Marie Laurent Justérien Cyr Antchouey, le pionnier de la presse libre au Gabon
Bien qu’il fût difficile pour de nombreux indigènes gabonais « lettrés » de faire entendre raison à l’administration française de l’époque précoloniale, le Gabon qui n’était alors qu’un petit territoire occupé par le colon, a vu émerger en son sein des voix revendicatrices et dénonciatrices. Durant cette période, il était pernicieux pour quiconque osait se confronter verbalement à « l’occupant blanc » car cela constituait un danger réel et une peur inavouée pour « les étrangers » français qui venus en amis, s’étaient installés et avaient pris possession d’un espace qui était de loin le leur.
Oppressés et réduits au silence sur les terres qui fut celles de leurs aïeuls, la jeunesse gabonaise du début des années 1900 va utiliser un rudiment de l’instruction coloniale, l’écriture, pour s’en servir comme « haut-parleur » afin de révéler et de conscientiser les instruits gabonais et africains, sur la nécessité de se débarrasser de la fâcheuse et corrosive « relation franco-africaine » qui est de loin, la cause principale de l’état de servitude et du non développement des territoires d’Afrique.
Né à la fin du 19ème siècle, Marie Laurent Justérien Cyr Antchouet (1898-1926) fut l’un des gabonais à pointer vaillamment le doigt, aux autorités coloniales de l’époque par le biais de la littérature.
Présentation du protagoniste
Marie Laurent Justérien Cyr Antchouet plus connu sous l’appellation de Laurent-Cyr Antchouey est le fruit d’une histoire d’amour entre Mathias Antchouey Obouendi et Henriette Iyoumbouno. C’est à la lisière du « siècle des Lumières » que Laurent-Cyr Antchouey ouvre les yeux pour la première fois précisément en 1898. C’était à Libreville dans l’une des modestes maisons du village Glass devenu aujourd’hui un quartier de renom de la capitale gabonaise. Il est le cousin de Louis Emile Bigmann-Indjono et de Charles Ntchoréré, il est aussi l’aîné d’une fille du nom de Delphine Diop Bineni dont le nom de jeune fille est Aworè Ngwèdinwa.
Parcours scolaire
Décrochant son Certificat d’études primaires indigènes (CEPI), Laurent-Cyr Antchouey intègre la célèbre école Montfort de Libreville pour poursuivre ses études secondaires. En 1920, il s’envole pour le Sénégal, direction Dakar pour parfaire ses études mais il ne les finira jamais car, sa soif de liberté pour son pays et son continent prendra le pas sur son cursus.
Début de lutte
C’est durant sa vie scolaire lorsqu’il était élève à l’école Montfort que Laurent-Cyr Antchouey débute son militantisme pour la cause africaine, jetant l’opprobre sur l’occupation illégale et inexpliquée de l’homme blanc sur les territoires africains qui furent des havres de paix et de bon-vivre avant l’arrivée de l’occupant. L’une des « représentations » de la Ligue des droits de l’homme (LDH) est bienheureusement installée en terre gabonaise, ce qui permet au jeune Antchouey de trouver une tribune adaptée à ses aspirations.
A 19 ans, ce jeune gabonais à l’aura déjà bien perceptible et promis à un bel avenir est promu en 1917, leader de la section locale de la Ligue des droits de l’homme au Gabon. Cette récompense n’est en aucun cas vaine car le jeune Laurent-Cyr est un fervent défenseur des droits des africains et n’hésitent aucunement à tirer à boulets rouges sur l’oppresseur blanc dont la présence sur le continent africain n’est pas justifiée car elle est totalement intéressée et improductive. D’une intelligence saisissante, Laurent-Cyr se mue en prophète de la cause noire en Afrique surtout dans sa partie francophone, lui qui ne cesse d’appeler à un réveil des « éclairés » du continent pour faire cesser les horreurs et les lamentations des populations autochtones du continent.
Lutte anticolonialiste
Arrivé en 1921 au pays de la « Teranga » pour raison d’études, Laurent-Cyr Antchouey se met très vite à l’écriture et pond des articles incisifs qui révèlent le caractère malsain et périlleux de la colonisation. Il faut dire qu’en ces temps, il fallait avoir des bourses bien grosses pour s’en prendre aussi frontalement à l’administration coloniale française. Ces écrits attirèrent le respect des plus influents panafricanistes de l’époque qui reconnurent l’audace et la bravoure du jeune Laurent-Cyr envers l’occupant blanc.
