés à la prévention du suicide et qui sont référents dans les structures, telles que les établissements scolaires, des clubs de prévention, des services sociaux, ce qui permet aux collègues de les interpeller, prendre conseil et de collaborer », selon le psychosociologue.
Notant que ces actions doivent être associées à des mesures d’organisations et à de multiples partenariats, le spécialiste souligne encore une fois que « chacun peut se rapprocher d’une personne qui ne va pas bien et se préoccuper, s’occuper d’elle, lui apporter un soutien. Elle peut également orienter la personne, trouver des ressources qui peuvent l’aider dans ce processus ».
L’UNPS préconise également la mise en réseaux de ressources locales en santé ainsi que la collaboration interprofessionnelle. « Si les acteurs de première ligne sont confrontés à des situations, il savent vers qui s’orienter, notamment des professionnels de la santé mentale », note Tromeur rappelant un fait essentiel :
« À priori, les personnes ne veulent pas mourir, il s’agirait surtout de mettre fin à une souffrance : c’est plutôt ça qui est recherché », note le spécialiste témoignant d’une de ses récentes expériences dans le cadre associatif. « J’étais en contact au téléphone avec une personne, un homme qui était vraiment mal : il m’expliquait tout ce qui allait mal. Je lui ai dit : "Je comprends, vous êtes au bout du rouleau". Il a répondu qu’il était "plus loin que le bout du rouleau", mais en prenant le temps de discuter, d’écouter cette personne, on a pu organiser avec son accord la venue de secours (en appelant le SAMU) dans l’urgence », explique-t-il.
Soulignant le rôle vital du temps d’écoute, le spécialiste rappelle que « les jeunes reprochent surtout aux adultes de ne pas les écouter, ils leurs demandent de prendre leur problèmes au sérieux. Donc ça peut permettre d’ouvrir une porte à l’expression de difficultés auxquelles ils sont confrontés ; ça peut ouvrir la porte à sortir la personne de sa solitude », note encore le psychothérapeute.
« C’est important que les personnes qui interviennent ne le fassent pas seules, d’une part parce que il peut y avoir des choses difficiles à entendre et on peut se faire piéger dans la confidence de la personne, et puis on s’en sort mieux quand on est plusieurs que seul pour aider une personne alors que si une personne n’arrive pas à trouver la clé, une autre peut y arriver. C’est aussi dans ce sens que se rassemblent les associations membres de l’UNPS pour promouvoir une prévention partagée », conclut Jean-Yves Tromeur.
Notes :
[1] « Suicide worldwide in 2019 » – (Anglais) - Organisation Mondiale de la Santé (OMS) – 16 juin 2021
https://www.who.int/publications/i/item/9789240026643[2] « Global female population ratio » - (Anglais) – Banque Mondiale (2019)
https://data.worldbank.org/indicator/SP.POP.TOTL.FE.ZS
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