La dépénalisation de l’homosexualité voulue par le gouvernement gabonais et adoptée les 23 et 29 juin par les deux chambres du parlement gabonais, continue de faire réagir. Alors que nous recevions jusque-là les positions opposées au texte gouvernemental, nous vous livrons dans les lignes qui suivent, la tribune du juriste gabonais Gregue Nguele. Celui-ci prend à rebours les arguments des opposants à la dépénalisation de l’homosexualité et de l’homosexualité tout court. Pour lui, l’homosexualité n’est pas la cause de la profonde perversion de la société gabonaise. Des propos qui ne manqueront pas de susciter le débat. Lecture.
Du droit d’exister et d’être différent
Le projet gouvernemental, visant à la dépénalisation de l’homosexualité, nous donne à nouveau l’occasion d’observer à quel point la reconnaissance du droit d’être homosexuel progresse difficilement dans notre pays.
Le débat actuel montre bien que le problème n’est pas seulement celui de la dépénalisation, comme si l’homosexualité elle-même avait cessé de poser des difficultés. Dans les réactions et les prises de position, sur les réseaux sociaux et à travers les médias, s’expriment encore bien des réticences sur l’homosexualité elle-même.
Il parait impérieux que la réflexion soit reprise sur le droit d’être homosexuel, sur les arguments permettant d’aboutir ou non à la reconnaissance d’un tel droit, et d’en tirer des conséquences pour le concrétiser dans notre droit positif et dans la vie sociale.
Interrogations sur les motivations du gouvernement gabonais
Les relations sexuelles entre personne de même sexe, faut-il le rappeler, n’étaient pas condamnées au Gabon avant qu’un amendement au code pénal, interdisant ce type de pratiques, ne soit voté par le Sénat en juillet 2019. Depuis 1960, date de notre indépendance, aucune loi ne mentionnait explicitement l’homosexualité.
Nous pouvons donc nous interroger sur les motivations, actuelles et passées, du gouvernement gabonais ainsi que sur l’opportunité d’avoir porté cet alinéa au code pénal ; lequel alinéa s’est avéré être inopérant.
L’attitude du gouvernement gabonais, qui se désavoue au bout de 11 mois, est au minimum maladroite, sinon irresponsable. Irresponsable pour avoir ouvert un débat sur un sujet qui clive profondément notre société.
Dépénaliser, c’est se conformer aux engagements internationaux du Gabon
La perspective de la dépénalisation de l’homosexualité est essentiellement fondée sur l’égalité, la non-discrimination et le droit à la vie privée. Ces droits humains sont explicitement inscrits dans tous les traités et déclarations relatifs aux droits humains internationalement reconnus, auxquels le Gabon est Etat-partie.
Bien que ces textes n’offrent pas de références directes à la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle, ils interdisent néanmoins la discrimination fondée sur le genre. En 1993, le Comité des droits de l’homme des Nations Unies a instauré l’interdiction de la discrimination fondée sur la préférence sexuelle.
L’Etat gabonais, sur la base de ses engagements internationaux, et conformément à sa Constitution qui condamne toutes les formes de discriminations, s’oblige à traiter tous ses citoyens de façon égale.
Toutefois, nous comprenons que du gouvernement, le peuple gabonais attend qu’il s’arrime aux normes internationales en matière de bonne gouvernance et non pas seulement en matière de reconnaissance de droits des homosexuels.
L’argument fallacieux de la préservation des valeurs religieuses et des mœurs bantoues
Sur le débat ouvert, les grandes religions condamnent vigoureusement l’homosexualité. Le type d’arguments utilisés est appelé le commandement divin : ce que Dieu prescrit nous dit ce qui est moralement désirable et doit être pratiqué ; ce qu’il proscrit nous dit ce qui est moralement condamnable et doit être évité.
Opposer ce type d’arguments, c’est faire intervenir la religion dans le débat public.Or, il n’est pas facile d’argumenter avec une personne dont le raisonnement repose sur des croyances dogmatiques. Doit-on rappeler que cette même religion affirmait que l’homme noir était dépourvue d’humanité, de pensée et de construction sociale ?
