Ali Bongo et la Charte africaine de la démocratie : 13 ans de refus qui l’ont précipité dans le vide

Paradoxal. C’est le mot qui décrit le mieux l’attitude du régime d’Ali Bongo Ondimba à l’égard de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance. Signée en grande pompe par le Gabon le 2 février 2010, cette charte n’a jamais été ratifiée ni déposée, contrairement à plusieurs de ses voisins. Une absence d’engagement juridique qui en dit long sur la peur panique du régime de se voir imposer des règles du jeu démocratique qu’il s’était toujours appliqué à contourner depuis l’ère Bongo père.

Signer, ratifier, déposer : un jeu diplomatique à trois temps
Dans le droit international, signer une charte n’a qu’une valeur symbolique : c’est une promesse, une intention. La ratification, elle, implique une approbation officielle par les institutions nationales (Parlement, Chef de l’État, etc.), rendant le texte contraignant au niveau national. Enfin, le dépôt de l’instrument de ratification auprès de l’Union africaine est l’acte final qui officialise l’entrée en vigueur de la charte dans le pays.
Ali Bongo avant que son tombeur ne mette fin à ses errements
Or, le Gabon a signé, mais n’a jamais ratifié ni déposé la charte. Une stratégie bien rodée pour ne pas se retrouver pieds et poings liés par un texte qui aurait menacé l’architecture même du régime Bongo, verrouillé depuis 1968.
Une charte aux contraintes incompatibles avec un régime autoritaire
Et pour cause : la Charte africaine est un texte exigeant. Elle impose :
La transparence des élections, leur régularité et leur organisation indépendante (articles 17 à 19)
L’interdiction des modifications constitutionnelles à des fins de maintien au pouvoir (article 10)
La participation effective des citoyens à la vie politique (article 2)
La sanction des régimes anticonstitutionnels et l’interdiction pour les putschistes de participer à la transition électorale (article 25)
Une disposition que les anciens dignitaires d’Ali Bongo découvrent aujourd’hui avec effroi : l’interdiction faite aux auteurs de coups d’État d’être candidats à l’élection présidentielle censée restaurer l’ordre constitutionnel. Ironique, quand on sait que certains de ces anciens serviteurs du système dénoncent aujourd’hui cette clause… qu’ils ont eux-mêmes empêché de devenir loi au Gabon pendant 13 ans.
Une exception gabonaise dans un continent qui avance
Alors que 39 pays africains ont ratifié et déposé la charte, le Gabon reste à la traîne. Parmi ses voisins directs :
Le Gabon face à ses voisins (au 8 juillet 2024)
Pays | Signée | Ratifiée | Déposée |
---|---|---|---|
Gabon | ✅ 02/02/2010 | ❌ | ❌ |
Cameroun | ❌ | ✅ 24/08/2011 | ✅ 16/01/2012 |
Guinée équatoriale | ✅ 30/01/2011 | ✅ 11/07/2017 | ✅ 08/10/2019 |
République Centrafricaine | ✅ 28/06/2008 | ✅ 24/04/2017 | ✅ 06/03/2019 |
Tchad | ✅ 22/01/2009 | ✅ 11/07/2011 | ✅ 13/10/2011 |
Congo | ✅ 18/06/2007 | ❌ | ❌ |
Chiffres continentaux
- Nombre total de pays africains : 55
- Pays ayant signé : 46
- Pays ayant ratifié : 39
- Pays ayant déposé : 39 |
Le Gabon, lui, reste figé au stade de la signature en 2010. Une preuve du refus volontaire du régime de Bongo de s’engager pour de bon sur la voie de la démocratie.
Une balle dans le pied… auto-infligée
En ne ratifiant pas la charte, Ali Bongo croyait préserver son pouvoir , éviter tout mécanisme de transparence et garder la main sur les élections. Mais il a surtout permis à Brice Clotaire Oligui Nguema, son tombeur, de contourner une règle qui aurait pu l’écarter de la présidentielle d’avril 2025.
Car sans ratification, la charte ne s’applique pas. Et voilà que les anciens barons du régime, qui refusaient hier la démocratie, s’en remettent aujourd’hui à cette même charte pour tenter d’empêcher le général de se présenter. Trop tard.
Une confiscation démocratique assumée
Pendant 13 ans, aucun député ni sénateur du PDG (parti d’Ali Bongo) n’a tenté de faire avancer le processus de ratification. Aucun débat parlementaire. Aucun projet de loi. Une omerta institutionnalisée qui a permis la tenue d’élections verrouillées, la reconduction automatique du pouvoir et l’exclusion des voix dissidentes. Aujourd’hui, les cris d’orfraie des anciens du régime sonnent faux : ils ont eu 13 ans pour faire de la démocratie une réalité. Ils ont préféré s’en servir comme d’un paravent.
Le refus de ratifier la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance a été le révélateur d’un régime hostile à toute forme de souveraineté populaire réelle. Une erreur stratégique qui se retourne aujourd’hui contre ses architectes. Ali Bongo s’est tiré une balle dans le pied, en croyant que cette charte ne servirait jamais. Elle sert aujourd’hui… mais pas à lui. Au suivant !
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