Economie gabonaise : la Banque mondiale dresse un état préoccupant en 2025 mais porteur d’espoir

La Banque mondiale a publié ce jeudi 26 juin sa nouvelle Note de conjoncture économique du Gabon, livrant un tableau complet des performances économiques du pays en 2024 et des perspectives à moyen terme. Malgré une croissance modérée, portée par le secteur pétrolier et les grands travaux, le rapport met en lumière des vulnérabilités persistantes : dette publique élevée, pauvreté endémique, dépendance aux matières premières. La rédaction d’Info241 vous livre un décryptage approfondi en six grands axes de ce document de plus de 90 pages.

Une croissance modeste, tirée par le pétrole et les grands chantiers
En 2024, la croissance du PIB réel gabonais a atteint 2,9 %, contre 2,4 % en 2023. Cette progression s’explique en grande partie par la reprise de la production pétrolière (+4,6 %) grâce à la mise en exploitation de nouveaux champs, la levée des quotas de l’OPEP+ et une demande internationale soutenue. Le secteur de la construction a également fortement contribué, avec une croissance de 15 % liée aux investissements massifs dans les infrastructures publiques : routes, écoles, logements sociaux, réseaux d’eau et d’électricité.
Tableau 1 – Croissance sectorielle du PIB (2020–2025)
Secteur | 2020 | 2021 | 2022 | 2023 | 2024e | 2025p |
---|---|---|---|---|---|---|
PIB réel total | -1,8 % | +1,5 % | +3,0 % | +2,4 % | +2,9 % | +2,1 % |
Pétrole | -1,2 % | -6,7 % | +3,3 % | +7,6 % | +4,6 % | -2,1 % |
Construction | — | — | — | — | +15 % | N/A |
Services | -2,5 % | +1,3 % | +2,4 % | +2,6 % | +5,0 % | +1,5 % |
Bois | — | — | — | — | -5,2 % | N/A |
Manganèse | — | — | — | — | -5,8 % | N/A |
Les services ont progressé de 5 %, portés par la demande publique et la relance de certaines activités urbaines. Toutefois, les autres secteurs productifs sont restés à la traîne. Le secteur du bois a enregistré un recul de 5,2 % tandis que la production de manganèse a chuté de 5,8 %, en raison notamment de la baisse de la demande chinoise et de problèmes logistiques récurrents (chemin de fer et routes inadaptées).
Malgré ces performances contrastées, la croissance gabonaise reste concentrée sur quelques secteurs capitalistiques. Le secteur agricole, en particulier, continue de sous-performer, affecté par les aléas climatiques, le manque d’investissements et les conflits homme-faune. La diversification promise depuis plusieurs années tarde à se matérialiser de manière concrète.
Une croissance sans emplois, la pauvreté s’installe
Le rapport confirme que la croissance économique ne s’est pas traduite par une amélioration significative du bien-être. Le taux de chômage demeure élevé, autour de 20 %, notamment chez les jeunes. La structure même de l’économie, concentrée sur des secteurs à forte intensité capitalistique comme le pétrole et les mines, limite la création d’emplois.
Tableau 2 – Indicateurs sociaux (2020–2024)
Indicateur | 2020 | 2021 | 2022 | 2023 | 2024e |
---|---|---|---|---|---|
Taux de chômage estimé | 19 % | 19 % | 20 % | 20 % | 20 % |
Taux de pauvreté (6,85 USD/j PPA) | 32,5 % | 33,2 % | 33,9 % | 34,2 % | 34,6 % |
Dépenses sociales (% budget total) | 22 % | 20 % | 19 % | 19 % | 18,2 % |
La pauvreté a continué de progresser. En 2024, 34,6 % des Gabonais vivaient avec moins de 6,85 dollars par jour en parité de pouvoir d’achat. Cette augmentation est alimentée par des inégalités persistantes, la faiblesse des services sociaux de base et le faible niveau de consommation intérieure. La majorité des ménages urbains et ruraux sont ainsi exclus des retombées de la croissance.
Les dépenses sociales ne représentent plus que 18,2 % du budget total, un des taux les plus faibles de la sous-région. Les transferts sociaux non contributifs, comme les bourses ou les aides directes, sont limités et mal ciblés. Pour améliorer la situation, la Banque mondiale recommande une augmentation ciblée des dépenses en santé, éducation et formation professionnelle.
Budgets sous tension et endettement accru
L’année 2024 a vu un fort relâchement de la discipline budgétaire. Les dépenses publiques ont augmenté de 24 %, tandis que les recettes restaient stables malgré les efforts de numérisation. Résultat : le solde budgétaire est passé d’un excédent de +1,8 % en 2023 à un déficit de -3,7 % en 2024. Le solde primaire non pétrolier a atteint -15,9 % du PIB non pétrolier.