Aux croyants, nous voulons faire remarquer que, dans la République, leurs convictions ne devraient pas être imposées aux autres, qui ne partagent pas leur foi ; que différentes religions disent parfois sur la même question des choses différentes.Doit-on aussi rappeler le péril qu’il y a à vouloir décider ce que Dieu veut dire en interprétant des textes anciens et parfois contradictoires ? Doit-on rappeler que certaines prescriptions religieuses semblent à la plupart des gens, et sans doute à eux-mêmes les croyants, parfaitement immorales ? Par exemple quand la Bible prescrit la peine de mort en cas de transgression du sabbat.
Tenter d’alléguer la primauté des principes religieux sur les principes républicains, qui fondent notre contrat social, c’est faire la promotion de l’état théologique au détriment de la République laïque consacrée par notre Constitution.
Aussi, il est tout aussi curieux de constater que les autorités religieuses ne montent au créneau que lorsqu’il s’agit de questions relatives à l’intimité sexuelle des individus. Longtemps interpellées sur des questions qui engagent l’avenir de la nation, menacent notre vivre ensemble et qui constituent des préoccupations majeures des Gabonais, elles sont restées muettes, balbutiant quelques bribes à peine audibles en arguant ne pas vouloir interférer dans le champ politique, car « tout pouvoir venant de Dieu » ; l’autorité ayant décidé, on peut donc conclure que c’est la volonté de Dieu.
Par ailleurs, l’autre argument développé, par les pourfendeurs de la dépénalisation de l’homosexualité, serait la préservation de nos mœurs bantoues. Soudainement, ils prétendent défendre des us et coutumes qu’ils ne connaissent ni ne pratiquent pourtant pas.
Mais, de quelles mœurs bantoues parle-t-on ? Dans une société profondément pervertie, en perte de valeurs, sans repères, défaillante et en décadence. Une société habitée par la seule quête d’un certain confort financier et matériel.
L’étude empirique de la société gabonaise nous révèle que la dépravation des mœurs est au cœur de l’effondrement de notre tissu social ; sans que l’homosexualité n’en soit la cause centrale :
- nombreux cas d’inceste,
- abus sexuels sur mineurs (affaire Wally) et pédopornographie,
- sexualité et grossesses précoces chez les jeunes,
- promotion sociale fondée sur l’appartenance à des cercles ésotérique ou contre des faveurs sexuelles,
- jeunes filles socialement entretenues dès le collège par des amants adultes,
- etc.
Nous connaissons ces pervers et dépravés, les fréquentons et jouissons même parfois du fruit de cet avilissement. Les Gabonais, dans leur ensemble, feignent d’ignorer ces « phénomènes de société » qui démantèlent le tissu social et familial. Chacun s’en émeut en privé, mais en réalité, juge qu’il n’est pas de son ressort de soulever ces problèmes et les dénoncer.
Nos fameuses mœurs bantoues, arguments à géométrie variable, ne doivent en aucun cas servir à stigmatiser nos semblables du fait de leur orientation sexuelle. Il nous faut mettre fin à ce populisme bien-pensant, stigmatisant et discriminant une partie de la population.
Profond conservatisme d’une société gabonaise devenue intolérante
La société gabonaise est couverte d’une couche d’apparence tolérante et ouverte sur les questions de droits humains, lorsque celles-ci ne la touchent pas directement. Cependant, lorsque le débat est posé en son sein, apparaît un noyau plus dur et réfractaire.
Alors que dépénaliser, c’est reconnaître un droit à une communauté (homosexuelle) sans que cela n’enlève quoique ce soit à une autre communauté (hétérosexuelle), le débat en cours a donné lieu à un florilège d’arguments à la gravité volontairement exagérée. Ainsi, avons-nous pu observer une profusion de contrevérités dont nous nous faisons le devoir de critiquer quelques-unes à travers cette tribune.
1. « La dépénalisation mènera forcément au mariage et à l’adoption »
La dépénalisation de l’homosexualité (matière pénale) ne mènera pas forcément au mariage et à l’adoption, car ces questions relèvent du Code civil et ce dernier n’a pas fait l’objet de modification.2. « L’homoparentalité pourrait psychologiquement perturber les enfants et en faire de futurs homosexuels »
Sur cette question, les données scientifiques actuelles ne permettent pas d’être aussi catégorique. Pouvons-nous juste faire remarquer que les homosexuels d’aujourd’hui sont des enfants de parents hétéros. Ce qui nous amène à penser que l’équilibre d’un enfant se trouve moins dans l’orientation sexuelle de ses parents, mais beaucoup plus dans des considérations plus globales.3. « L’homosexualité va pervertir la société car ils ne se cacheront plus »
D’une part, comme nous l’avons relevé plus haut, la société gabonaise n’a pas eu besoin de l’homosexualité pour atteindre son niveau actuel de perversion.D’autre part, si les hétérosexuels n’ont pas pour principe la pratique régulière des rapports sexuels dans la rue ou l’espace public, laisser présumer que ce serait le cas pour les homosexuels est une démonstration de la légèreté de l’argument posé.
