L’oppression et l’autoritarisme, caractéristiques habituelles des régimes politiques s’étendant sur un laps de temps conséquent, ont favorisé l’émergence des campagnes de contestation et de dénonciation partout sur la planète où de tels fléaux ont gangrené le quotidien des peuples. Bien que ces mouvements d’humeur furent beaucoup combattus par ceux vers qui se portaient les critiques et les accusations, ils s’étendirent et se formalisèrent pour beaucoup dans la clandestinité et le sens du patriotisme.
Cette observation est d’autant plus significative sur le continent africain qui au fil des années a connu une nette évolution des idéologies politiques autrefois malsaines et barbares. Dans les sociétés africaines d’antan, le pouvoir était détenu par un chef traditionnel qui organisait la vie et les activités du ou des territoires qu’il gérait avec l’assistance de plusieurs conseillers.
Un visuel hommage au disparu
Avec l’arrivée de l’homme blanc, l’Afrique fut annexée à plusieurs pays occidentaux. Concernant les régions occidentale et centrale africaines, elles furent prises en otage par l’administration coloniale française pour grossir le périmètre de son empire. Ce fut la période où l’occupant déclencha la transmission de sa façon de gouverner en bonne et due forme des règles de gestion politique moderne : ce fut alors la période de politisation du pouvoir traditionnel qui garda quelques aspects de sa substance d’origine. Après le « départ » de l’homme, les peuples africains recouvrent leur liberté et hérité de la structuration politique européenne.
Mais certains dirigeants décident d’africaniser, à l’image d’anciens roitelets indigènes, cette forme de « gestion de la cité ». La corruption et le sous-développement assombrissent l’image déjà bien terne d’une Afrique en perte de valeurs intrinsèques. Les régimes politiques gabonais orchestrés par Léon Mba Minko et Albert-Bernard Bongo ont été pernicieux pour bon nombre de gabonais mais des hommes de courage et empreint d’humanisme se révolta contre ces tyrans qui en avaient fait des ennemis publics de premier rang. Jean-Pierre Nzoghé Nguéma (1932-2008) fut un opposant acharné à ces systèmes d’oppression.
Naissance
Jean-Pierre Nzoghé Nguéma est né durant l’année 1932 dans la ville de Libreville. Il est originaire de la communauté « Fang » qui s’installèrent dans l’Estuaire du Gabon. Il était affectueusement appelé par ses proches « Pa Bilo » et était marié, géniteur de plusieurs enfants.
Cursus
Jean-Pierre Nzoghé Nguéma débute ses études primaires et secondaires à Libreville. Il obtint facilement son Certificat d’études primaires élémentaires (CEPE) ainsi que son baccalauréat tout en étant inscrit en série scientifique. Son baccalauréat en poche, il s’envole pour la France et opte pour des études en physique, lui qui a toujours été un passionné de science dès le début de son arrivée au secondaire. Il finit par décrocher un doctorat en physique non pas Hexagone mais dans l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS) devenue aujourd’hui la république fédérale de Russie.
Engagements estudiantins
Alors qu’il est étudiant en France, Jean-Pierre Nzoghé Nguéma rejoint un mouvement de contestation et de dénonciation anticolonialiste regroupant plusieurs étudiants gabonais vivant en Métropole du nom de Mouvement gabonais d’action populaire (MGAP). Mais bien avant cela, il fréquentait déjà une autre association à caractère syndicale l’Association générale des étudiants gabonais (AGEG). Durant cette période, le Gabon est en passe de devenir un pays souverain mais la présence française dans l’administration et la gestion du pays dérange d’autant plus que ceux-ci sont les bras armés d’hommes politiques locaux qui favorisent leurs ambitions personnelles au détriment du plus grand nombre.