Garçon déjà obnubilé par l’aspect symbolique d’un acte ou d’une action, Laurent-Cyr jette son dévolu sur l’île de Gorée encore appelée « île-mémoire », lieu sacré représentant l’axe central de la traite négrière en Afrique et donc du commerce des esclaves africains. C’est donc dans cette partie du Sénégal chargée d’histoires que Laurent-Cyr choisit de mettre en place le tout premier organe de presse gabonais : L’Echos gabonais. Il en fait son arme de guerre contre le système de prédation français.
C’est aux côtés de son inséparable cousin, Louis Emile Bigmann-Indjono que Laurent-Cyr Antchouey crée son journal dénommé « L’Echo gabonais » en 1921. Mais ce n’est qu’en 1922 que la parution du numéro inaugural se fera. Le journal est sous-titré « Organe d’Union et de Défense des Intérêts Généraux de l’AEF ». En effet, l’AEF est le sigle de l’Afrique équatoriale française, un regroupement administratif des colonies africaines de la France situées dans la partie centrale du continent africain. Ledit sous-titre en dit long sur l’objectif d’un tel média.
Le journal comprend plusieurs sections mais c’est au cœur de sa rubrique intitulée « Politique coloniale » que Laurent-Cyr se montre virulent et intransigeant face à l’administration coloniale. Dans le premier numéro de « L’Echo gabonais », notre personnage s’appesantit sur la sensibilisation des élites africaines et l’émergence d’une classe d’instruits africains pour faire bloc à l’implantation continue du colon en Afrique. Au sein du deuxième et dernier numéro de « L’Echos gabonais » paru aussi en 1922, Laurent-Cyr s’attaque cette fois-ci à la gestion incongrue de l’administration coloniale et aux moyens qu’elle utilise pour embrigader sans discontinuité, les harmonieuses terres africaines.
Représailles
Pendant près de deux ans soit de 1922 à 1924, Laurent-Cyr Antchouey subit des pressions énormes de la part de l’administration coloniale. Mais craignant pour sa vie, il décide de trouver refuge en France. Il choisit la ville de Nice pour destination. La vie de Laurent-Cyr débute en France en 1924, il est alors âgé de 26 ans. Mais sa détermination dans la dénonciation et la mise à nue des pratiques abjectes des autorités françaises dans leurs territoires d’Outre-Mer ne faiblit point.
Bien au contraire, il se réinvente et décide dans un premier temps de changer le nom de son journal ; en lieu et place de « L’Echo gabonais », l’organe de presse de sieur Antchouey a désormais pour nom « La Voix coloniale ». Ensuite, Laurent-Cyr Antchouey adopte une autre stratégie de publication en rendant désormais disponible ses écrits dans des kiosques à journaux avec une fréquence de publiaction beaucoup plus importante, lui qui n’avait publié que deux numéros de « L’Echos gabonais » quand il se trouvait au Sénégal.
L’éveil des élites étant l’un des objectifs de Laurent-Cyr Antchouey, celui s’évertue à ce que ce soit une réalité africaine et non une chimère née de la raison finalement infertile d’une certaine intelligentsia africaine. Malgré les turpitudes que lui font subir les autorités françaises en se servant de l’administration coloniale, Laurent-Cyr reste droit dans ses bottes et poursuit, par le poids des mots, son combat pour les opprimés africains qui plus jamais ont réellement besoin de retrouver la liberté qui était la leur, bien avant l’arrivée des explorateurs puis des missionnaires blancs. Toutes ces étapes ont très certainement permis de structurer et d’intensifier l’implantation du « blanc » dans les territoires africains car la recherche effrénée des richesses par les blancs a tout d’abord conduit à l’esclavage puis à la colonisation des peuples africains.
Décès
N’ayant pas pu profiter des joies qu’offrent les merveilleux moments passés en famille, Laurent-Cyr Antchouey se rend au Gabon en 1926 après près de cinq ans loin de ses proches. Au cours du mois de juin de la même année, Laurent-Cyr qui n’est alors âgé que de 28 ans se rend aux abords du fleuve « Nomba » pour s’y baigner. Parti pour aller « piqué une tête », Laurent-Cyr Antchouey perdra la vie par noyade, semant un chagrin éternel et un regret abyssal chez ses consanguins et au sein de la classe des « instruits » gabonais.
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