Doit-on mener la chasse à tout ce qui doit être moralement condamnable ?
Si nous devons débattre de l’homosexualité et punir des adultes libres et consentants, pour des pratiques qui relèvent du cadre stricte de leurs vies privées, alors faisons œuvre utile et allons au bout de cette logique ; soyons absolus.
Et, si nous pénétrons l’intimité des hétérosexuels, les « défenseurs » des principes religieux et de nos valeurs bantoues y trouveraient un vivier de pratiques condamnables et de comportements déviants.
Nous les encourageons, au nom de l’équité hétéro-homo (sauf à nous démontrer que nous ne sommes pas égaux), à ouvrir le débat devant aboutir à la condamnation des pratiques allant contre les principes religieux et nos us et coutumes. Il s’agit notamment de la sodomie, la fellation, le cunnilingus, le sadomasochisme et toutes les pratiques sexuelles contraires à la morale ; des actes qui sont souvent pratiqués loin de l’intimité d’une chambre mais dans des véhicules, dans les bureaux administratifs et, souvent, dans les lieux publics en plein air. Au nom de la morale, la coutume et la religion, le Parlement doit être saisi pour pénaliser ces déviances pratiquées chez les hétérosexuels.
Il ne peut, dans une République qui prône l’égalité entre ses citoyens, y avoir de déviances sexuelles moralement acceptables pour les hétérosexuels et condamnables lorsqu’elles sont pratiquées par des homosexuels en toute intimité.
Du droit d’exister et d’être différent
Les progrès enregistrés, récemment dans les prises de position concernant les homosexuels, consistent à leur reconnaître une dignité et donc un droit au respect. Les droits de l’homme sont les mêmes pour tous. Les homosexuels ont aussi droit à notre sollicitude.
Dans nos contextes africains, la condition d’homosexuel est particulièrement difficile à supporter, ceux qui la vivent méritent une solidarité et une attention particulière de notre part. Notre société doit admettre la réalité sociale des homosexuels, les discriminations à leur égard, et lutter avec eux contre elles.
Contrairement à une idée faussement véhiculée, les homosexuels ne sont pas victimes d’une anomalie ou d’un handicap ou encore moins coupables de pratiques sexuelles perverses et à ce titre ils ont besoin de notre aide, de notre compassion, de notre assistance en vue de leur salut comme s’ils étaient des scélérats.
Au regard de l’opprobre qui leur est jeté, la sollicitude à l’égard des homosexuels se justifie car l’homosexualité elle-même reste mal comprise et non admise.
Se faire chantre des droits de l’homme (à travers les combats contre le racisme, la xénophobie, les discriminations, etc.), c’est reconnaître qu’il faut compter parmi ces droits le droit d’être homosexuel et de vivre son homosexualité.
La société gabonaise peut-elle réfuter que les droits de l’homme incluent le droit d’exister ? Ce droit n’est pas le droit de choisir d’exister ou de ne pas exister. Un homme qui n’existe pas n’a aucun droit à l’existence.
Le droit d’exister doit donc s’entendre de la façon suivante : dès lors qu’il existe en tant qu’homme, un homosexuel a le droit d’exister et de vivre son homosexualité. L’homosexuel existe dans sa condition de naissance, il n’a pas eu la liberté ou le choix de naître ou de ne pas naître. Le droit d’exister ne peut s’entendre sans le droit d’être ce que l’on est.
Surabondamment, le droit d’être ce que l’on est ne se limite pas seulement à ce que l’on est par essence, de façon générique, il s’étend également aux particularités et aux singularités de l’être. C’est le droit d’être différent.
Le respect de l’être humain ne peut se borner au seul respect de l’homme en lui-même ; il s’étend au respect des particularités et des singularités de son être, même si celles-ci ne sont pas présentes en tout homme et ne découlent pas nécessairement de la nature humaine.
Gregue NGUELE
Juriste, spécialiste des questions de citoyenneté et droits de l’Homme
Diplômé de l’Institut des Droits de l’Homme et de la Paix (IDHP)
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