L’opposant et son épouse
L’avidité de pouvoir dont fait montre Léon Mba alors maire de Libreville et président du Conseil du gouvernement est insoutenable d’autant plus que l’accaparement des richesses du pays par un cercle très fermé des affidés de Léon Mba encourage le sous-développement du pays et la précarité de la population. Par ailleurs, pour ces jeunes opposants, rien n’augure des jours heureux car ils se rendent compte très tôt que l’autonomie que compte donner Paris à ses territoires d’outre-mer n’est qu’éphémère, ce qui fausse dès lors la fameuse campagne pour faire voter le « oui » au référendum de 1958 dont le but est, selon les dirigeants français et leurs politicards africains, une réelle aubaine pour l’obtention de leur souveraineté internationale.
Lais l’activisme politique et syndicale de Jean-Pierre Nzoghé Nguéma vont le conduire à écourter ses études en France pour les terminer en URSS. En effet, une opération d’épuration contre les dissidents au régime de Léon est menée en hexagone contre tous ceux qui se dressent à la nouvelle cohabitation franco-gabonaise désormais définie par le terme « néocolonialisme ». Plusieurs étudiants voient leurs bourses d’études suspendues mais grâce à un autre membre du MGAP, Bonjean Ondo, ces derniers observent le temps d’un instant un rétablissement de leurs aides financières scolaires car le père de Bonjean Ondo est dorénavant le ministre de l’éducation nationale et fait partie du Bloc démocratique gabonais (BDG).
Il plaide alors auprès de Léon Mba, une reconsidération de la situation financière des apprenants gabonais présent en France en lui promettant une normalisation de la situation. Certains ne purent respecter cet engagement et décidèrent de s’exiler dans les pays européens voici quand d’autres rejoignirent des bastions de résistance s’organisant sur le continent africain à l’instar de Germain Mba qui regagna le front contestataire d’Alger. Jean-Pierre Nzoghé Nguéma fait le choix de conclure ses études alors en URSS et de rejoindre le Gabon où il compte poursuivre son combat contre l’oppresseur blanc et ses pantins de service qu’il a installé au pouvoir pour servir ses intérêts.
Véhémences politiques au Gabon
Au milieu des années 1960 et vers la fin de celles-ci, nombreux sont les étudiants gabonais à regagner le pays. La disparition de Léon en 1967 les conforte dans leur désir de construire le pays avec des dirigeants qu’ils pensent avoir compris la détresse du peuple et les revendications d’autonomie avérée des poches gabonaises de résistance. Mais quand Bernard Bongo accède au pouvoir, la continuité de l’oppression est actée : l’instauration de l’autocratie sape profondément le semblant de démocratie qu’on aurait cru exister.
Plusieurs intellectuels qui constituaient l’insurrection estudiantine rejoignent dès lors les rangs du Parti démocratique gabonais (PDG). C’est la douloureuse époque du parti unique. Bien que nombreux d’entre eux ne cautionnent pas les pratiques autoritaires des barons du pouvoir, ils rentrent dans l’administration et prennent la décision de se taire et de faire allégeance. Jean-Pierre Nzoghé Nguéma lui n’est pas de cet avis, il exprime clairement son mécontentement et décide de subvenir à ses besoins en dispensant des cours à l’Université nationale du Gabon (UNG) créée en 1970 par la volonté du président Bongo de doter son pays d’une structure d’enseignement supérieur.
A l’époque, l’UNG compte trois facultés à savoir la faculté de Droit, la faculté des Sciences Economiques ainsi que la faculté des Lettres des sciences humaines et des sciences. Jean-Pierre Nzoghé Nguéma enseigne les sciences car détenteur d’un doctorat en physique. Mais avec d’autres anciens étudiants et anciens membres de l’AGEG comme Me Louis Agondjo Okawé, Jean-Pierre Nzoghé Nguéma organise des mouvements de contestation au sein de l’UNG.
