Décryptage

Madeleine Mborantsuo : la grande prêtresse du gangstérisme d’Etat au Gabon

Madeleine Mborantsuo : la grande prêtresse du gangstérisme d’Etat au Gabon
Madeleine Mborantsuo : la grande prêtresse du gangstérisme d’Etat au Gabon © 2019 D.R./Info241

Dans cette analyse sans langue de bois, l’universitaire gabonais Marc Mvé Bekale convoque les faits de notre histoire politique récente pour dépeindre le véritable visage de l’actuelle présidente de la Cour constitutionnelle gabonaise depuis sa création, Marie Madeleine Mborantsuo (63 ans). Présentée comme une « grande prêtresse du gangstérisme d’Etat » par l’essayiste, Mborantsuo est au cœur du « nihilisme d’Etat au Gabon » mis en place par le régime au pouvoir depuis 1967. Analyse.

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C’est un truisme de le souligner : aucun régime politique gabonais, depuis le coup d’Etat de 1964, n’a jamais tiré argument de l’allégeance aux valeurs de la République, encore moins aux principes démocratiques.

Le 8 juin 2009, Omar Bongo Ondimba décède en Espagne. Ce même jour, Ali Bongo, sous le masque d’aîné de la famille, intervient à la télévision pour appeler les Gabonais au calme avant de déployer toutes les forces de défense sur l’ensemble du territoire, dont il avait décidé la fermeture des frontières. Ainsi fut posé l’acte inaugural du nihilisme d’Etat au Gabon.

Le 30 août 2009 est organisée l’élection présidentielle pour la succession à Omar Bongo. Certes battu, Ali Bongo accède au pouvoir avec la complicité de la Commission électorale nationale permanente (CENAP, devenue CGE), de la Cour constitutionnelle, des forces militaires et du gouvernement français de Nicolas Sarkozy. Ce scénario se répétera sept ans plus tard. Laminé par Jean Ping, Ali Bongo trouvera une bouée de sauvetage auprès de la Cour constitutionnelle.

Le 24 octobre 2018, Ali Bongo est frappé d’un AVC. La providence veut elle-même écrire l’histoire. Elle intervient là où la Cour constitutionnelle a toujours échoué, mais trouve sur son chemin la grande pythie de la maison des lois gabonaises qui, une fois encore, corrigera et interprétera les signes du destin national en faveur des Bongo. Entourés de ses sous-fifres, dont on n’a jamais lu ni analyse ni réflexion juridique, Madeleine Mborantsuo se saisit de sa plume pour modifier la constitution.

Il s’agit de sauver le trône d’Ali Bongo dont l’état de santé restera un mystère. Le malade peut prendre le temps nécessaire pour recouvrer sa santé. Qu’il revienne sain de corps, fou d’esprit, aucune importance. Personne ne le saura. Les Algériens maintiennent bien un grabataire au pouvoir depuis des décennies. Pourquoi ne ferait-on pas pareil au Gabon ? A l’instar de son père, Ali Bongo règnera jusqu’à son dernier souffle.

Mborantsuo ici au coté d’Ali Bongo

La loi fondamentale constitue à la fois un code moral et technique d’organisation d’un Etat. Elle est la mère des lois. Sa négation entraîne l’ensemble du pays dans une spirale nihiliste, mène au royaume du non-sens où il n’existe ni repère, ni valeur auxquels la population peut se référer. Sous les dehors d’une société normale, le Gabon n’est moins rien qu’un Far-West assiégé par des individus qui n’ont foi que dans les lois dictées par leurs seules impulsions et aspirations.

La négation de la démocratie et de la constitution s’inscrit dans une violence systémique significative du gangstérisme qui règne au sommet de l’Etat voyou gabonais. Cette violence sert de fondation au pouvoir actuel. Elle s’incarne dans les décisions et les arbitrages scandaleux de Madame Mborantsuo, s’exprime à travers le déploiement indécent de l’armée contre les populations et la cabale de la HAC contre les médias indépendants.

Le nihilisme d’Etat a une histoire. Elle se situe dans la continuité de la colonisation et de l’esclavage des Noirs, systèmes d’exploitation économique instaurés par les Européens avec la complicité des chefferies locales, qui avaient réduit les Africains au statut de bête de somme. Les pays occidentaux restent les premiers instigateurs de l’éthique nihiliste en Afrique. La France en est la grande prêtresse au sein du pré carré qu’elle tient sous sa coupe.