Tableau 3 – Finances publiques (2020–2025)
Indicateur | 2020 | 2021 | 2022 | 2023 | 2024e | 2025p |
---|---|---|---|---|---|---|
Solde budgétaire (% PIB) | -2,1 % | -1,9 % | -0,8 % | +1,8 % | -3,7 % | -5,4 % |
Dette publique (% PIB) | 78,2 % | 68,5 % | 57,0 % | 70,6 % | 72,5 % | 80,2 % |
Recettes publiques (% PIB) | 17,6 % | 15,3 % | 21,1 % | 24,6 % | 23,7 % | 24,3 % |
Dépenses publiques (% PIB) | 19,7 % | 17,2 % | 21,9 % | 22,8 % | 27,4 % | 29,7 % |
La dette publique s’est creusée pour atteindre 72,5 % du PIB, dépassant le seuil de convergence de la CEMAC (70 %). Plusieurs facteurs expliquent cette détérioration : recours massif aux marchés régionaux, charges d’intérêts élevées, dégradation de la note de crédit du Gabon par Fitch et Moody’s, et accumulation d’arriérés.
Malgré les opérations de rachat d’obligations et de reprofilage partiel de la dette intérieure, les tensions restent vives. La Banque mondiale souligne l’urgence d’un assainissement budgétaire, fondé sur une meilleure priorisation des dépenses et une politique fiscale plus équitable.
Un excédent commercial élevé mais fragile
En 2024, l’excédent commercial du Gabon s’est maintenu à un niveau très élevé (36,2 % du PIB). Cette performance s’explique par les bons résultats des exportations de pétrole, dont les volumes et les prix sont restés solides. Toutefois, les importations ont fortement augmenté (+14,1 %), alimentées par la demande intérieure et les grands chantiers.
Tableau 4 – Commerce extérieur (2020–2025)
Indicateur | 2020 | 2021 | 2022 | 2023 | 2024e | 2025p |
---|---|---|---|---|---|---|
Balance commerciale (% PIB) | 24,9 % | 33,5 % | 43,1 % | 37,3 % | 36,2 % | 26,3 % |
Exportations (% variation) | +10 % | +12,8 % | +12,9 % | -2,5 % | +4,0 % | 0,0 % |
Importations (% variation) | -6,0 % | +17,4 % | +12,5 % | +1,3 % | +6,8 % | -5,1 % |
Mais cet excédent masque une forte vulnérabilité structurelle : 97 % des exportations reposent sur trois produits – pétrole, manganèse et bois. Cette concentration rend l’économie extrêmement sensible aux variations des cours mondiaux et aux ruptures logistiques internes.
La Banque mondiale recommande d’investir dans des infrastructures logistiques modernes, de développer les exportations agricoles transformées et de mieux intégrer l’économie dans les chaînes de valeur régionales.
Inflation maîtrisée mais à quel prix ?
L’inflation est tombée à 0,9 % en 2024, contre près de 6 % fin 2022. Ce repli s’explique par la baisse des prix mondiaux, les contrôles des prix mis en place et le resserrement de la politique monétaire de la BEAC. Celle-ci a d’ailleurs commencé à assouplir sa politique en mars 2025.
Tableau 5 – Inflation (2020–2025)
Année | Taux d’inflation annuel |
---|---|
2020 | 1,6 % |
2021 | 1,1 % |
2022 | 4,3 % |
2023 | 3,7 % |
2024e | 0,9 % |
2025p | 2,3 % |
Cependant, cette maîtrise a un coût. Les subventions et exonérations fiscales destinées à contenir les prix sont jugées peu efficaces, mal ciblées et budgétairement lourdes. Le rapport appelle à traiter les causes structurelles du coût de la vie : logistique, tarifs douaniers, prix de l’énergie et du transport.
À long terme, la Banque mondiale recommande une réforme des subventions couplée à des transferts sociaux mieux calibrés.
Des perspectives incertaines
La Banque mondiale prévoit une croissance moyenne de 2,4 % pour la période 2025–2027. Cette dynamique sera portée par les secteurs minier, forestier et agricole, mais reste menacée par le déclin pétrolier, l’endettement et l’instabilité internationale.
Tableau 6 – Perspectives économiques (2025–2027)
Indicateur | Prévision |
---|---|
Croissance économique annuelle | 2,4 % |
Dette publique | >75 % |
Inflation moyenne | 2 % |
Taux de pauvreté | Stable |
Solde budgétaire | En déficit |
Sans réformes structurelles, cette croissance restera insuffisante pour réduire la pauvreté et générer des emplois. Le rapport préconise un environnement des affaires plus favorable, une meilleure gouvernance budgétaire et une stratégie nationale claire pour transformer les ressources naturelles en capital productif. Le retour à l’ordre constitutionnel et la stabilisation politique pourraient, à moyen terme, renforcer la confiance des investisseurs et soutenir la relance.
Tableau global récapitulatif – indicateurs clés de l’économie gabonaise (2024 estimé)
Domaine | Indicateur | Valeur 2024 estimée |
---|---|---|
Croissance | PIB réel | +2,9 % |
Croissance secteur pétrolier | +4,6 % | |
Croissance bois et manganèse | -5,2 % / -5,8 % | |
Emploi et pauvreté | Chômage | 20 % |
Taux de pauvreté | 34,6 % | |
Dépenses sociales | 18,2 % du budget | |
Finances publiques | Solde budgétaire | -3,7 % du PIB |
Dette publique | 72,5 % du PIB | |
Commerce extérieur | Balance commerciale | +36,2 % du PIB |
Inflation | Taux d’inflation annuel | 0,9 % |
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