Ces derniers accusent le parti au pouvoir de se servir du PDG comme un organe de propagande populaire dont l’objectif est de restreindre les libertés individuelles et politiques afin d’asseoir davantage la dictature du chef de l’Etat. De plus, le plus farouche opposant de Bongo est assassiné le 17 septembre 1971. Il s’agit de Germain Mba, ancien membre de l’AGEG et fondateur du Mouvement national de la résistance gabonaise (MNRG). En 1972, des évènements de fonde populaire ont lieu au sein de l’UNG et Jean-Pierre Nzoghé Nguéma est mis aux arrêtes pour y avoir participer, tout rassemblement à connotation politique extra-PDG étant interdit.
Mais notre protagoniste ne faiblit point. Il s’organise autour d’autres résistants gabonais travaillant dans l’administration pour mettre au point une manifestation pacifique pour dénoncer les dérives du pouvoir, le tout avec la création d’un parti politique du nom de Mouvement de redressement national (MORENA) en 1981. La même année au mois de décembre, les différents acteurs du MORENA organise une marche de protestation pour porter accusation aux pratiques totalitaires du parti-Etat façonné par Omar Bongo. Jean-Pierre Nzoghé Nguéma est une nouvelle fois interpellé et ses compagnons de lutte avec lui.
Jean-Pierre Nzoghé Nguéma était devenu à ce moment recteur de l’UNG nouvellement appelée Université Omar Bongo (UOB) dès 1978 et était en voyage à Brazzaville lors de ces évènements dits de la « gare-routière », on lui mit le grappin dessus à son retour de voyage pour sa proximité avec le MORENA qu’il reconnut fièrement. Près d’une quarantaine, ils sont jugés à la cour de sûreté de l’Etat l’année suivante et jetés en prison. Limogé et incarcéré par le pouvoir, cette décision est majoritairement rejetée par la majorité des étudiants de l’UOB qui s’insurgent contre le traitement réservé à leur recteur. De vives tensions éclatent en décembre 1981 et le président Bongo est contraint de fermer l’Université
Apport et modération politique
Au milieu des années 1980, Jean-Pierre Nzoghé Nguéma sort de prison. Le régime de Bongo lâche du lest et pressent un changement idéologique futur sur l’ensemble de la planète. Aussi, la conquête du pouvoir en France par le Parti socialiste entraîne les états africains du centre à repenser leur mode de gouvernance. En 1990, le président Bongo convoque une conférence nationale pour s’arrimer à la volonté de son employeur français mais aussi à celle de plus en plus pesante du peuple. Jean-Pierre Nzoghé Nguéma ainsi que certains de ses sempiternels frères d’armes tels que Joseph Rendjambet conçoivent activement les mécanismes de l’avènement du pluralisme politique. L’environnement politique gabonais se modernise au cours du mois de mai 1990 et plusieurs formations politiques voient le jour.
En 2001, Jean-Pierre Nzoghé Nguéma compte parmi les membres du parti de l’opposition dénommée le Congrès pour la démocratie et la justice (CDJ) qui fut fondé en 1993 par l’ancien président démissionnaire de l’assemblée nationale de 1990 à 1993, Jules-Aristide Bourdes Ogouliguendé. Il quitte le CDJ et décide de rallier les rangs du PDG et devient sénateur du département du Komo-Océan localisé dans la province de l’Estuaire sous la bannière du parti qu’il n’a de cesse combattu mais dont l’âge a amoindri la pugnacité. Par ailleurs, il fut aussi le premier président du tout nouveau Conseil départemental du Komo-Océan. En septembre 2008 soit près de deux mois avant son décès, Jean-Pierre Nzoghé Nguéma fut élu membre du bureau politique du PDG.
Mort
C’est en date du vendredi 5 décembre 2008 que disparaît Jean-Pierre Nzoghé Nguéma. Il émit son dernier souffle à Libreville à l’âge de 76 ans. Le président El Hadj Omar Bongo Ondimba avait tenu a faire parvenir une déclaration de soutien et de réconfort à l’endroit de la veuve de Jean-Pierre Nzoghé Nguéma quelques jours après son décès.
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