Deux dirigeants italiens, Luigi Di Maio, vice-premier ministre et chef politique du Mouvement 5 étoiles, et Mattéo Salvini, ministre de l’Intérieur et vice-président du Conseil italien n’ont pas eu tort de pointer le rôle crucial de la France dans l’appauvrissement du continent. Certes d’innombrables autres pays sont impliqués dans le crime moral et économique que constitue la pauvreté, l’accusation des Italiens n’est pas loin de la vérité et trouve même sa force dans le paradoxe du Gabon, une possession des Bongo et de leurs acolytes exploitée en partage avec la France.

Ce pays se vante d’être le berceau des droits de l’homme. Le fait est que ces droits sont inviolables et recouvrent une valeur intrinsèque sur son territoire. Mais face aux Etats voyous du Gabon, du Cameroun ou du Congo-Brazzaville, la France adopte une attitude cynique, joue, comme au Rwanda en 1994, une partition nihiliste en fermant délibérément les yeux sur l’oppression politique et économique des populations.

Le Gabon apparaît comme un véritable cas d’école de dévaluation morale. En effet, ce pays se situe en un lieu où ses valeurs traditionnelles, perverties ou vouées aux gémonies, ne guident plus la société, tandis que la modernité politique, qui aurait dû émerger de la construction d’une République adossée aux principes démocratiques, ne parvient pas à y trouver le moindre ancrage. D’où l’impression de naufrage existentiel de tout un peuple, naufrage dont aucun homme politique ne dispose de solution miraculeuse. Le drame gabonais vient de ce que les valeurs qui sous-tendent une République et la démocratie n’ont jamais fait l’objet d’appropriation née d’une réflexion philosophique endogène.

Superficiellement adoptées, elles n’ont guère été intégrées au logiciel éthique des régimes successifs, lesquels ont plongé le pays dans un double processus d’effondrement avec, d’une part, la néantisation, sinon le pervertissement, des valeurs traditionnelles ― phénomène accéléré par une mondialisation qui commença avec le commerce des Noirs ― et la négation des règles et des principes par lesquels aurait dû naître un Etat moderne. On l’a bien compris. Le maintien de cette situation d’anomie participe de la volonté de domination absolue qui anime les héritiers d’une conception monarchique du pouvoir, éloignée des idéaux d’une République et de la démocratie.

Face au dispositif stratégique mis en place pour la perpétuation et à la régénération de l’Etat voyou ou nihiliste, les Gabonais sont placés devant leur responsabilité : rester complices de leur servitude en acceptant de vivre comme des esclaves ou des animaux parqués dans des bourbiers ; ou se lever et à s’affirmer comme peuple en brandissant très haut la Loi fondamentale ― à l’image des personnages de ce beau tableau allégorique d’Eugène Delacroix, « La liberté guidant le peuple ». C’est pour et par la Loi fondamentale que doit se justifier tout mouvement insurrectionnel contre le pouvoir oppresseur actuel. Il s’agit d’un impératif moral au regard d’une Cour constitutionnelle devenue organe de légitimation du gangstérisme d’Etat. Cet impératif accompagna la naissance des nations qui dominent le monde aujourd’hui.

Il définit le tempérament français depuis la révolution de 1789 et se perpétue près de trois siècles et demi plus tard à travers la révolte des « Gilets jaunes ». La logique insurrectionnelle donna également naissance à la Nation américaine ainsi qu’on peut le lire dans la Déclaration d’indépendance, un texte porteur d’une vérité absolument universelle, pose, en toute clarté et simplicité, l’essence de tout gouvernement : garantir aux citoyens certains droits inaliénables, parmi lesquels la vie, la liberté et le bien-être. « Toutes les fois qu’une forme de gouvernement devient destructive de ce but, le peuple a le droit de la changer ou de l’abolir et d’établir un nouveau gouvernement, en le fondant sur les principes et en l’organisant en la forme qui lui paraîtront les plus propres à lui donner la sécurité et le bonheur. » Ce changement doit s’opérer par tous les moyens possibles ― insurrectionnels ou démocratiques.

Plus proche de nous, Nelson Mandela et les combattants de la liberté sud-africains firent de la rébellion une arme de combat contre l’abominable système politique de l’apartheid. Révolution française. Révolution américaine. Révolution sud-africaine. Autant d’exemples qui montrent qu’aucun peuple ne s’est libéré de l’étau de l’oppression par «  le pacifisme bêlant  ». Les Gabonais doivent cesser de gémir tels des moutons et considérer la rue comme espace d’écriture de leur devenir. Oui, il faut le souligner : si les générations d’aujourd’hui refusent de se sacrifier pour celles de demain, alors on laissera se perpétuer des lendemains encore plus sombres.

Marc Mvé Bekale, Universitaire et essayiste
Nouvel ouvrage à paraître cette année : « Violence et nihilisme d’Etat au Gabon »

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